Ça fait cinq ou six ans qu'on se connait, parce qu'on travaille ensemble. On avait quelques amis communs, et l'on discutait de temps à autre, au milieu de groupes. On avait, quelques fois, déjeuné toutes les deux : immédiatement les conversations devenaient très intimes, et je me sentais mise à nu devant cette inconnue, et je me sentais toute petite et sans défense. Alors, pour m'en protéger, j'avais relevé quelques traits potentiellement désagrables de son caractère et je les avais exacerbés dans ma perception d'elle afin de ne surtout pas avoir envie de la connaître plus avant.
Il s'est passé de cette façon quelques années. Et puis au début de l'été, quand on est arrivés pour déjeuner chez une amie, elle était là. Seule avec nous. Alors on a sympathisé. Et comme l'on sympathisait, on l'a invitée à la maison quelques jours plus tard, avec d'autres amis. Et comme ce soir-là on a sympathisé de plus belle, on lui a proposé de nous accompagner dans le Verdon, comme on le fait avec tous les gens que l'on apprécie. Elle a accepté.
Elle est très tactile ; je l'avais déjà remarqué auparavant, mais comme j'évitais soigneusement de me rapprocher d'elle, elle n'avait pas d'occasion pour me toucher. Moi qui fuis les contacts, moi qui protège à l'excès mon petit périmètre corporel. Et elle est la première personne que j'arrive à embrasser littéralement, aujourd'hui. Il y a ce farouche animal intérieur qui se cabre quand je sens qu'elle entre dans mon espace. Je crois qu'elle est assez perspicace pour le voir.
Elle a des yeux gigantesques, des regards profonds qui précèdent ce qu'elle va dire. Parce qu'elle parle, aussi. Elle met des mots, des mots clairs et précis, des mots honnêtes et humbles, sur ce qu'elle a à dire. Qui pénètrent aussi facilement que ses mains le domaine personnel des autres. Elle écoute et parle. Elle rayonne, beaucoup.
Elle inspire une immédiate confiance, en soi. Je pense que c'est voulu. Je ne sais pas. Ça ne me regarde même pas. Reste qu'elle est arrivée là, brutalement, à un moment où je ne voulais pas, où je ne voulais plus, et pourtant elle a pris sa place comme une évidence. Et depuis quelques jours, alors que l'on sent lourdement revenir la rentrée, le retour au travail, et moi qui ne sais pas encore comment je m'y placerai ni même si j'ai vraiment l'envie ou l'intention de le faire, je me demande ce que cela donnera quand, à présent, on se croisera à l'imprimante, quand j'entendrai son rire devant la machine à café, quand ça sera l'heure d'aller déjeuner et que l'on formera les groupes. Nous ne faisons pas partie de la même caste au travail, nous n'avons pas les mêmes habitudes, les mêmes habitués. Un équilibre s'est progressivement établi selon cette formule, parce que chaque arrivant se fait sa propre niche dans l'ensemble et ne peut guère en bouger une fois accepté à une place donnée, une fois dûment estampillé par les pairs. Et quand on bouge un pion ça bouleverse l'ensemble du jeu, et les autres pièces ne le veulent pas, ce qui est normal.
Je me demande si ça aura été une rencontre subite et éphémère et que tout rentrera dans l'ordre dès lors que le quotidien laborieux aura eu raison de cette relation qui n'est, je crois, pas compatible avec un tel environnement. Je me demande comment ça va évoluer. Je regrette que l'on travaille ensemble. Et puis je sais que quoi qu'il en soit, les jours actuels ne sont qu'une parenthèse, que ça va changer. En fait je ne regrette pas, je ne fais que me demander de quoi demain sera fait, tout en savourant à l'avance les futurs souvenirs d'aujourd'hui.
7 Commentaires :
identification d'une femme! pointait le cinéaste.
On imagine des photos délicates, dérobant le visage mais de la silhouette donnant la mesure. Milza, cette fois n'a pas fait clic, le visage absorbé par celle qui la captait.
jm > Rhô que si j'ai fait "clic", mais ça ne serait plus anonyme !
et tu as changé le titre du post, que c'est mystérieux tout ça !
Donna > Tu as l'oeil ;-)
En fait, une fois le billet publié, j'ai voulu lui ajouter un fichier son. Alors j'ai cherché quelque chose de Joni Mitchell sur Radioblog, et j'ai trouvé cette reprise de Sumertime avec Herbie Hancock au piano, que j'ai trouvée très jolie. Et de fil en aiguille, je me suis dit que "Summer times", pour un titre de billet qui parle d'une rencontre estivale, c'est plutôt pas mal... voilà le pourquoi du comment.
Très joliment écrit. Très sincère aussi.
Merci Pousse manette, et contente de te revoir au retour de tes vacances :-)
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