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samedi 21 juillet 2007

La fonctionnaire et l'éleveuse de chèvres, 2

Et nous voilà maintenant repartis dans un rêve, l'une de ces douces rêveries qui nous reviennent régulièrement.


Et si...


Et si on avait trois sous devant nous, pas beaucoup non, juste trois sous, et que ça nous suffisait pour faire un tout petit emprunt de complément, et qu'avec ça on pouvait enfin s'acheter notre chez nous ? Quand je vois la différence de prix avec des coins comme en Bretagne, si on habitait là-bas on aurait pu acheter il y a des années déjà. Mais la Provence coûte cher, très cher, et à présent c'est vrai même dans les coins les plus reculés. Coins reculés qui nous font rêver certes (comme ce tout petit cabanon qu'on a vu à Rougon), mais qu'on ne pourrait pas habiter, pas maintenant, pas tant que je n'ai pas essayé une seconde fois, et peut-être même réussi qui sait, d'entrer dans la voie à laquelle ma formation me destine.


Dans ces moments-là je ne vois que des sacrifices : faire une croix sur une possible carrière académique si on se laissait tenter par la campagne profonde, ou bien faire une croix sur une vie dans un endroit auquel on se sent naturellement connectés si on reste proches d'une université - donc d'une (très) grande ville. C'est un peu triste, de me trouver des regrets dans tous les cas, je pourrais me dire le contraire. L'ennui c'est que le contraire est dangereux :


Décider de mettre toutes les chances de mon côté pour me trouver un bon boulot ? Concrètement ça veut dire sombrer à nouveau dans cette adrénaline intellectuelle qui m'a ruinée, ça veut dire louer éternellement quelque chose de minuscule au loyer exhorbitant parce qu'on a besoin d'un jardin, ça veut dire probablement quitter la région sous peu, déménager une fois, peut-être deux, sans même pouvoir revenir avant une dizaine d'années au moins si ça se trouve. Ça veut dire me sentir coupée, toujours, de là où je veux être. Me prendre le rouleau en pleine face, boire la tasse et me retrouver la tête dans le sable. Mais finalement c'est la seule vie que j'aie pu connaître jusqu'ici.


Et décider d'abandonner, au moins en majeure partie, toute cette vie que j'ai menée jusqu'ici ça veut dire repartir à zéro, dans l'inconnu total, sans savoir si ça me plairait, si je tiendrais le coup (on m'a tellement répété que "je ne tiendrais jamais le coup"), et surtout sans savoir au juste quoi faire. Sans plan tout à fait établi, avec tellement de possibilités... et c'est complètement effrayant, finalement, qu'il y ait tant de possibles dans cette direction. Et puis tout le monde m'a dit que tout retour en arrière était impossible et ça me travaille, même si je n'y crois pas, j'ai déjà eu l'occasion de constater l'inverse, à plusieurs reprises. Mais c'est difficile pour ces gens-là. Et puis je me demande si je considérerais un retour, le cas échéant, comme un échec (ou pas).


Ce qui est dur là-dedans c'est que rien ne m'oblige. A rien. Je peux faire un peu ce que je veux, pami ce que j'ai envie de faire (ou tout au moins d'essayer). Mais c'est tellement confortant de me dire que je vais continuer à faire ce que j'ai toujours fait, malgré tous les inconvénients que je connais. Parce que malgré eux, si j'y arrive, je sais ce que j'aurai gagné. J'aurai gagné le droit de ne plus avoir de problèmes d'argent. Je ne parle pas de gagner des milles et des cents, mais juste de quoi ne plus être éternellement harrassée par mon banquier, ne plus passer des nuits à angoisser, ne plus demander de l'aide en urgence à nos familles. J'aurai gagné aussi une reconnaissance de ce que j'ai fait jusqu'à présent. (Un peu dérisoire, hein ? J'y suis pour rien, je défriche pour l'instant.) J'aurai gagné le droit d'enseigner à peu près librement, et j'aime enseigner, c'est important pour moi. La recherche, je suis en train de revenir dessus, ça me fatigue de plus en plus (même si ça me plaît toujours quand-même, mais je constate qu'il peut y avoir plein de façons de retrouver ce sentiment génial de la recherche, différemment). C'est un chemin que j'ai déjà parcouru en partie, je sais à peu près de quoi il est composé. Et j'ai une peur bleue que si jamais je le quitte, je me retrouve dans quelque chose que j'estime pire.


Quand j'y pense, quand je liste ce que je vois comme avantages et inconvénients de chacune des situations possibles, je me dis que ça ne souffre même pas la comparaison, qu'en réalité c'est tout choisi depuis des lustres dans ma tête. Et alors je me dis que je ne dois pas décider, pas encore, parce que je n'y vois pas encore assez clair, je n'ai pas encore assez de recul. C'est drôle, tous ces gens qui disent qu'il suffit de choisir et qu'ensuite il n'y a plus qu'à y aller, que choisir ça n'est pas si difficile que ça, que c'est de ne pas choisir qui est le plus difficile. Moi je trouve ça infiniment compliqué de choisir ; ne serait-ce que peser objectivement, ou plutôt honnêtement le pour et le contre, je n'arrive pas à le faire, je n'arrive pas à savoir quand je suis complètement honnête ou non.


Et là je repense à un billet que j'avais écrit sur ce même thème il y a quelques mois. Je me souviens que j'avais déclaré avoir pris ma décision. Et si j'avais gagné une somme d'argent suffisamment importante pour me mettre hors du besoin de travailler pour payer ma pitence, une fois que j'aurais passé les premiers temps à dépenser pour telle et telle chose, pour payer des cadeaux aux êtres chers, pour ce genre de chose, alors à quoi est-ce que j'aurais envie de passer mes journées ? Et j'avais répondu à faire de la recherche et de l'enseignement.


A vrai dire, quand je vois aujourd'hui dans quel état ça m'a mise, et quand je vois autour de moi que c'est un peu pareil pour tout le monde, je me demande si c'est vraiment ce que j'ai envie de faire. Je sais, pour l'avoir vécu, que le danger d'exercer un job par passion est de ne plus faire la différence entre travail et loisir, et de risquer à presque tous les coups de se noyer dedans. On travaille trop, on tient le coup parce qu'on se dit qu'après tout c'est quelque chose qu'on aime, et on ne voit pas que l'on est en train de se laisser dévorer par une vie monochrome.


Quand je relis le début de ce billet j'y vois que ma décision est théoriquement prise : reprendre mon activité habituelle l'an prochain, essayer une nouvelle fois, et si ça ne marche toujours pas alors (et alors seulement) aviser. Et pourtant, je n'arrive pas à me dire que c'est là la solution. Ça ne me donne pas l'impression d'une juste décision prise. De quelque chose qui me satisfait et me soulage, qui me permet d'envisager l'avenir proche sous une forme qui m'enthousiasme ou me convient. Chaque jour qui passe je constate que je suis encore plus usée par mes dernières années que je l'imaginais. Chaque jour qui vient je sens monter en moi un appel de plus en plus poignant d'une autre vie, d'un autre quotidien, d'autres activités plus réelles, plus réalistes, plus proches de ce que j'entends par vivre.


Alors je me pose une question à laquelle je n'ai pas de réponse pour le moment : Et si l'année prochaine, pendant mon chômage, au lieu de reprendre la recherche de plus belle, j'en profitais pour tester une toute autre vie ? Je n'aurais plus uniquement ces quelques deux mois d'été pour me remettre en selle avant de reprendre la bataille, et un on décompresse et deux on se reconstruit et un allez plus vite que ça et deux l'horloge tourne ma bonne dame et un il te reste tant de temps et deux qu'est-ce que tu as fait jusqu'à présent ? Et si j'en avais marre entre temps, si j'avais envie de reprendre la recherche, je pourrais toujours alors. Il faudrait que je me refasse accepter par les miens, mais je ne crois pas que ça serait complètement impossible. Enfin, on ne peut jamais savoir mais on peut avoir une petite idée. Et si je me donnais le temps qu'il me faut, plutôt que le temps que l'administration impose indifféremment à tous ?


Ne pas être inflexible sur ce dont j'ai envie, quelque part, ça devrait me permettre d'accepter tout simplement ce qui se propose. Mais j'ai pu remarquer que pour que certaines catégories de choses puissent se présenter, il faut savoir se trouver au bon endroit, au bon moment. Et donc savoir un minimum dans quelle direction on veut aller.


Finalement ça doit être vrai, que choisir est plus simple que de ne pas choisir.

vendredi 20 juillet 2007

La pensée du jour

Un scientifique n'est pas quelqu'un qui fait de la politique avec des moyens politiques ; c'est quelqu'un qui fait de la politique avec d'autres moyens.

Bruno Latour, Le métier de chercheur : regard d'un anthropologue, INRA éditions, 2001, p. 78.


Trouvé chez Enro.

dimanche 15 juillet 2007

Adrénaline

Ça fait quelques temps maintenant que je répète souvent que je n'arrive pas à me remettre aux trucs de la vie de la maison (ménage, pain, cuisine, etc.), à entreprendre et à continuer des activités personnelles de pur plaisir (yoga notamment, mais aussi dessin et compagnie), et surtout, surtout, à dormir correctement (pas moyen de trouver le sommeil, cauchemars qui me réveillent en sursaut, aucune sensation d'être reposée).


J'en parlais avec mon acuponctrice que j'ai revue cette semaine, et je lui disais que quand-même, ça fait plus d'un mois que je suis +/- en vacances ou tout au moins en repos par rapport à mon rythme habituel, et elle me répondait que ça n'était pas étonnant vu depuis combien d'années je n'avais pas complètement décompressé, et que mes deux mois de vacances c'était un strict minimum pour commencer à me reposer vraiment.


J'ai calculé vite fait : ça fait 7 ans en fait. Il y a eu mes 4 ans de thèse + cette année d'Ater nomade ; avant c'était l'année de mon DEA, entre les deux j'avais passé l'été à faire un petit contrat dans mon labo ; et l'année précédente c'était mon année de maîtrise, que j'avais finie de rédiger quelques semaines avant de commencer le DEA. (Et à bien y réfléchir, même depuis mon DEUG je n'ai jamais vraiment arrêté de travailler...) Pendant ces 7 (à 10) ans j'ai bien pris quelques vacances, mais qui avaient plus la forme de quelques jours de congés qui ressemblaient à s'y méprendre à ce que je ressens aujourd'hui : je passais une petite semaine à ne pas dormir, à ne rien arriver à faire, à m'en vouloir parce que je ne reprenais pas pied. L'été dernier on a pris une semaine de vacances où l'on est partis dans le pays basque, ça m'a fait beaucoup de bien mais je n'avais commencé à faire de "vraies" nuits qu'arrivés au vendredi...


Et là je comprends une chose : je suis en manque d'adrénaline. Depuis ces 7 ans, et de plus en plus chaque année, j'avais 1000 trucs urgents à faire à la fois, je croulais (parfois littéralement) sous le travail. Et puis que j'ai fini mes cours et mes auditions, plus rien. Le vide. Le calme plat.


Donc... me reste à trouver une alternative à l'adrénaline.

samedi 30 juin 2007

De l'honneteté de l'enseignant

Hier donc, j'ai corrigé mes copies. Il s'agit d'étudiants en lettres, qui planchaient pour un cours d'initiation à l'informatique, qui se divisait en deux parties : une partie pratique sur machine (pas évaluée - du coup 80% des étudiants ont séché les séances dès lors qu'ils l'ont su), et une partie théorique en amphi, sur laquelle portait mes copies. Et c'était les copies de la session de rattrappage, celle qui a avait d'habitude lieu en septembre mais qui, à Bordeaux, est maintenant en juin (sachant que la session normale du 2e semestre était en avril).


Et en corrigeant mes copies, j'ai arroché sur l'une d'elles. Faut dire, je prends toujours du temps pour expliquer à mes étudiants que dans une copie d'examen, la forme, ça compte pour beaucoup : je leur explique qu'ils doivent se concentrer un minimum pour rédiger correctement, des phrases simples (pas toutes allambiquées), en limitant le plus possible les fautes d'orthographe et de grammaire (donc en se relisant attentivement), en proscrivant les abbréviations, et en n'utilisant que des mots dont ils sont certains du sens (question de ne pas se retrouver avec une foire aux néologismes et aux absurdités).


Et le plus souvent, à force de leur expliquer qu'ils peuvent tous le faire et que ce n'est qu'une question de concentration, ils y arrivent tous à peu près. Bon. Sauf qu'évidemment, il y a toujours quelques rares exceptions, des gens qui ne savent vraiment pas écrire du tout. Et c'est ce que j'ai trouvé dans mon paquet de copies cette année. J'avais déjà noté sa copie lors de l'exam d'avril, je me souvenais de son écriture. Et là je l'ai retrouvée. Je vous mets un extrait :


Un sistème de numération sont par ex les abaques. Les boulier qui sont efectué par des barre puis des billes que lon déplasse. Les Romain utilise se que l'on appelle les nombre romain. Les diferante basse sont également des sistème numérique.

Cette personne, je le rappelle, est en première année de fac de lettres. Et je ne veux en aucun cas lui jeter la pierre pour son problème d'écriture qui, c'est évident, ne relève pas d'une simple question de concentration : elle n'a vraisemblablement jamais compris la logique d'une transcription écrite (même avec une lecture phonétique c'est faux). Elle ne connaît pas l'orthographe des mots, ne connaît pas la syntaxe du français, et ne sait pas rédiger des phrases simples qui aient un sens.


C'est grave. Et ce qui est grave, c'est que ça n'est pas de sa faute : si elle ne le sait pas à son âge, c'est qu'on ne lui a jamais appris. Et pire, si elle est arrivée jusqu'à une fac de lettres avec un tel handicap, c'est qu'on lui a fait croire que ça n'était pas grave, que l'écriture ce n'était pas important.


Et là je m'interroge. Comment est-ce que cette personne a pu passer autant d'années à l'école et que jamais personne ne lui ait dit qu'elle devait commencer par apprendre à écrire ? Que même si elle n'allait pas à l'université ce n'était pas grave, pas aussi grave que de ne pas savoir écrire ? Comment est-ce qu'elle va faire, cette personne, pour rédiger une simple lettre de motivation pour trouver un job ? Comment est-ce qu'on peut consciemment abandonner des gens de cette façon alors qu'on est des enseignants ? Comment est-ce qu'on a pu être assez malhonnêtes, tous, pour la laisser arriver là sans jamais lui apprendre à écrire, ou à défaut lui dire qu'elle devait apprendre ? Que c'était un minimum pour s'en sortir ? Que la fac était une perte de temps pour elle si elle n'avait pas les bases ?


Je ne comprends pas.


Je lui ai envoyé un mail pour lui dire ça. Si j'avais été sur place j'aurais essayé de trouver ses coordonnées pour la rencontrer, et j'aurais pu l'aider à apprendre. Parce que je trouve ça important, primordial, même, quand on est enseignant, et on n'est pas là pour fermer les yeux sur ce qui ne concerne pas notre petit domaine personnel d'enseignement. J'ai essayé de bien lui expliquer que je ne la tenais pas pour responsable, mais que je lui disais ça pour son bien à venir (et même présent). J'espère qu'elle lira ce mail, et qu'elle comprendra, et qu'elle se sortira de l'évidente impasse qui l'attend pour l'instant.


mercredi 13 juin 2007

Docteure nomade : l'épi(web)logue

Un saut à Bordeaux, inattendu, pour une surveillance d'examens. J'ai à peu près autant envie d'y aller que de me pendre. Ce n'est même pas le fait d'y aller qui me chiffonne, mais c'est la perspective de passer l'intégralité de mes deux prochains après-midis dans ce fichu Corail Téoz que je ne peux plus voir en peinture.


Et en plus j'ai une seconde surveillance lundi prochain à laquelle j'ai pris la résolution de ne pas aller (150€ l'aller-retour maintenant que je n'ai plus d'abonnement Fréquence, mon salaire de misère ne me le permet pas après les auditions de ces derniers mois), et ça s'avère très compliqué de trouver une solution, puisqu'évidemment il y a au moins deux instances administratives différentes qui sont impliquées là-dedans, et que par conséquent personne n'est responsable de rien.


Sur ce, je vais faire mon sac. Chouette.


lundi 11 juin 2007

En plein

Rentrer de conférence. C'est toujours un moment décalé. Ça commence par un vide de mots, une grande paralysie qui handicape jusqu'à mes émotions. Tout l'éventail de sentiments qui se bousculent dans ma tête et pas moyen d'en attraper un, juste un, même pas longtemps, même rien qu'un peu, le temps juste de prononcer le mot qui lui convient, le temps de lui donner au moins le réalisme de la langue, rien que ça c'est pourtant pas beaucoup demander. Mais non, ce sont des volutes de fumée qui filent, se déforment, disparaissent aussi vite qu'elles nous étaient apparues.



Je rentre et c'est comme si je découvrais ma vie sans que ce soit la mienne. Ces parenthèses de quelques jours me font totalement changer de lunettes. Elles me font entrer dans un autre monde, et quand j'en ressors il y a toujours ce moment où je me regarde de l'extérieur et trouve tout ce que je fais bien futile. Bloguer, par exemple (mais pas que). Je suis contente de retrouver ce petit coin mais je ne sais plus bien quoi y dire, tout ce que j'y vois me paraît inutile, dérisoire.



Pourtant c'était bien moi des deux côtés. C'était bien toujours moi mais différente, ailleurs, autrement. C'est dur de recréer le lien entre les deux. Je pense bien que je ne suis pas la seule dans ce cas, parce qu'à chaque fois que j'ai eu l'occasion d'en discuter l'on était tous d'accord sur cet étrange décalage. Un fossé entre soi et soi-même, entre soi ici et soi ailleurs. Et ensuite il faut retisser tous les liens, reparcourir tous les chemins qui ont fait que je suis arrivée là où je suis. Ce n'est pas mal, en soi : ça conforte ; en tout cas ça m'a toujours confortée dans mes choix, jusqu'à présent. Mais ça représente une telle remise en question à chaque fois !



Tout ce que je regarde de mon monde quotidien n'est que questionnement, mise en perspective, relativisation. Tout en sachant bien que ce n'est une phase, que ça va passer. Que je suis comme décalée par rapport à moi-même, sortie de mes gonds, que je ne peux qu'attendre. Et c'est tellement paradoxal par rapport à ce que je ressens, je suis tellement bouleversée, je suis tellement saisie par le moindre détail de ce que je vois !



Envie de tirer un grand coup sur la nappe pour voir ce qui reste debout après. Sentiment immédiat que ça serait une énorme bêtise. Alors interrogation : et si jamais je le faisais, si jamais je l'avais déjà fait avant, où serais-je, que ferais-je aujourd'hui ? Grand vide de l'absence du moindre début de réponse, évidemment !, à cela. Soupir. Attendre que ça passe, c'est juste un passage, tout va revenir dans l'ordre. Mais cet ordre est-il le bon puisque j'ai dans ces moments envie de l'envoyer valser ? Puisque quand je suis moi-mais-ailleurs il en est tout autrement ? Est-ce que dans ces moments-là je m'éloigne de mes propres oeillières et que c'est de les rechausser qui me blesse en rentrant ? Ou est-ce que je change simplement d'oeillières dans ces cas-là et alors pourquoi donc ?



Alors il y aurait simplement accepter. Accepter que parfois, dans certaines conditions très spécifiques, on se sent pousser des ailes, mais que ces ailes, en fait, n'existent juste pas. Jamais. Que pendant quelques temps l'on s'est laissé griser par des événements artificiels. C'est vrai, évidemment, pour une partie au moins. Mais comment savoir sans essayer ? Comment se sentir juste quand on a perdu... quand on a perdu ses repères : je me surprends moi-même à voir venir ce mot, repères, je ne m'y attendais pas.



Et puis il y a ces deux émotions qui s'entechoquent : envie de redesendre sur terre et envie de rester où l'on est, juste encore un petit peu. On lutte dans les deux sens en même temps. Etre conscient que rester dans cet état n'est pas du tout une solution, et de toute façon n'est simplement pas possible. Envie de comprendre. Envie de trouver quel est le lien, le dénominateur commun de tout cela. Moi d'accord, mais alors pourquoi donc me sentai-je si écartelée ?



Peut-être est-ce en partie dû au métier. Je fais cela parce que je n'ai pas le choix, en quelque sorte : c'est en moi, c'est comme ça. Et quand je me retrouve en conférence je mesure à quel point ce monde de la recherche est infini. Et à quel point l'endroit où je suis est souvent à mille lieues des autres. Peut-être que du coup je m'éloigne de moi-même pour aller vers eux, et qu'ensuite j'ai le même chemin à parcourir en sens inverse. Non, c'est bien trop caricatural.



Plus j'avance dans ma propre vie et plus je réalise à quel point c'est compliqué de rester conscient que l'on est dans tout ce que l'on fait. Que l'on n'a pas besoin de chercher à devenir, mais simplement à vivre ce que l'on est déjà. A quel point c'est dur d'accepter ce que l'on est comme étant, finalement, tout ce que l'on a. Et que donc, même quand j'ai cette sensation de m'être éloignée de ma vie j'y suis aussi en plein. C'est bête, je voudrais pouvoir en tirer comme une liste claire, je voudrais pouvoir dire "Ce qu'il y a d'immuable en moi dans toutes ces situations c'est ça, et ça, et ça.", mais ce n'est certainement pas comme ça qu'il faut vivre (...raisonner ?) ces moments-là. Seulement je ne sais pas comment m'y prendre autrement. Je ne sais pas quand je fais fausse route, j'ignore quand je progresse. Je ne sais pas ce qui est moi dans moi, et quand je reviens de conférence c'est comme si je mesurais le fossé entre ce que je pensais et ce qui est, ou bien ce qui peut être par ailleurs, ou autre chose, je ne sais pas.



Et puis finalement, qu'est-ce je dois accepter : ce que je retrouve quand je rentre, ou bien ce que je voyais quand j'y étais ? En réalité, qu'est-ce qui me dérange là-dedans ? Je crois que ça n'est ni l'un ni l'autre, que c'est surtout de ne pas savoir où est placé le repère.


dimanche 10 juin 2007

Signe de vie

Quand on rentre de conférence, on se sent toujours un peu bizarre. Les émotions vont d'un extrême à l'autre tout le temps, ça tourne comme dans un manège. Et puis on est physiquement et intellectuellement crevé. Un peu comme ce que je ressentais à la fin de mes cours cette année, mais en plus concentré. En quelques mots, ça donne l'impression que l'on ne sait plus qui l'on est. C'est juste comme ça, une fois qu'on l'a vécu une première fois on sait que ça arrive, et on attend que ça passe pour pouvoir prendre du recul et intégrer ce que l'on a vécu comme étant des souvenirs.


Les conférences, c'est une parenthèse dans la vie. Ensuite, c'est assez dingue de se dire que c'est pourtant entre ces parenthèses que se dessine la majeure partie de nos relations professionnelles hors contexte local, et que le personnage que l'on incarne alors est notre personnage professionnel public, celui que les gens voient, l'image de soi qui marque les autres. Faut juste en être conscient, et l'accepter puisqu'on n'a pas le choix, au passage réaliser que c'est le cas des autres et pas que de nous-même, et puis aussi une fois que l'on rentre, accepter le fait que le rideau est tombé, que la grande pièce de théâtre est finie, et que la vie quotidienne recommence.


Là, c'est parfaitement mon cas : je sais ce que je suis en train de traverser, je sais qu'il va me falloir quelques jours pour me remettre de mes émotions, que je ne suis pas encore revenue dans mon monde habituel, celui que j'ai choisi parce que je suis moi, je suis consciente que pendant quelques jours je vais regarder ma vie par le kaléïdoscope de mon personnage de conférence et que du coup ma vie ne va pas me plaire et que je vais avoir envie de tout changer. L'essentiel c'est que je le sache, et que donc j'observe ce qu'il se passe en moi sans le prendre pour argent comptant, en relativisant.


J'ai quelques histoires drôles à raconter, notamment une rencontre tout à fait inattendue et très sympathique qui vient confirmer que le monde est vraiment petit, mais j'y reviendrai plus tard : le devoir m'attend, il faut que je me prépare pour aller voter.


jeudi 31 mai 2007

Presque rien

Aujourd'hui, je suis allée à mon ancien laboratoire, où j'essaie de reprendre quelques contacts pour avoir un lieu de travail (tout bénévole soit-il, mon travail) l'an prochain.


Essayé de travailler...


Fait un p'tit tour pour aller dire bonjour dans les bureaux de mes amis. Discuté avec une copine qui fait sa thèse en cotutelle avec l'Ecosse et qui est là pour quelques jours. Elle est en train de rédiger, pour soutenir en novembre-décembre. Elle m'a raconté qu'elle avait fait une demande de bourse UK qui permet, d'après ce qu'elle m'a dit, d'être payé pendant un an à exploiter les résultats de sa thèse, faire des publis etc. On reste affilié à son labo d'origine et tout ce qu'on nous demande c'est de publier. Et on peut avoir le droit à 3 mois de rallonge des fois qu'on voudrait en profiter pour faire un séjour à l'étranger. C'est pas dingue, ça ? (En gros c'est exactement ce qu'ils demandent au CNRS pour compléter le dossier sauf qu'eux, ils ne payent pas l'année en plus...)


Essayé de travailler...


Eté boire un café au resto du coin parce que je n'avais pas de monnaie pour la machine, et que j'avais envie d'un vrai bon café. Lu Libé en diagonale, discuté du bout de gras avec le patron.


Essayé de travailler...


Eté déjeuner. Avec deux copines pas vraiment proches. Certains ont mangé un sandwiche devant leur machine parce qu'avaient du travail, d'autres, ceux avec qui d'habitude je déjeune toujours (ma fine équipe, en somme) étaient en réunion avec des niçois et bien trop occupés. Et puis ça ne se fait pas, quand certains ont des invités, de s'incruster comme ça. Alors va pour un déjeuner entre copines pas trop proches, ça change et c'est sympa quand-même. Croisé mon (ancien) chef qui commandait un sandwiche à toute vitesse avant d'aller courir : il prépare le Marseille-Cassis.


Essayé de travailler...


Commencé à ranger mon bureau. Ça devient une manie ! Là aussi ça devait bien faire un an que je n'y avais pas touché, que j'avais pris l'habitude de simplement tout jeter sur les côtés au fur et à mesure, alors j'avais comme sur la photo d'hier, mais sur le bureau (et dessous aussi, et sur l'étagère aussi... houlala), et sans avoir pré-trié... et avec un an de poussière en plus. Donc j'ai pris mon courage d'une main et la poubelle de l'autre, et hop au boulot. Ensuite j'ai posé la poubelle, j'ai changé mon courage de main (pour respecter l'alternance) et j'ai saisi une éponge de l'autre. Résultat : tout vide, tout propre, au prix de quelques éternuements. Ça fait du bien, là aussi.


J'ai retrouvé le texte de ma soutenance de thèse dans les papiers. C'était drôle ! J'ai aussi enlevé tous mes souvenirs, les babioles collées sur les murs. Question de recommencer sur de nouvelles bases, je crois que j'en avais vraiment besoin.


Essayé de travailler...


Commencé mon diaporama pour ma présentation de mardi à la conférence. Plutôt que de suivre strictement mon article j'ai envie de faire un truc un peu différent maintenant que je maîtrise bien le sujet. Alors j'ai pris un papier, un crayon, et j'ai réfléchi à comment est-ce que je voulais présenter la chose. C'est bizarre. J'ai tellement pris l'habitude ces derniers mois de devoir présenter tout mon travail en 10 mn, que d'un coup avoir juste une partie à présenter en 20 mn ça me fait tout drôle...


Reçu un coup de fil d'une copine maître de conférences à qui il est arrivé des tas de choses pas chouettes. Elle croyait que j'étais aussi déprimée qu'elle, je crois que ça l'a désarçonnée un peu que j'aie déjà repris du poil de la bête. Alors j'ai fait ce que j'ai pu pour lui remonter le moral un tout petit peu, autant que je pouvais comme ça, au téléphone dans le couloir du labo. Me suis sentie un peu insuffisante, sur ce coup, mais je ne savais pas trop quoi faire de plus.


Essayé de travailler...


Bon, c'est dur. Je me sens toute vide dans ma tête. Je suis sans doute vraiment vide, ce n'est pas qu'une impression. Pourtant il va bien falloir que je fasse encore un petit effort. Et puis ça va bien se passer, elle est chouette cette conf', "on est en famille" comme me le disaient des collègues l'an dernier. Je suis contente d'y aller ; j'ai juste du mal à faire encore une présentation, une belle, une bonne, intéressante, efficace, ouverte. Difficile de faire encore un truc nouveau avec toutes ces choses que je répète une nième fois. Difficile de trouver encore de l'entrain pour ça. Mais j'ai encore du temps, ça ira.


Enfin... faudrait que je m'active un peu tout de même, là, on est jeudi soir et tout le WE je serai occupée.


jeudi 17 mai 2007

Le cafoutche du MCF

Ce matin (de très bonne heure) je recherche des infos que j'avais trouvées sur le web il y a quelques mois, à propos des candidatures MCF. Vainement, je recherche. Tout au moins, il m'a fallu relire tout un tas de conseils que je connaissais déjà et que je ne cherchais pas, pour me rendre compte que non, ce n'était pas sur cette page-là que j'avais lu cette info tant recherchée.


Alors, maintenant que j'ai à peu près refait le tour des pages underground à ce propos (parce que les pages officielles ne sont pas franchement très informatives), voici un petit florilège, qui me servira de marque-page pour les éventuelles prochaines fois, et puis qui pourra peut-être également servir à d'autres, sait-on jamais.



Tout d'abord chez Olivier, maître de conf' en sciences de l'information et de la communication, on trouve plusieurs billets qui portent sur la question, dont j'en retiens deux qui sont pleins d'informations à garder sous le coude :


  • Un premier, tout chaud tout récent, qui parle du contenu des rapports de candidatures. Autant dire que ça tombe à point nommé.

  • un second, que j'avais déjà lu il y a quelques temps et qui fait partie de ceux que je recherchais, qui donne quelques impressions, conseils et témoignages d'auditions passées.



Vient ensuite ce billet de Caroline, qui fait un bilan de son travail. Ce qui m'intéresse surtout dans ce billet, et d'ailleurs c'était exactement ce que je recherchais ce matin (chouette), c'est ce qui est dit dans l'un des commentaires :


L'absence de rapports écrits est un motif d'annulation de la procédure (lien)
Je cite Le Guide de Fonctionnement des Commissions de Spécialistes : "Les rapports doivent impérativement être écrits, signés et datés : leur caractère communicable à l’issue du concours de recrutement implique que ces rapports doivent être rédigés avec la plus grande rigueur : tout manquement à ces règles élémentaires peut provoquer l’annulation d’un concours pour vice de forme."

Ouf, me voilà presque rassurée : reste encore à savoir ce qu'ils entendent par "à l'issue du concours de recrutement" : Est-ce que ça correspond à la date de la publication officielle des classements, ou alors à la date limite des choix d'affectation des candidats, ou alors plutôt à la fin des auditions ? Bon, en tout cas il y aura bien un moment où toutes ces dates seront passées et où je pourrai me permettre d'insister lourdement sur ma requête (j'ai déjà demandé les rapports dans les facs où j'ai été auditionnée, et aucune des deux ne m'a répondu à ce jour - même pas pour me dire "houlà, z'êtes bien pressée vous, attendez voir un peu").



Enfin, Baptiste rappelle quelques éléments importants (que dis-je importants, fon-da-men-taux) que tout candidat à un poste de MCF doit garder en tête :


  • Que les membres de la commission de spécialistes devraient être connus des candidats. Par exemple, à ma première audition on ne m'a pas proposé d'en prendre connaissance, alors pour la seconde j'en ai explicitement fait la demande, alors qu'apparemment ce n'était pas prévu (par contre, pas moyen d'avoir la liste des auditionnés, ce que j'ai trouvé super étonnant vu le secret de Polichinnelle que c'est : on se connaît presque tous puisqu'on est dans le même profil et que donc on se voit en conférences, dans des projets, etc., voire même des fois on est amis... mais bon).

  • Il rappelle qu'il ne faut pas hésiter à faire savoir si l'on se sent lésé par un recrutement. Sur ce point, le problème tel que je le conçois vient de deux points : 1/ Tout d'abord parce dans le panier de crabes dans lequel on essaie désespérément de rentrer, si l'on commence à ruer dans les brancards d'un côté, ça risque de se savoir partout... et paf, on passe vite fait pour l'emm** de service. 2/ Ensuite parce que, concrètement, je ne vois pas trop ce que ça pourrait changer, et comment. C'est vrai que je n'ai pas encore reçu mes rapports donc je ne peux pas savoir ce qu'il y a précisément dedans et si ça me donnera vraiment des infos sur ce qu'on a bien pu me reprocher, mais tout de même dans la mesure où d'une part je ne saurai pas ce que les candidats classés devant moi ont eu, eux, comme rapport, et d'autre part où les CS ne sont pas censées divulguer ce qui s'est passé pendant les débats... ben, je ne vois pas sur quoi je pourrais bien me baser pour critiquer ce qui a été fait. Z'allez me dire, c'est probablement fait pour ça, ben justement c'est tellement bien pensé que comme d'hab' c'est le demandeur d'emploi qui se retrouve lésé et sans aucun recours.


A part ça...



Une idée quelle est bien ici, tellement bien, tellement simple et lumineuse, que j'y avais même jamais pensé ! Imaginez : on aurait le droit de candidater sur des "vrais" postes (entendez, des pas précaires) à la condition que l'on ait obtenu notre doctorat avant l'entrée en fonction, et non pas avant la date de candidature. Pour rappel de la procédure actuelle :


  • 1/ On soutient notre thèse d'abord.

  • 2/ Ensuite on fait un dossier de demande de qualification.

  • 3/ Si on a obtenu notre qualification, on peut candidater sur des postes de MCF.

  • 4/ Si on a été classé, on fait notre choix parmi les classements, et l'on sera affecté dans le premier poste disponible dans l'ordre des choix que l'on a faits.


Dans le détail, les postes de MCF commencent en septembre dans la plupart des cas ; les choix se font en juin-juillet ; la procédure de recrutement a commencé en février, quand la liste des postes ouverts est parue au J.O. ; pour pouvoir répondre à ces appels, qui paraissent en février donc, il faut avoir été qualifié, et pour cela il faut avoir envoyé un dossier complet avant, pour 2006 p.ex., le 15 décembre (NB : c'est de plus en plus tôt, il y a quelques années c'était à la mi-janvier) ; et pour pouvoir envoyer ce dossier, il faut avoir déjà soutenu sa thèse, i.e. avant le 15 décembre (il faut aussi s'être pré-inscrit aux qualificiations en octobre parce que sinon c'est cuit, mais bon ça n'est qu'une procédure administrative, rien de compliqué, faut juste y penser). Pour un poste au mois de septembre suivant ! Alors, entre temps, on fait quoi ? Avec de la chance on réussit à trouver un job précaire. Avec moins de chance, on est au chômage. Si l'on pouvait candidater sur des postes moyennnant l'obtention de la thèse entre temps, on soutiendrait avant septembre et hop, à la rentrée on pourrait entrer en fonction directement. Mais ce serait trop simple, non ?


Pendant ma soutenance, le président du jury, ancien soixante-huitard qui n'a jamais baissé les armes, a fait tout un laïus là-dessus. Au-delà du fait que ça a fait rire toute l'assemblée, j'ai trouvé ça simplement génial et tellement humain et important de profiter de cette occasion-là, comme de toutes les autres, pour faire connaître ce qui se passe, pour expliquer, pour s'insurger.


Sur le même blog il y aussi l'histoire de Frédéric, candidat aux fonctions de MCF, qui est tout à fait classique et tellement désolante. A lire pour avoir des compléments d'info sur comment ça se passe dans ce monde qui reste inconnu des masses.


Et pour finir, voici le Guide du fonctionnement des commissions de spécialistes, à mettre entre toutes les mains intéressées.


mercredi 16 mai 2007

Appétit de lion

La thèse du lapin.


Scène : Une belle journée ensoleillée dans la forêt, un lapin est assis devant son terrier, tapant à sa machine à écrire. Vient alors un renard, sorti se balader.

Renard : "Sur quoi est-ce que tu travailles ?"
Lapin : "Ma thèse."
Renard : "Ahhh. De quoi s'agit-il ?"
Lapin : "Oh, je travaille sur comment les lapins mangent les renards."
(pause incrédule)
Renard : "C'est ridicule ! N'importe quel idiot sait que les lapins ne mangent pas les renards."
Lapin : "Bien sûr que si, et je peux le prouver. Viens avec moi."
Ils disparaissent tous les deux dans le terrier du lapin. Après quelques minutes, le lapin ressort, seul, et retourne taper à la machine.
C'est alors qu'arrive un loup qui s'arrête pour observer le lapin travailleur.
Loup : "Qu'est-ce que tu écris ?"
Lapin : "Je fais une thèse sur comment les lapins mangent les loups."
(rires bruyants)
Loup : "Tu n'espères pas publier de telles âneries, quand-même ?"
Lapin : "Pas de problème. Tu veux voir pourquoi ?"
Le lapin et le loup entrent dans le terrier, et à nouveau le lapin ressort seul, après quelques minutes, et retourne travailler.

Scène : Dans le terrier du lapin. Dans un coin, il y a un tas d'os de renards. Dans un autre, un tas d'os de loups. De l'autre côté du terrier, un énorme lion se cure les dents en rôtant.

(Fin)

Moralité : Peu importe le sujet de thèse que vous choisissez. Peu importe les données que vous utilisez. Ce qui importe, c'est qui est votre directeur de thèse.

Seconde morale : Il ne suffit pas d'avoir un lion comme directeur de thèse, il faut aussi qu'il ait plus d'appétit que les autres lions en jeu. Et aussi, qu'il dirige son appétit au bon endroit, et non pas qu'il change d'objectif en cours de route : on peut difficilement monter un nouveau parti politique, se présenter à la mairie d'une grande ville, et rester disponible pour ses ouailles fidèles et naïves.



La bonne nouvelle c'est que je ne suis plus une docteure nomade : je suis une docteure au chômage certes, mais une docteure provençale.


Il me semble que la misère serait moins pénible au soleil.
(Charles Aznavour)

dimanche 13 mai 2007

Se battre

Je reprends ici une conversation que l'on a commencée avec loulie sur un sujet du forum SV. Elle me demandait :


tu te bats POUR quoi dans ton travail ..(ou DANS quoi pour ton travail, euh !)

Hé bien, je réfléchis et il y a plein de réponses possibles qui me viennent à l'esprit.


Tout d'abord, je me suis battue pour me faire une place dans mon lieu de travail : être présente, être gentille, être abordable, tout le temps, tous les jours, quelle que puisse être mon humeur... --> Je me suis battue pour paraître.


Ensuite, je me suis battue avec moi-même pour faire des choses que je n'avais pas envie de faire, parce qu'il le fallait bien, pour mon dossier, pour me faire connaître, etc. --> Je me suis battue pour entrer dans un cadre de ce qu'il faut, de ce qu'on doit.


Parmi ces choses, j'ai passé d'avril à décembre dernier à bosser quasiment 7 jours sur 7, abandonnant tout de la vie de la maison, ne m'occupant plus de rien à part de mon boulot, c'est-à-dire faisant une croix sur les courses, le ménage, la cuisine, la lessive, le jardinage, et puis aussi les préparatifs de notre déménagement qui est arrivé à ce moment-là, et puis même notre mariage aussi... deux fois par jour je m'accordais une demi-heure où je mettais le nez dehors, éblouie par la lumière de l'été, et je regardais ce que mon mari avait fait (une tonnelle, une table, préparé le jardin,...), tout seul, pour nous deux. L'intégralité de mon temps était consacré à ce travail que je devais finir, ou aux quelques moments de décompression obligatoire pour tenir le coup. Le salon, unique "pièce à vivre" de notre petite maison, était complètement dévoué à mon boulot, rempli de bouquins, de papiers, de brouillons, etc. Il paraît que c'est normal dans ce que je fais, que tout le monde passe par là. --> Je suis battue pour faire abstraction de la réalité pendant un moment.


Juste après la fin de la période précédente, je n'ai même pas eu une journée pour me reposer : dès le lendemain j'ai dû commencer à chercher un poste. D'abord j'ai passé des mois (depuis décembre) à faire des dossiers, à réfléchir à ce que je pouvais mettre dedans, à ne faire que ça, tout le temps, pour que ça soit d'excellents dossiers. J'y ai passé un temps fou. --> Je me suis battue pour être la meilleure.


Et ensuite, j'ai préparé les auditions qui viennent après les dossiers, si tout se passe bien et qu'on est pré-sélectionné. Là, il s'est agi (je mets au passé mais c'est pas encore fini) de convaincre des gens que je connais pas, en 10 minutes, c'est-à-dire finalement à faire une vraie démontration de cirque, "...et maintenant mesdames et messieurs, le saut périlleux arrière, regardez, sans filet, attention attention..." --> Je me suis battue pour devenir une bête à concours.


J'ai également fait plus de 1500 km par semaine pendant huit mois pour exercer mon travail. Il y a eu des jours où je me réveillais en larmes parce que je ne voulais pas y aller, parce que j'en pouvais plus de ces 6h de train, parce que j'avais aucune envie d'être encore séparée de mon mari et de toute ma vie, alors que je venais à peine de rentrer. On a presque arrêté de voir nos amis parce qu'on avait besoin de se retrouver, tout le peu de temps qu'on était ensemble. Il y a eu des jours où je tombais à genoux, plus une force, plus rien. Il y a eu des jours où j'ai voulu démissionner, sachant que ça aurait mis un point final à ma carrière entière, assurément. --> Je me suis battue pour aller au-delà de mes limites.


Finalement, le dernier espoir de décrocher un poste qu'il me reste, ce n'est pas dans ma région. Professionnellement ça sera sans doute très bien, mais ça veut dire que je devrai quitter mon pays, et que mon mari fasse pareil. Que l'on quitte nos racines et nos familles (et lui, son travail, accessoirement) à un moment qui n'est pas le meilleur venu de ce point de vue-là. --> Je me bats pour me convaincre que c'est une bonne chose.


Aujourd'hui, même si j'en ai marre, même si je suis usée je le sens bien, ça va mieux. Le rythme est nettement plus cool, trop même, d'un coup : le sevrage n'est pas très facile, et en même temps, comme ce n'est pas encore tout à fait fini, je ne peux pas me démobiliser complètement, au contraire je devrai être capable encore dans quelques jours de donner le meilleur de moi-même pour ma dernière audition, la dernière avant le chômage. La dernière avant que mon orgueil ne soit définitivement passé au rouleau compresseur de la réalité professionnelle...


Voilà pour quelques éléments de réponse. Evidemment il y a aussi plein de points positifs à tout cela, mais ce n'était pas la question. Et je sais pertinement que j'ai encore le nez dans le guidon et que c'est pour ça que j'ai du mal encore à faire la part des choses. Je me sens pour l'instant blessée, contrainte, et fatiguée. J'attends qu'un peu de temps soit passé pour y revenir avec l'esprit moins lourd sur cette question. En tout cas, ces points sont certains d'une liste des raisons pour lesquelles je disais que je souffre de déformation professionnelle quand j'essaie a priori de me battre, dans tous les domaines, au lieu de laisser faire, de laisser venir, de laisser vivre, et de profiter.


mercredi 18 avril 2007

Mirza 2 - CNRS 0

Evidemment, il a suffit que je me plaigne pour que mes voeux soient enfin exhaucés : les résultats de la section 45 ont été publiés hier (juste le jour où je n'avais pas accès au web de toute la journée ;-)


Et tout aussi évidemment, je ne suis pas dedans. Bon, ce sont tous des psycholinguistes, je n'étais pas du tout dans ce profil. Regrets oui, mais regrets raisonnables.


Hier aussi j'ai passé ma seconde audition, dans ma section de spécialité cette fois : la 34, portant le doux intitulé de "Langue, Langage, Discours". Un peu plus de 80 candidats si je me souviens bien ce qu'on m'avait dit, tous les dossiers recevables (i.e., complets) sont auditionnés sur 3 jours, le tout pour 3 postes, sans profil cette fois. Autant dire que ça usine dur.


Convoquée à midi, donc passage à 12h30 (ils convoquent une demi-heure plus tôt afin de permettre un éventuel échange de passage entre deux candidats, parce que dans la théorie "Toute absence, même justifiée, est éliminatoire", c'est écrit sur la convovation). J'arrive plus tôt, par le train de 6h49, arrivée un peu avant 10h, une petite heure de RER + Tramway + marche pour arriver à Meudon, et installation du QG de campagne dans le bar d'en face, en terrasse au soleil, attendant la sortie d'un ami qui passait à 10h.


Attente devant la salle de mon sous-jury. Fais les cent pas, repire avec le ventre, bois régulièrement une gorgée d'eau agrémentée de Rescue, sens mon coeur qui se met à battre de plus en plus fort, mes jambes qui commencent à trembler. De cette salle-là (ce n'est pas la même que pour mon audition précédente), il n'y a pas de fenêtre d'où l'on voit le jury, mais par contre on entend les voix qui passent à travers la porte, et ce que j'entends n'est guère rassurant. Soyons honnête : quoi que j'aie pu entendre, de toute façon je n'aurais pas été rassurée. Ici la candidate précédente, non native francophone, avait une toute petite voix tremblante et non assurée, bafouillait, semblait globalement molle. Voix de femmes qui posent des questions : ça a l'air d'être piquant, presque acide, aux intonations : je ne refuse de m'approcher de la porte ou de tendre l'oreille pour avoir plus de détails, ça serait encore pire. Si ça avait été le contraire, si la candidate avait semblé très sûre d'elle et le jury conquis, j'aurais été tout aussi stressée, de toute façon ça n'est pas chouette de les entendre. Tendue, donc.


Une amie arrive, qui passe l'après-midi et qui était venue repérer sa salle. On papote en chuchotant, et puis la candidate sort, pendant que le jury fait la transition entre elle et moi : premières impressions sur elle, et puis présentation de moi par les deux rapporteurs de mon dossier (on ne dit pas au candidats de qui il s'agit).


Le président du jury sort et m'invite à entrer. J'entre donc. Je tends ma clé USB pour que l'on lance ma présentation sur le vidéo-projecteur, pendant ce temps je montre ma carte d'identité et signe un papier attestant que je me suis bien présentée, et que c'était vraiment moi. Etonnement : la dernière fois ils avaient fait un tour de table pour se présenter, cette fois non, on me donne tout de suite la parole. Je commence, mes jambes flageollant, sans avoir eu l'occasion de regarder chacun des membres dans les yeux une première fois (c'est dommage, c'est important ce premier lien). Je parle, posément, sûrement, sans trembler, mais je me sens moins concentrée que la dernière fois. Je me reprends quelques fois. Je finis 2 minutes avant la fin de mon temps de parole : tant mieux. Et commencent les 10 minutes de questions.


Je passe là-dessus, mais globablement je suis déçue : tout le monde n'a pas eu le temps de me poser une question, et je me suis sentie plus attaquée que la fois dernière. Comme je ne connais pas du tout, ou au mieux qu'un minimum les membres du jury (c'est normal, la linguistique c'est très large), je ne sais pas quelles sont leurs tactiques : certains piquent pour tester les épaules du candidat et c'est plutôt un encouragement, d'autres piquent aussi, mais pour le démonter. Certains tiennent à toujours poser des questions pour placer la recherche dans leur propre champ disciplinaire, d'autres préfèrent laisser la parole aux spécialistes. Certains aussi ont faim parce qu'il est midi et demie, certains ont sans doute déjà leurs favoris, etc., et je ne peux évidemment pas savoir tout ça. Alors je fais ce que je peux, avec mes tripes, mes connaissances et mes convictions. On coupe la parole à l'un des membres du jury pendant qu'il pose une question : le temps est écoulé et il faut rester équitable avec les candidats.


Je ressors. Pas de soulagement. Pas de sourire scotché aux lèvres comme la dernière fois, pas de douce impression d'être invincible et d'avoir été bonne, juste le sentiment de n'avoir offert que la prestation d'un candidat lambda, pas mauvaise mais ne sortant pas du lot. Déçue. Triste.


Faire une croix sur le CNRS. Reconnaître et m'avouer l'échec. On me dit que non, de ne pas faire de croix tant que les résutalts n'ont pas été donnés, que l'on ne sait jamais à l'avance comment eux l'ont vécu, que ça dépend aussi des prestations des autres et des soutiens extérieurs,... mais il faut être raisonnable : le plus objectivement possible, j'ai été "bien mais pas top". Il faut sortir du lot, et comme le dit très bien le guide du doctorant :


Vous devez convaincre le spécialiste de la coquille d’escargot qu’il est intéressant d’étudier les sabots de cheval.

C'est même plus que ça : on doit convaincre le spécialiste de la coquille d'escargot que l'étude des sabots de cheval est une piste incontournable pour résoudre les problèmes d'étude des coquilles d'escargot, de toutes les coquilles et même des animaux en général. Que les sabots de cheval sauveront le monde. Mais sans le dire ouvertement sous peine d'être taxé de sabotdechevalcentrisme, non : il faut que ça soit le coquilleur qui en vienne à cette conclusion de lui-même, rien qu'en nous écoutant parler 15 minutes. Et là, je n'estime pas que ma prestation était à cette hauteur-là, loin s'en faut. Manque de recul, de perspective. Et puis quelques points qui pèchent dans mon dossier : pas de publications dans des revues, pas de postdoc à l'étranger. Même si le reste, à mon avis, est honnêtement bien (bon dossier, bon projet, bonne implication dans le milieu, bonnes lettres de recommandation, bons résultats jusqu'à présent, bonne connaissance du domaine,...).


Faire une croix sur le CNRS, donc. Dommage. Je regrette. Et puis ces dernières semaines, je me demandais à quelle expérience d'échec je pouvais rattacher ça pour relativiser : je n'en ai pas trouvé. Tous les examens, concours... importants de ma vie,


  • le permis de conduire (je me souviens, au code le gars qui avait annoncé les résultats avait dit "Il n'y a qu'un seul zéro faute" : c'était moi),

  • le bac (pas top, mais juste ce qu'il fallait pour passer à autre chose : juste ce que je voulais),

  • les exams de la fac (sauf ceux où je n'étais même pas allée parce que de toute façon je n'avais aucune intention de continuer),

  • les diverses bourses au mérite et allocations de recherche,

  • le monitorat,

  • le poste d'Ater spécifique l'an dernier alors qu'il n'avait pas de poste disponible,

  • le poste d'Ater de cette année où j'avais décidé de ne pas envoyer 18 dossiers comme l'année précédente mais de cibler précisément (sachant que c'est super risqué de faire ça) : uniquement Aix (en cas de désistement de dernière minute) et Bordeaux,

  • les logements que l'on visitait et qu'on voulait louer à tout prix alors qu'on n'avait pas a priori le profil idéal,

  • les félicitations du jury à ma soutenance de thèse alors que mon directeur quelques jours plus tôt m'avait annoncé que de toute façon il s'opposerait à ce que je les aie parce qu'elles sont données trop souvent et que ça n'est censé être donné qu'aux thèses directement publiables,


...toutes les choses que j'ai vraiment voulu réussir, je les ai réussies. Et là, j'ai échoué. Et ce n'est pas faute de l'avoir voulu, ce poste au CNRS. Alors il faut que j'apprenne à gérer ça. C'est bête à dire, ça fait un peu (beaucoup ?) "pauvre petite fille riche" ou "caprice de star" mais voilà, je ne sais pas si je dois recommencer à me battre pour les années à venir, ou bien me faire une raison parce que c'était au-delà de mes capacités et accepter simplement le fait que j'ai déjà une chance inouïe d'avoir encore quelques possibilités d'être recrutée dans une fac à la rentrée, ou bien... je ne sais pas !


Bon, c'est pas la fin du monde non plus. Je ne suis pas au 36e dessous, ça va. Il fait beau, je me repose, je me remets de mes émotions. Je me change les idées. Je vais pouvoir faire quelques-uns des trucs qui attendaient que j'aie un peu de temps à y consacrer (genre... saisir le juge de promité pour qu'on se fasse enfin rembourser, par la voie du tribunal, la caution de notre ancien apparte que le proprio ne nous a toujours pas rendue...). Et je suis tout de même contente, ça n'a pas été catastrophique du tout. C'est juste que je suis, hé bien, tellement déçue ! Mon satané orgueil, que je passe le plus clair de mon temps à cacher mais qui est là, toujours, je le sais bien, a pris un coup.


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PS : Le CNRS recrute plus de 400 chercheurs en 2007, dont 271 chargés de recherche 2e classe (CR2, cf. le décret du JO). Il y a 40 sections et 7 commissions interdisciplinaires, ce qui devrait faire une moyenne de 5,77 postes de CR2 par section. En commission interdisciplinaire 45 ("Cognition, langage, traitement de l’information, systèmes naturels et artificiels") il y a eu un poste ; en section 34 ("Langue, Langage, Discours") 3 postes : où sont les 7,53 postes manquants...?


Début de réponse : en 07 ("STIC") : 25 postes, en 01 (maths) : 14 postes... et ne me parlez pas de proportion des candidats : en 07, 342 admis à concourir pour 22 postes ça fait plus d'une chance sur 15. En 01, 224 admis à concourir pour 14 postes ça fait une chance sur 16. En 45 par contre, 65 candidats pour 1 poste : une chance sur... 65. Et en 34, 83 admis à concourir pour 3 postes, ça fait une chance sur 27,66.


lundi 16 avril 2007

Allez-vous en et ne revenez plus !

J'ai auditionné au CNRS pour la section (heu, pour la commission interdisciplinaire, pardon) 45, le lundi 2 avril. Les auditions avaient lieu du lundi au mercredi, et les jurys d'admissibilité se réunissaient immédiatement après, soit le jeudi et le vendredi.


Donc me voilà le vendredi 6 avril à passer régulièrement sur la page qui donne les résultats du classement. Pas que je croie être dedans (quand-même, pour ma première, ça serait franchement inattendu), pas non pus que j'imagine que le classement aura été mis en ligne immédiatement avant la fin de la semaine en cours, mais bon sait-on jamais. Et puis rien. Ce seul message :


Les résultats du concours que vous avez demandé n'ont pas encore été publiés. Les listes des résultats des concours sont mises en ligne au fur et à mesure des réunions des jurys de concours

qui me laisse en tête-à-tête avec moi-même, face à la grande inconnue du tout premier classement de la toute première audition que j'ai passée pour un poste, un vrai, enfin, depuis le temps.


Vendredi soir donc, rien. Samedi, de toute mon énergie matinale, au saut du lit je me dis que je vais y jeter un oeil... mais évidemment, rien non plus. Je raconte ça à mon mari qui se fiche de moi, comme si le site allait être mis à jour alors que c'est le week-end, et qu'en plus c'est pas n'importe lequel : c'est le week-end de Pâques.


"Enfer et damnation ! m'écriai-je, mais si ce que tu me dis est vrai ça signifie que je n'aurai les classements ni aujourd'hui, ni même demain, et même pas non plus lundi ? Il va falloir que j'attende jusqu'à mardi ??" Profonde amertume de la jeune docteure qui, elle, a perdu depuis belle lurette tout souvenir de ce que pouvait être un week-end au sens traditionnel, c'est-à-dire un ensemble de deux jours consécutifs (48 heures, rendez-vous compte !) sans travailler. Ça existe ça ? Ben oui, et il semble que ça existe même chez les employés du CNRS.


D'où une envie de plus en plus grande d'en faire partie moi aussi : un pays merveilleux où l'on peut prendre des week-ends entiers sans travailler, sans travailler du tout, sans même prendre 5 minutes pour mettre cinq bêtes noms sur une page web ! Formidable ! Mais le temps passe, et mardi arrive. Et toujours pas de classement.


Mercredi : nada.


Jeudi : nichts. Que dalle. Peau d'balle.


Là, je réfléchis et mets au point une fine théorie : vendredi dernier, il y avait déjà les classements de la section 43. Or en 43, ils n'étaient pas nombreux alors il ont auditionné le lundi, et les jurys se sont rassemblés le mardi. Les résultats étaient en ligne le vendredi, ce qui signifie qu'il faut (au plusse) 3 jours ouvrés pour les diffuser... or comme mes jurys siégaient jusqu'à vendredi, et que vendredi + 3 jours ouvrés ça donne : mardi, mercredi, jeudi, normalement je devrais les avoir au pire le soir même...


... mais que nenni. Pas plus de classement que de beurre en branche, et toujours cette sempiternelle annonce qui n'a pas évolué d'un iota :


Les résultats du concours que vous avez demandé n'ont pas encore été publiés. Les listes des résultats des concours sont mises en ligne au fur et à mesure des réunions des jurys de concours

C'est faux, c'est terriblement faux ! Je m'insurge ! Les jurys de concours ont eu lieu déjà il y a un bon moment, et on n'a toujours pas l'ombre d'un résultat ! C'est quand-même un monde ! Appelez-moi le directeur !


Un ami qui sructe également la même page web régulièrement m'envoie un mail : "Peut-être qu'ils ont embauché un CDD à temps partiel pour s'occuper du site web, et qu'il ne travaille que le vendredi..." Comment en vouloir dans ce cas à ce pauvre gars, obligé de cumuler des temps partiels au CNRS pour mettre une once d'huile d'olive dans ses pâtes de blé dur quand les débuts de mois ne sont pas trop surchargés de factures ? Ça serait cruel, non, un peu de compassion que diable. Patientons.


Alors je patiente, je patiente... mais on est déjà vendredi soir et notre webmestre à temps partiel n'a toujours pas fait son boulot. Mon ami me renvoie un autre mail : "Peut-être que c'est un CDD à temps partiel, et qu'en plus il est en vacances..." Alors là ça devient franchement pas juste. Prendre des vacances en plein milieu du seul moment de l'année où ça serait super important qu'il soit là ! Il n'y a pas que moi qui ronge tout ce qui me passe à portée de main à force d'attendre, rien que dans ma section il y a avait 69 candidats, et ce n'était pas la seule section de cette semaine-là ! Non vraiment, c'est pas sérieux. Il n'imagine pas toute la haine qu'il cumule contre lui ce pauvre gars, à faire attendre tant de monde pour un truc si important. Mais bon, allez, passons pour les vacances (pour mémoire, vacances = succession de plus de 2 jours où l'on ne travaille pas, mais alors pas du tout, et même parfois on peut partir en voyage -- cf. section "voyage", dans le tome "Une vie existe en dehors de la recherche d'emploi post-thèse"). Patientons, patientons, de toute façon on n'a guère d'autre choix... Les vacances à la fac ça dure une semaine, là ça devrait être pareil. Je blague avec mon ami, presque sûre de mon coup, me disant que quand-même j'espère que je les aurai avant de passer ma seconde audition ! (le 17 avril, quand-même... quand-même...)


Mais pas du tout. Tout le week-end passe, le second, mais là je n'essaie même pas de regarder la page web : j'ai compris le coup, on me la fera pas deux fois. Je vacque à des occupations pasionnantes pour ne pas trop y penser, comme refaire l'ourlet de mon pantalon par exemple, mais mon sommeil est la proie de mes obsessions secrètes : je rêve d'auditions au CNRS qui se passent mal, de trajets en train où je perds mon sac et me retrouve coincée à Lyon (pourquoi à Lyon ? Parce que le 2 avril le gars qui passait avant moi venait de là-bas)... bon bon bon, je me réveille en sursaut et toute en sueur, mais tant pis. Lundi, j'aurai bien les résultats quand-même, c'est une nouvelle semaine qui commence. Hein, quand-même, allez quoi...


Mais qu'est-ce que je m'imaginais moi, hein ? Que j'allais avoir les résultats aujourd'hui ? Pfff, quelle idée ! Je commence à croire qu'on ne les aura jamais, qu'ils ont perdu le coin de nappe sur lequel ils avaient noté le classement ou qu'ils ont malencontreusement renversé leur dernier café dessus et que ça ça fait une grosse tache illisible, et qu'ils sont en train d'essayer tant bien que mal de convenir d'un nouveau rendez-vous pour refaire le débat mais que c'est compliqué de jouer avec les emplois du temps de tout le monde quand c'est un imprévu. Je commence à croire qu'en fait je n'y suis jamais allée, que tout cela n'était que l'un de mes rêves (mais heureux, celui-là). Je commence à croire qu'ils ont bien mis les résultats en ligne mais se sont trompés de section (et je ne vais pas passer les 47 une à une !). Ou bien qu'ils attendent que toutes les sections soient passées (fin avril... halala misère). Ou bien qu'ils ne sont pas encore tombés d'accord et que deux d'entre eux en sont venus aux mains et qu'ils ont dû suspendre les débats en attendant que tout le monde reprenne son calme. Ou qu'il s'est avéré que l'un des membres du jury était un imposteur (avec une fausse moustache et des lunettes) et que du coup, toute la procédure est à recommencer.


Mais surtout, je me dis que je suis trop bête d'attendre ça si impatiemment alors que finalement... il n'y aucune chance que je sois sur ce satané classement. Mais moi je voudrais le savoir, question de faire clairement une croix dessus une bonne fois pour toutes, au lieu d'attendre comme ça, attendre et attendre et encore attendre ! Ou alors qu'ils changent leur message, et qu'ils mettent à la place :


Les résultats du concours que vous avez demandé ne seront pas publiés. Oubliez donc ça, vous n'avez pas mieux à faire ? Il fait beau, sortez, profitez du printemps au lieu de croupir devant vos machines ! Ça fait 5 fois depuis ce matin que vous consultez cette page, mais n'insistez pas : vous n'aurez pas les résulats, que les choses soient claires. Allez, bonne continuation et changez-vous les idées. Signé : les jurys de concours.

Ça aurait plus de gueule, non ?


mercredi 11 avril 2007

Au printemps de quoi riera-t-on ?

Il y a un an et un jour, le CPE était retiré.


Petit à petit, les facs se sont rouvertes, les cours ont repris, tant bien que mal, mais un goût amer est resté. Le goût qu'on peut avoir quand on entend quelques masses particulièrement remarquables et médiatisées crier un grand "Victoire !" alors même qu'on n'a vraiment rien gagné, qu'on n'a fait que remettre à plus tard et qu'on a, encore une fois, le sentiment d'avoir été manipulé.



A ce moment j'étais à la fac d'Aix. Elle était bloquée, comme beaucoup d'autres. Je n'avais plus de cours, j'avais fait tout mon service au premier semestre pour pouvoir rédiger ma thèse au second. Et d'un coup, je me suis retrouvée à osciller entre aller à la fac en sachant que ça serait uniquement pour participer à l'AG journalière des personnels et puis pour aller boire des cafés ensuite en refaisant le monde avec mon chef et d'autres ; ou alors rester à la maison pour bosser, tout en sachant que dans ce cas je me participais pas au mouvement, ce que je déplorais profondément. J'avais décidé de couper la poire en deux : aller à la fac deux jours par semaine, à peu près. Résultat : je n'ai ni bien bossé ni bien participé, mais ce n'est pas grave, j'ai pris part aux deux autant que je le pouvais.



Pendant ces mois de mobilisation, d'un coup, j'ai vu se produire un changement radical dans l'attitude des étudiants. De passifs, ils sont devenus profondément actifs. Ils se sont mis à réfléchir aux raisons pour lesquelles ils étaient là, et pas seulement tous seuls dans leur coin non, mais collectivement. Ils se rassemblaient quotidiennement, en AG ou en groupes plus restreints (plus faciles pour prendre la parole...) pour discuter et élaborer des projets. Ils revotaient le blocage. Et nous on votait notre soutien à leur mouvement, et notre grève également (en fait, étant encore étudiante, je votais aux deux, niark niark). Ils réfléchissaient, ils écoutaient attentivement ce qu'on disait d'eux, ils organisaient des happenings d'information, ils réfléchissaoent chacun à leur engagement, à ce qu'ils voulaient faire. On a vu apparaître puis prendre forme un certain nombre de nouvelles têtes étudiantes que l'on verra sans doute encore longtemps. De jeunes adultes intelligents, des forts, des poètes, des grands, des honnêtes, et puis des fatigués, des rebelles, des râleurs. Ils s'écoutaient. Ils n'étaient ni la voix d'un syndicat ni celle d'un parti, ils étaient liés dans un mouvement collectif, rassemblés dans leur université et leurs inquiétudes quant à leur avenir. Ils se sont politisés eux-mêmes, au sens noble, en plongeant dedans à pieds joints ; ils ont fait leur propre politique. Pendant des semaines ils ont occupé la fac, dormant des des sacs de couchage, se relayant pour aller faire des courses, vendant du café pour gagner trois sous et en profite rpour discuter.



Ils ont fait quelque chose que je n'avais jamais vu dans ma vie d'étudiante, ils ont investi cette vieille fac inhumaine et en ont fait un véritable forum. Ce lieu dégueulasse, abandonné de tous depuis toujours, conçu pour être inhumain et repoussant, fermé, opaque, interdisant tout mouvement de masse. Vous savez, l'une de ces facs qui a été construite après 68, de telle façon qu'elle empêche les étudiants de se rassembler et de monter envahir le centre ville : à Aix ils ont opté pour un portait d'entrée ridiculement petit ; à Bordeaux, ils ont mis la fac de lettres tout au bout du campus à l'opposé de la ville.



Jusqu'à la fin de l'année universitaire les forums ont continué. Ils ne parlaient plus du CPE, ils avaient étendu leurs discussions à d'autres questions. En début de réunion il y avait comme une revue de presse, chaque volontaire présentait un sujet et ce qu'on pouvait en penser, et puis suivait un débat ; il en était ainsi de la régularisation des sans-papiers comme de questions d'écologie.


A la rentrée ils ont essayé de recommencer, mais c'est redevenu un peu mou. Malgré tout, ils ont laissé un bureau dans le grand hall, presque toujours occupé, présentant un ensemble de papiers d'information sur divers sujets, proposant du café parfois.


Et les murs du bâtiment préfabriqué de l'entrée du campus portent encore quelques stigmates de leur traitement de l'an dernier... qui nous rappellent que oui, on peut vraiment le faire.



free music


Au printemps de quoi rêvais-tu?
Vieux monde clos comme une orange,
Faites que quelque chose change,
Et l'on croisait des inconnus
Riant aux anges
Au printemps de quoi rêvais-tu?

Au printemps de quoi riais-tu?
Jeune homme bleu de l'innocence,
Tout a couleur de l'espérance,
Que l'on se batte dans la rue
Ou qu'on y danse,
Au printemps de quoi riais-tu?

Au printemps de quoi rêvais-tu?
Poing levé des vieilles batailles,
Et qui sait pour quelles semailles,
Quand la grève épousant la rue
Bat la muraille,
Au printemps de quoi rêvais-tu?

Au printemps de quoi doutais-tu?
Mon amour que rien ne rassure
Il est victoire qui ne dure,
Que le temps d'un Ave, pas plus
Ou d'un parjure,
Au printemps de quoi doutais-tu?

Au printemps de quoi rêves-tu?
D'une autre fin à la romance,
Au bout du temps qui se balance,
Un chant à peine interrompu
D'autres s'élancent,
Au printemps de quoi rêves-tu?

D'un printemps ininterrompu

Jean Ferrat, Au printemps de quoi rêvais-tu ?, 1969.





Compléments d'information et d'images :


  • Anniversaire de la mort du CPE, dossier spécial chez Bast64
    Pendant deux mois, de Rennes à Strasbourg, de Lille à Marseille, en passant par Bayonne et Paris, la jeunesse a résisté et défendu ses droits. Alors que la campagne électorale se détourne des enjeux sociaux, l'anniversaire de la mort du CPE vient comme une piqure de rappel.

  • Réflexions sur le mouvement contre le CPE chez Rote Fahn
    Le soulèvement en France a démoli ces mythes. En l'espace de quelques semaines toute une génération a été politisée. Ceux qui ont participé à cela ne seront plus jamais les mêmes qu'avant, et leur créativité et leur audace inspireront les peuples du monde dans les années à venir.

  • Il y a un an, le CPE, chez Bernouin
    Le mardi 4 avril, trois jours après l’allocution du président Chirac, les plus importantes manifestations ont lieu en France (entre 1 et 3 millions de personnes). A Nice, ce qui sera le dernier grand défilé, regroupe 9000 à 30 000 personnes, auxquelles s’ajoutent un millier de manifestants à Cannes et Grasse. Autant, de mémoire de syndicalistes, que lors des manifs contre le « plan Juppé » en 1995.

  • Aix en lutte, le blog (d'époque) de la fac de lettres d'Aix qui raconte la grève au jour le jour.


Pour ne pas oublier

L'une des choses que j'ai ressentie toute l'année et avec une intensité plus spéciale ces dernières semaines, c'est la capacité de mes pairs à oublier complètement le ressenti qu'ils ont pu avoir lors de leur propre traversée de moments difficiles, dès lors qu'ils en sont sortis. Cette espèce d'impression que si eux ont pu le faire et puis passer à autre chose, alors c'est que ça n'était pas si dur que ça, et puis presque l'impression que même si nous on est en plein dans la phase difficile, pour eux ça ne compte pas.


Dans mon métier (comme dans tous, sans aucun doute), on vit des périodes franchement difficiles. Parce qu'on n'a guère le choix (en tout cas, parce qu'on a choisi de le faire malgré tout) et parce qu'on sait que ça n'est pas insurmontable, que ça n'est pas définitif, on le fait au mieux et on s'efforce d'en rire. Parce que sauf exception tous passent par là aussi. Mais c'est vraiment dur quand on est dedans. On passe des mois et des mois à s'accrocher, à tenir le coup, à se forcer, à faire encore un effort (puis un autre, puis un autre), à se dire que c'est bientôt fini. Presque jamais on n'a le sentiment d'être bien, d'être dans son rythme, d'être dans le présent, non : on attend, on patiente, on compte les semaines qui restent.



C'est ce qu'on vit quand on a soutenu sa thèse et qu'on se retrouve Ater (attaché(e) temporaire à l'enseignement et la recherche, i.e. prof pour un an) dans une fac lointaine. On le fait parce que c'est ça ou le chômage, et parce que c'est important pour la carrière, parce que c'est très bon signe d'avoir été recruté dans une fac qui n'est pas la nôtre. Alors on serre les fesses et on y va. Comme on a (malgré tout !) une vie en dehors de ce nouvel endroit, comme on n'est engagé que pour un an (renouvelable une fois, ou alors même pas dans mon cas puisque c'était ma seconde année d'Ater c'est-à-dire la dernière), on devient nomade, telle mowgli par exemple. On vit avec sa maison sur le dos. La maison, y compris parfois le lit et la bibliothèque ;-) (et c'est pas léger, une bibliothèque...).


J'ai enchaîné les allers-retours, j'ai collectionné les billets de train, et je me suis aperçue au bout de quelques mois que je connaissais précisément tous les horaires de trains, tous les arrêts et leurs durées, tous les repères dans les paysages qui me disent à quel niveau du trajet on est, tous les quais habituels où attendre le train (même quand ils changent en période de vacances scolaires). Je savais d'avance à quel niveau du wagon était le numéro de siège qu'on m'attribuait. Je reconnaissais les contrôleurs et les vendeurs du snack ambulant. Je connaissais les messages d'accueil par coeur et m'amusais à détecter les variantes possibles, je savais expliquer aux autres passagers comment ça va se passer quand le train s'arrête et qu'ils n'ont pas à s'inquiéter pour leur correspondance et qu'ils n'ont qu'à aller voir le contrôleur en voiture tant, et qu'il y a une salle de jeux pour les enfants et qu'il y a des prises à tel endroit, des poubelles à tel autre...


On m'a (adorablement) prêté un appartement presque vide et mis en vente pour que je puisse y loger sans frais. Pas de frais certes, mais pas moyen d'y laisser mon sac de couchage, dans un quartier assez moyen (je n'aurais pas osé m'y balader en pleine nuit), avec plein de bruit (donnant sur une place de marché), une douche HS, pas de téléphone évidemment ni de connexion à internet, pas de musique. La petite frayeur à chaque arrivée le soir du train que l'autre propriétaire y soit, alors qu'elle n'était pas au courant de mon deal (et ne devait pas l'être). Des amis adorables qui m'accueillent aussi très souvent, c'est quand-même plus sympa chez eux mais et puis je me sens moins seule, moins clandestine, mais profiter de leur hospitalité toutes les semaines c'est tout de même gênant.


A la fac, on m'a affecté un bureau. Ça m'a beaucoup touchée parce que je sais à quel point c'est difficile de trouver des bureaux dans les facs déjà pour les titutlaires, alors en général les précaires n'ont que ce qui reste, c'est-à-dire rien. Oui mais... dans cette fac les bureaux des enseignants sont répartis sur deux bâtiments et sur trois étages de chaque. Résulat : à part mon co-bureau (j'ai eu une chance folle : il est adorable), je ne croisais personne. Pas de lieu de centralisation de l'équipe pédagogique dans cette fac, pas moyen de rencontrer les autres enseignants de l'équipe à moins de savoir précisément où sont leur bureaux, et quand ils sont là. Oui, parce que n'ayant pas de lieu, les enseignants ont tendance à ne pas être là tous les jours, mais seulement quand ils ont cours. Je n'ai pas l'habitude de ça, j'ai appris à ête tous les jours au bureau, moi.


J'ai appris à être tous les jours au bureau, et là je ne peux pas le faire, de toute façon. Parce que je dois rentrer chez moi. Je dois rentrer chez moi, parce que je suis une clandestine dans l'appartement qu'on me prête et parce que mon mari me manque. Terriblement. Certains arrivent à, et même certains apprécient d'être régulièrement séparés de leur conjoint, mais nous on ne peut pas. On a essayé de le prendre avec philosophie, mais pas moyen : c'est trop dur, on n'est pas faits pour ça. Et puis on a vécu des années et des années en étant tous les jours ensemble. C'est devenu une partie essentielle de note vie. Sans ça, on est incomplets. Alors je souffre. Je souffre de ne pas voir mon mari quand je suis au travail, et je souffre de ne pas pouvoir aller au travail tous les jours quand je suis à la maison. J'ai passé mes 5 ou 6 dernières années à être présente tous les jours dans mon labo, c'est quelque chose de très, très différent de ne pas le faire, ça demande un temps d'adaptation et puis je me rends compte que de la même façon que pour la séparation avec mon mari, je ne suis pas faite pour travailler à la maison. C'est frustrant. J'ai essayé de compenser en allant dans mon ancien labo régulièrement quand j'étais sur Aix, mais c'était encore plus difficile : je ne fais plus partie de ce labo, et je voulais marquer ce coup. Et m'y retrouver toutes les semaines... ça me rendait immédiatement malheureuse parce que je reprenais tout de suite mes habitudes, pour devoir les abandonner le lendemain pour partir dans ma nouvelle fac. Donc j'ai abandonné cette tentative et j'ai bossé chez moi.


Mais du coup, à travailler à la maison j'ai perdu cette distinction essentielle entre lieu de travail et lieu de non-travail. Difficile aussi de faire des coupures entre les moments de boulot et ceux de détente, d'occupation de la maison, de simple plaisir, quand tout se passe dans la même pièce.


Il y a les sous aussi. C'est tout bête de le dire, mais je n'ai pas souvenir d'avoir vécu des situations aussi difficiles dans mes finances. Même ma première année où l'on vivait avec trois fois rien, c'était moins difficile. Cette année le banquier m'a téléphoné en moyenne tous les 15 jours pour me demander de faire quelque chose parce que mon compte était à découvert... et quasiment à tous les coups c'est ma mère qui a dû nous sortir de la panade. Même plus indépendante financièrement, à mon âge et alors qu'on travaille tous les deux, y'a pas de quoi être fiers. Tout ça parce qu'on voulait avoir une maison avec un jardin ? Non, même pas : le moindre petit apparte dans une résidence idiote loin du centre ville (devenu complètement inabordable) et le long de l'autoroute aurait coûté le même prix. Les dépenses intempestives ? Non plus : c'est ma mère qui m'achète mes vêtements depuis quelques années maintenant, mon mari n'en achète simplement plus du tout. Quelques bouquins de temps en temps (mais on a arrêté dès qu'on a pu s'inscrire à la bibliothèque), un resto une fois par mois qui constitue notre unique sortie (plus de ciné, plus de théâtre, plus de concerts). On a consacré un budget incroyable aux billets de train (et encore, c'est ma mère qui m'a payé mon abonnement fréquence), et puis aux autres transports collectifs aussi : 1€ de tram à chaque trajet, 1,10€ de bus pour aller à Aix puis 3,70€ de bus entre Aix et Marseille, ou bien 1,60€ de parking quand mon chéri m'amène à la gare en voiture...


Et puis il y a eu le temps. J'ai calculé hier soir : 12 semaines de cours dans un semestre, sur deux semestres ça fait 24 semaines. Deux trajets en train chaque semaine, ça fait 48 trajets. Moins les quelques semaines où je n'y suis pas allée (pour ma soutenance, ce genre de chose), disons 40 trajets. Chaque trajet en train durait 6h en moyenne (en fait c'est plus, mais c'est pour faire un nombre rond), donc 6h x 40 trajets = 240 heures de train. Ça fait 10 fois 24h, donc comme si j'avais passé 10 jours entiers à faire du train. Et ceci sans compter les heures de tram, de bus et de voiture pour aller de mon point de départ jusqu'à la gare, en tout en gros je mettais un peu plus de 8h à faire un trajet complet.


Au début de l'année j'étais super motivée et je n'avais guère le choix avec ma thèse à finir : je bossais sans mal dans le train. Mais bizarrement, dès la semaine suivant ma soutenance, plus moyen de travailler dans le train : ça me donnait la nausée. Dans les moments de grosse bourre j'arrivais à m'y remettre un peu, mais dans la plupart des cas c'était devenu impossible. Et puis mon iPod a rendu l'âme juste au lendemain de la soutenance, et je me retrouvais à la merci des divers bruits du train (conversations téléphoniques ou non, lecteurs de dvd de voyage inévitablement munis d'écouteurs qui permettent gentiment d'écouter le film aussi bien pour celui qui les porte que pour tout le monde autour, chats qui maulent et enfants qui crient, etc.). Bizarrement aussi, quand je prends le train pour Paris, j'arrive à travailler sans mal...


Au final, l'impression de perdre du temps tout le temps. D'ailleurs ce n'était pas qu'une impression !


Puis il y avait aussi le changement d'activité. Je n'ai pas eu le temps de faire de recherche du tout cette année. Entre les cours et leur préparation, les heures de train donc, et puis quelques articles, réunions et séminaires et surtout tous les dossiers de candidature à la pelle, pas une seconde pour travailler vraiment. Ça me manque, terriblement.


Et le comble c'est qu'on me l'a reproché. On m'a reproché de n'être pas assez présente sur mon lieu de recherche. On m'a dit qu'un Ater à mi-temps est chercheur à trois-quarts de temps (ben tiens, dont un mi-temps bénévole...). Je sais de mon côté que j'ai fait de mon mieux, mais les "autres", les titulaires, mes responsables divers, ne s'en sont pas rendus compte. Tous ceux qui ont vu quelques-uns de mes dossiers de candidature ont été impressionnés par leur qualité. Ça prend du temps de faire ça, et ce temps il faut bien le prendre ailleurs. J'ai passé mon année à ménager la chèvre et le chou, à attendre, à faire des efforts, à manquer de sommeil, à faire une croix sur ma recherche et sur ma vie normale, tout ça pour qu'on me reproche de ne pas faire beaucoup d'efforts.


Certains qui m'ont reproché ça avaient vécu une situation à peu près similaire en leur temps et ont complètement oublié ce que ça représentait. On m'a dit "moi je faisais comme ci comme ça" en oubliant qu'à la clé le poste tant brigué n'a même pas été obtenu, et que la vie de famille a été foutue en l'air.


D'autres ne l'ont carrément jamais vécu. Ceux qui ont eu la chance d'être éhontément supportés pour un recrutement local juste après la soutenance, en dépît du déroulement normal des la procédure, en dépît de tout projet pédagogique d'ensemble ; et qui ne prennent pas une seconde pour tenter ne serait-ce qu'imaginer ce que les nomades peuvent bien endurer.


J'en ai parlé avec mon co-bureau de Bordeaux qui a vécu la même chose que moi et ne l'a pas (encore) oublié. Il sait pertiment ce que c'est d'être Ater nomade, il sait même ce que c'est d'accepter n'importe quel recrutement sous prétexte que c'est mieux que rien et que c'est même censé être une chance, peu importe où c'est, peu importe ce que fait le reste de la famille. Il sait ce que c'est d'attendre et puis de passer son temps à chercher un moyen de revenir travailler dans sa région d'origine. Et on s'est dit qu'on ne devait jamais oublier ça, ne jamais oublier ce qu'on a bien pu ressentir, afin de ne pas faire comme ces gens et demander les étoiles à ces précaires qui nous donnent déjà la lune.



Et c'est pour ça que j'écris tout ça aujourd'hui. Je n'écris pas ça pour faire compâtir qui que ce soit à mon sort, que j'ai bien choisi, mais pour à mon tour ne pas oublier.


Hier soir je suis rentrée de ma dernière semaine de cours. Je vais encore me déplacer, pour les auditions des postes, pour des réunions, pour des conférences, pour les surveillances d'examens etc. mais je n'aurai plus de déplacements réguliers à faire. Je ne réalise pas encore, sauf que mon mari n'arrête pas de me dire qu'il est heureux que je sois "rentrée", ajoutant que j'étais "partie" depuis début septembre. Hier soir, pour marquer le coup et pour la première fois depuis 7 mois j'ai entièrement vidé mon sac à dos et je l'ai rangé. J'ai vidé ma trousse de toilette et je l'ai rangée dans le placard. J'ai mis mon sac de couchage à laver. En fait, j'ai simplement ré-emménagé dans ma propre maison. J'en avais les larmes aux yeux.


Je ne veux pas oublier tout cela et dans 10 ans me retrouver à reprocher à un demi-Ater nomade de ne pas être assez présent, de ne pas faire assez d'efforts.