C'est bizarre, initialement je n'avais pas spécialement l'intention d'aborder ça ici, mais dès la lecture des premiers mots de ce texte sur la Revue des Ressources, j'ai eu envie d'en parler, d'un coup.
Pas que ça ait un rapport avec l'histoire qui est contée dans le texte d'Antoine Dole. Non, pas du tout. Mais mon père est mort il y a dix ans, et je garde toujours des images du jour de l'enterrement dans ma tête. Sans doute ambîmées par le temps qui est passé, mais toujours présentes.
Je me souviens d'amis à moi, plein, des proches, des que je pensais pas assez proches pour venir mais qui sont venus quand-même. Il y en a qui m'ont serrée dans leurs bras et qu'on dit, les larmes aux yeux et la voix tremblante que jamais ils ne me laisseraient tomber. A la réflexion, je me demande pourquoi ils m'avaient dit une chose pareille, et ce n'est même pas parce que dès le lendemain ils avaient repris leur routine (le seul qui a été là après l'enterrement, c'en est un qui n'était pas là ce jour-là, et que je connaissais à peine). Sans doute parce que justement, ils savaient qu'ils allaient le faire et voulaient s'en excuser d'avance du mieux qu'ils le pouvaient. Après l'enterrement on est allés chez une copine parce que j'avais besoin de prendre l'air, et déjà c'était redevenu comme si rien ne s'était passé. Je me souviens de sa voiture et puis de la maison de son père que je voyais pour la première (et dernière) fois. Elle avait été ma meilleure amie pendant toute ma petite enfance, on était inséparables. Jusqu'à ce qu'on soit séparées.
Je me souviens de la famille de mon père. C'est simple, ça s'arrêtait à mon oncle qui est aussi mon parrain, et puis sa femme. Ni leurs enfants, ni ma tante et les siens. Et personne d'autre, de toute façon il n'y a personne d'autre dont j'ai jamais entendu parler : pas de cousins, d'oncles, de tantes à lui. Quelques temps plus tard, alors que ma mère les appelait souvent pour échanger des nouvelles, mon oncle lui a dit de ne plus téléphoner, de ne plus donner de nouvelles, de rompre le contact. (A présent il essaie de reprendre contact avec moi, c'est peut-être l'approche de sa propre mort à lui qui lui fait oublier ce qu'il a pu nous dire à ma mère et à moi.)
Je me souviens de la famille de ma mère. Je m'en souviens moins bien. Il y avait mon oncle aîné et sa compagne, qui sont repartis très vite (quelque chose comme juste après le déjeuner) parce qu'ils avaient de la route à faire, et à Valence ont fait demi-tour parce qu'ils avaient oublié je ne sais plus quoi à la maison, et sont repartis directement. Une ou plusieurs tantes à moi aussi, qui ont profité du départ du premier pour s'eclipser eux aussi sous le même prétexte. Ma mère, trop fatiguée pour préparer quoi que ce soit et dans sa manière à elle, avait commandé des tonnes de nourriture pour les invités : ils sont partis en n'ayant presque rien entammé, et ne lui ont même pas proposé de l'aider à ranger. Je ne parle même pas de la soutenir ou de lui tenir compagnie, non : juste l'aider à ranger.
Je me souviens d'autres en vrac, ma marraine et amie de ma mère, deux de mes anciennes instits (je ne sais pas exactement pourquoi, pour qui elles étaient là), des collègues de ma mère mais je ne sais plus lesquels. Sans aucun doute d'autres aussi mais je ne m'en souviens plus. Assez absents, finalement, distants en tout cas.
Je me souviens du silence implacable, d'à quel point personne n'avait quoi que ce soit à dire à quiconque ce jour-là.
Je me souviens du prêtre pendant l'office (mes parents étaient croyants) qui avait fait remarquer que mon père était défroqué. Défroqué, il avait prononcé ce terme, en disant tout le mal qu'il en pensait, mais tout de même il l'avait dit alors que rien ne l'y avait obligé, il aurait pu adopter le point de vue de l'amour pour ma mère, mais non, il avait dit défroqué.
Je me souviens que moi-même je n'ai rien fait pour aider ma mère. Je me souviens qu'elle m'avait forcée, quelques jours avant, à acheter des vêtements pour l'enterrement, parce que moi je ne voulais pas. On avait fini par trouver en catastrophe un jean noir, que je porte toujours aujourd'hui malgré les trous aux fesses, et un pull gris foncé trop grand pour moi que j'ai fini par refiler à mon mari. Mais j'y repense à chaque fois qu'il le porte.
Je ne me souviens pas pourquoi je ne voulais pas m'acheter de vêtements pour l'enterrement. Je ne me souviens pas pourquoi je n'ai pas aidé ma mère. Je ne me souviens pas si j'ai pleuré ce jour-là. Je me souviens que je ne captais trop rien de ce qu'il se passait. Je me souviens que j'avais hâte que ça finisse et que j'étais soulagée que la famille s'en aille. Je ne les aimais pas. On ne les voyait jamais que pour les mariages et les enterrements, et celui-ci n'en était qu'un parmi les autres, qui n'était exceptionnel que parce que cette fois ils avaient été obligés de descendre chez nous, eux qui ne venaient jamais nous voir.
Je me souviens que j'avais décidé que c'était la fin, que je ne les reverrais plus. J'ai mis près de dix ans à me remettre de ça et à redécouvrir ma famille. L'été dernier je suis allée passer une semaine chez mon oncle, celui qui avait fait un aller-retour. J'ai appris des choses que je ne savais pas à l'époque, des choses qui gisaient en sous-marins pourissants dans les relations familiales que j'ignorais, et qui ne me concernent pas. Mais ça fait du bien de l'apprendre, finalement. Ça aide à comprendre, et à reconstruire.
Reste mon oncle paternel qui veut me revoir et dont je ne sais pas si j'ai vraiment envie de faire l'effort. Après tout il a été déguelasse avec moi et avec ma mère. Après tout du peu que je comprenais de ses folles conversations avec mon père et des commentaires de ma mère quand on se retrouvait tous les trois, je ne crois pas que ça soit quelqu'un que j'estimerais si je le connaissais moi-même. Je comptais le faire jusqu'à récemment et puis j'en ai parlé à une amie qui m'a demandé pourquoi est-ce que j'avais envie de faire ça. C'est vrai que c'est étrange, et puis ce que je sais, c'est que j'ignore précisément jusqu'à quel point il m'a blessée quand j'étais gosse.
Et puis il y a mes amis de l'époque. Je n'en vois plus un. Bah, c'est la vie.
Reste que quand mon père est mort, j'ai senti le soulagement parce que ce qui nous menaçait depuis des années, ce qui nous avais bouffé les derniers mois, était enfin arrivé et que l'on n'avait plus à le redouter. Bien sûr que c'était triste, que c'était un déchirement, mais c'était tellement attendu que ne plus l'attendre était un apaisement. Il y a eu ce grand vide aussi, ce silence, ce rien à dire qui était tellement palpable le jour de l'enterrement. Et les jours, les semaines, les mois et les années qui ont suivi aussi d'ailleurs.
Finalement c'était un assez bon condensé de nos vies : ma mère essayant maladroitement mais sincèrement d'être entourée, se démenant en vain. Moi qui fuyais, mais sans méprise sur ce que j'étais en train de faire.
La peine, la tristesse, le grand vide n'ont creusé leur sillon que longtemps après. Et avec eux tous les manques, les incompréhensions, les non-dits, les questionnements qui jamais ne trouveront de réponse.
7 Commentaires :
je me suis mis à fredonner "prendre un enfant etc" & j'ai sauté sur le texte précédent gagné par son rythme, cette prédisposition à être lu à voix haute.Votre écriture imagée s'y prête. J'aime bien ces passages, esquisse & commentaire. Le prêtre, l'oncle
bon il me reste à retourner vers l'orvet, pas ce soir
bonne écriture (ce n'est pas un jugement de valeur) ! ouf!
Merci beaucoup JM.
"Prendre un enfant etc.", c'est drôle, ça sonne un peu comme "aux armes etc." de Gainsbourg, j'aime bien.
tu devrais relire "l'�tranger" de Camus...
en tous cas, tout cela , je l'ai vecu comme une pure formalit�, accomplissant mon devoir le mieux possible, mais comme arrachee � la vie, totalement �trang�re a tout , a tous, sauf a toi. Oui tu pleurais, tu pleurais enormement, et je m'inquietais beaucoup pour toi. Je demandais � tes amis presents, il �taient nombreux, de s'occuper de toi, d'etre avec toi. ils l'ont fait. et pendant tous les mois qui ont suivi, ils tont beaucoup entouree, (ne l'oublie pas. ) . Jusqu'� ta decision de partir � Aix, pour prendre tes etudes en mains. Apres c'est la vie qui vous a separes.
Pourquoi, dis-tu au debut de cet entretien:" Mon pere c'est le plus fort. creuse: cela ne te rappelle -t-il pas un souvenir ?
pourquoi ne te remets-tu pas dans l'esprit les bons moments avec ton pere...
"Oui tu pleurais, tu pleurais enormement, et je m'inquietais beaucoup pour toi."
--> Ce jour-là, je n'en ai pas le souvenir, pas tant que ça, non.
"Je demandais à tes amis presents, il étaient nombreux, de s'occuper de toi, d'etre avec toi. ils l'ont fait."
--> Ce n'était certainement pas à toi de le faire. Ils étaient déjà assez grands pour réagir comme ils le sentaient. Et non, ils ne l'ont justement pas fait. Ils ont été présents juste au minimum syndical, rien de plus.
"et pendant tous les mois qui ont suivi, ils tont beaucoup entouree, (ne l'oublie pas. ) ."
--> Tu sais, tu n'as pas vécu à ma place et tu n'étais pas 24h/24 avec moi, donc tu ne sais pas comment ça s'est passé. Si je dis qu'ils sont tous été absents sauf un, c'est que c'est vrai.
"Jusqu'à ta decision de partir à Aix, pour prendre tes etudes en mains. Apres c'est la vie qui vous a separes."
--> La vie, tu parles ! Je te rappelle quand-même qu'une majorité de mes amis (très) proches sont partis à Aix en même temps que moi ; c'est un an plus tard que tout le monde a brusquement arrêté de me voir, quand j'ai rencontré celui qui depuis est devenu mon mari.
Mais bon, le fait qu'on ne se voie plus n'a (presque) aucun rapport avec la mort de mon père. Il n'empêche que c'est la vérité que depuis, je n'en vois plus aucun. Et que déjà à l'époque, ça leur avait fait peur sans doute, en tout cas ça avait commencé à les éloigner.
"Pourquoi, dis-tu au debut de cet entretien:" Mon pere c'est le plus fort. creuse: cela ne te rappelle -t-il pas un souvenir ?"
--> Ben non aucun, si ce n'est que tous les enfants disent ça. Si j'ai appelé mon billet comme ça c'est bêtement parce que c'est le titre du texte dont la lecture m'a fait penser à cet événement.
"pourquoi ne te remets-tu pas dans l'esprit les bons moments avec ton pere..."
--> Dans l'esprit de qui ? ;-)
Je n'ai jamais prétendu à l'exhaustivité dans ce billet. Il ne porte pas sur mon père, mais sur l'enterrement de mon père, ça n'a pas grand-chose à voir. D'ailleurs, l'enterrement de mon père, c'était typiquement un moment qui était sans lui, et pas un moment avec lui...
ouhhh lahahah n't'enerve pas...on peut se tromper!
Une phrase qui fait mouche. L'enterrement c'est vraiment un moment sans la personne. Totalement et absurdement. Un très beau texte. Qui me refait toucher du doigt combien dans ce moment je me suis moi-même sentie à la fois si présente, absorbée dans certains détails et si loin, si étrangère, complétement à côté.
C'est un peu sombre de se rencontrer également sur des événements comme celui-là. Mais ça fait tellement, terriblement partie de la vie. Et puis c'est vrai que l'enterrement de quelqu'un de si proche, en tout cas dans mon cas précis, ça été le premier moment important de ma vie que j'ai vécu sans lui. Ça participait sans aucun doute au côté étrange de la journée, au côté tellement en-dehors du temps, anormal, incomplet.
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