Je reprends ici une conversation que l'on a commencée avec loulie sur un sujet du forum SV. Elle me demandait :
tu te bats POUR quoi dans ton travail ..(ou DANS quoi pour ton travail, euh !)
Hé bien, je réfléchis et il y a plein de réponses possibles qui me viennent à l'esprit.
Tout d'abord, je me suis battue pour me faire une place dans mon lieu de travail : être présente, être gentille, être abordable, tout le temps, tous les jours, quelle que puisse être mon humeur... --> Je me suis battue pour paraître.
Ensuite, je me suis battue avec moi-même pour faire des choses que je n'avais pas envie de faire, parce qu'il le fallait bien, pour mon dossier, pour me faire connaître, etc. --> Je me suis battue pour entrer dans un cadre de ce qu'il faut, de ce qu'on doit.
Parmi ces choses, j'ai passé d'avril à décembre dernier à bosser quasiment 7 jours sur 7, abandonnant tout de la vie de la maison, ne m'occupant plus de rien à part de mon boulot, c'est-à-dire faisant une croix sur les courses, le ménage, la cuisine, la lessive, le jardinage, et puis aussi les préparatifs de notre déménagement qui est arrivé à ce moment-là, et puis même notre mariage aussi... deux fois par jour je m'accordais une demi-heure où je mettais le nez dehors, éblouie par la lumière de l'été, et je regardais ce que mon mari avait fait (une tonnelle, une table, préparé le jardin,...), tout seul, pour nous deux. L'intégralité de mon temps était consacré à ce travail que je devais finir, ou aux quelques moments de décompression obligatoire pour tenir le coup. Le salon, unique "pièce à vivre" de notre petite maison, était complètement dévoué à mon boulot, rempli de bouquins, de papiers, de brouillons, etc. Il paraît que c'est normal dans ce que je fais, que tout le monde passe par là. --> Je suis battue pour faire abstraction de la réalité pendant un moment.
Juste après la fin de la période précédente, je n'ai même pas eu une journée pour me reposer : dès le lendemain j'ai dû commencer à chercher un poste. D'abord j'ai passé des mois (depuis décembre) à faire des dossiers, à réfléchir à ce que je pouvais mettre dedans, à ne faire que ça, tout le temps, pour que ça soit d'excellents dossiers. J'y ai passé un temps fou. --> Je me suis battue pour être la meilleure.
Et ensuite, j'ai préparé les auditions qui viennent après les dossiers, si tout se passe bien et qu'on est pré-sélectionné. Là, il s'est agi (je mets au passé mais c'est pas encore fini) de convaincre des gens que je connais pas, en 10 minutes, c'est-à-dire finalement à faire une vraie démontration de cirque, "...et maintenant mesdames et messieurs, le saut périlleux arrière, regardez, sans filet, attention attention..." --> Je me suis battue pour devenir une bête à concours.
J'ai également fait plus de 1500 km par semaine pendant huit mois pour exercer mon travail. Il y a eu des jours où je me réveillais en larmes parce que je ne voulais pas y aller, parce que j'en pouvais plus de ces 6h de train, parce que j'avais aucune envie d'être encore séparée de mon mari et de toute ma vie, alors que je venais à peine de rentrer. On a presque arrêté de voir nos amis parce qu'on avait besoin de se retrouver, tout le peu de temps qu'on était ensemble. Il y a eu des jours où je tombais à genoux, plus une force, plus rien. Il y a eu des jours où j'ai voulu démissionner, sachant que ça aurait mis un point final à ma carrière entière, assurément. --> Je me suis battue pour aller au-delà de mes limites.
Finalement, le dernier espoir de décrocher un poste qu'il me reste, ce n'est pas dans ma région. Professionnellement ça sera sans doute très bien, mais ça veut dire que je devrai quitter mon pays, et que mon mari fasse pareil. Que l'on quitte nos racines et nos familles (et lui, son travail, accessoirement) à un moment qui n'est pas le meilleur venu de ce point de vue-là. --> Je me bats pour me convaincre que c'est une bonne chose.
Aujourd'hui, même si j'en ai marre, même si je suis usée je le sens bien, ça va mieux. Le rythme est nettement plus cool, trop même, d'un coup : le sevrage n'est pas très facile, et en même temps, comme ce n'est pas encore tout à fait fini, je ne peux pas me démobiliser complètement, au contraire je devrai être capable encore dans quelques jours de donner le meilleur de moi-même pour ma dernière audition, la dernière avant le chômage. La dernière avant que mon orgueil ne soit définitivement passé au rouleau compresseur de la réalité professionnelle...
Voilà pour quelques éléments de réponse. Evidemment il y a aussi plein de points positifs à tout cela, mais ce n'était pas la question. Et je sais pertinement que j'ai encore le nez dans le guidon et que c'est pour ça que j'ai du mal encore à faire la part des choses. Je me sens pour l'instant blessée, contrainte, et fatiguée. J'attends qu'un peu de temps soit passé pour y revenir avec l'esprit moins lourd sur cette question. En tout cas, ces points sont certains d'une liste des raisons pour lesquelles je disais que je souffre de déformation professionnelle quand j'essaie a priori de me battre, dans tous les domaines, au lieu de laisser faire, de laisser venir, de laisser vivre, et de profiter.
4 Commentaires :
Je sais que tu restes mobilisee a fond pour ce dernier (ou presque) round , tu sais que c'est le bon; alors vas-y confiante en toi , en toutes tes possibilit�s de persuasion, de clart�, de gentillesse, d'ecoute, Ton dossier est tres bien prepare alors aies confiance en toi ( je suis la pres de toi, je t'encourage tu le sais) et tu sais que je ne suis pas la seule a le faire;et fonce quand il le faut, ne te laisse pas abattre par les quelques remarques ou critiques qui derangent ; la aussi tu sais faire, je t'ai vu a la soutenance c'etait parfait! Tu sais qu'ils t'attendent � ce poste qui est fait pour toi; alors n'aie crainte. Dans le train regarde le paysage, repose toi un peu, grignote ce qui te plait, bois ( pas trop de caf�) plutot de l'eau. prends tes petites goutes miracles mais pas trop , ce n'est pas la peine; tout ira bien j'en suis sure; allez bon courage , on pense a toi tr�s fort.
tandis que l'orage gronde, je suis votre torrent, sans voie! si le travail manuel est mal rémunéré,le travail intellectuel reste lui méconnu.
Votre colére jette sur "ce temps passé" un éclairage édifiant. D'un côté on eut pu penser que vous n'avez pas à vous justifier & puis le dire souligne bien des impasses actuels.
Puissiez vous rester armée de votre courage!
Tu sais, pas de pays sans paysans...
Merci pour ces commentaires.
A vrai dire, pour l'instant c'est tellement à vif chez moi que j'ai du mal à réagir avec sérénité, avec un tant soit peu de recul. Mais maintenant, je sais que je vais avoir tout plein de temps pour y réfléchir, pour prendre du recul, et pour me relancer dans ma vie, sans me battre constamment, cette fois !
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