Joe Zawinul est mort.
Mauvais temps pour Joe Zawinul
Par Serge Loupien, dans le Libé du jour.
De tous ces musiciens que l’on baptisa un jour «les enfants de Miles», Josef Zawinul était sans doute le plus «obtus». En ce sens où, jamais, à l’inverse de ses principaux concurrents en maniement de claviers électro-davisiens (Herbie Hancock, Chick Corea, Keith Jarrett…), il n’appliqua aveuglément les consignes du trompettiste, souvent assimilables d’ailleurs à des diktats. Il est vrai que Miles Davis avait contracté une dette énorme envers son pianiste autrichien, puisque c’est en enregistrant In a Silent Way, pure composition «zawinulienne», que l’ancien sideman de Charlie Parker devait découvrir la fusion, en 1969.
Après quoi, Zawinul refusa obstinément de rompre avec la pratique du synthétiseur illico imposée par son capricieux leader. Même s’il devait plus tard s’attacher à faire évoluer son jazz-rock un peu planant vers une espèce de world progressiste, dont les prémices étaient déjà présentes, en 1976, sur l’album Black Market de son groupe expérimental Weather Report.
Traite des vaches. Il faut dire qu’avec sa dégaine de trafiquant ouzbek et ses bobs en laine Pingouin, Joe Zawinul a toujours détonné parmi les formations de Miles Davis. Que celles-ci affichent un look de cadres supérieurs à la Modern Jazz Quartet, ou qu’elles s’habillent chez Arlequin. Sans doute parce que, né à Vienne (le 7 juillet 1932), et élevé dans une ferme située à quelques kilomètres de la capitale autrichienne, Zawinul a grandi en partageant son temps entre la traite des vaches et l’apprentissage de la clarinette, le premier de ses multiples instruments.
Car pour son sixième anniversaire, un parent lui offre un accordéon. Pendant un an, le jeune Josef s’exerce alors, en autodidacte, à compresser les soufflets et à enfoncer les boutons. Après l’accordéon, il se met au violon. Puis au piano, qu’il étudie au conservatoire de Vienne, établissement réputé pour la qualité de son enseignement. Entre deux gammes, Josef s’essaie également à la trompette basse et au vibraphone, instrument pour lequel il conservera, durant toute sa carrière, une certaine tendresse, même s’il ne l’emploiera plus que parcimonieusement
De ces années tourmentées (en 1944, il se retrouve en Tchécoslovaquie après avoir fui les bombardements), Zawinul conservera toujours un bon souvenir, affirmant volontiers : «L’Autriche est un pays magnifique et les Autrichiens le peuple le plus chaleureux du monde.» Ce qui laissera toujours pantois Miles Davis, issu d’un milieu favorisé, et aux yeux duquel Zawinul faisait presque figure de vétéran de la Seconde Guerre mondiale, voire d’authentique résistant.
C’est en 1952, que Josef Zawinul effectue ses débuts de pianiste de jazz professionnel, au côté du ténor Hans Koller. L’année suivante, il découvre, à Munich, Lester Young, qui le branche sur le circuit des bases américaines. Au même moment, il fait la connaissance du pianiste Friedrich Gulda, lequel présente la particularité de couvrir les domaines du jazz (il enregistrera avec Cecil Taylor) et de la musique classique.
Plongée en apnée. De retour des Etats-Unis, Gulda pousse son jeune compatriote à s’expatrier. En 1959, Zawinul débarque donc à Boston, où son premier gig conséquent consiste à remplacer, au pied levé, le pianiste d’Ella Fitzgerald. Il va ainsi gagner une réputation qui ne le quittera plus et lui vaudra de travailler ensuite avec Maynard Ferguson, Wayne Shorter (futur cofondateur de Weather Report), Dinah Washington ou encore Cannonball Adderley, en compagnie duquel il gravera, en 1966 : Mercy, Mercy, Mercy.
La suite fait partie de l’histoire du jazz fusion, jusqu’à la rupture (musicale) avec Shorter et cette plongée en apnée dans les rythmiques africaines qui allait donner naissance au Zawinul Syndicate. Groupe dont son créateur assurait : «C’est celui dont je suis le plus fier.» Le dernier aussi.
Souffrant d’un cancer de la peau, Joe Zawinul s’est éteint hier dans sa ville natale. Agé de 75 ans, il avait été élu 28 fois meilleur clavier de l’année, par la presse spécialisée.
Je n'en reviens pas, je l'ai vu en concert il y a quelques années avec son Zawinul Syndicate, il était en forme olympique.
C'est l'une de ses dernières prestations en public avec le Zawinul Syndicate, à Romainville en mai dernier.
Joe Zawinul prend son envol
par Marine Dusigne, sur Clicanoo
Bien sûr, il avait vieilli et était souffrant depuis un bout de temps, mais ça ne l’avait pas empêché de revenir à la Réunion cette année à l’invitation des Kabardock et Palaxa après avoir dopé le Sakifo 2005 d’excellente façon.
Alors apprendre que Joe Zawinul a rejoint le firmament des stars de la musique, ça vous flanque un coup de blues. C’est hier, 11 septembre, une date mémorable pour un homme qui a fait sa carrière aux Etats-Unis, que le pianiste de jazz autrichien, fondateur du groupe du mythique Weather Report, phénomène jazz-rock des années 70, a tiré sa révérence à Vienne, à l’âge de 75 ans. Complice de Miles Davis dans les sixties, puis des Wayne Shorter, Miroslav Vitous et autre Jaco Pastorius, dix ans plus tard c’est “Birdland” qui les a rendus à jamais populaires, un nom que Joe a d’ailleurs donné à au club de jazz qu’il a fondé en 2004 chez lui dans la capitale autrichienne où il posait ses claviers entre deux tournées avec son groupe le célèbre Syndicate.
“OH MAN !”
Évoquant son parcours il nous avait confié : “Ce fut une fantastique expérience, bien sûr. On était jeunes, on a trouvé une extension au jazz et on n’avait d’autre ambition que le plaisir de jouer avec de bons musiciens. On ne s’attendait pas à ce que, petit à petit, le mouvement envahisse le monde et que, des années après que la disparition du groupe, ça continue de marcher !” Sans avoir l’air blasé, il savait relativiser la bonne fortune qui lui a fait croiser des musiciens quasi sacrés. “Difficile de décerner la palme au plus grand d’entre eux. Je les aimais tous quand j’ai commencé parce qu’ils étaient pour moi des géants. Après, plus on joue en bonne compagnie et plus on grandit. Alors l’admiration pour autrui diminue parce qu’on devient meilleur soi-même. Il n’empêche que nous sommes restés d’excellents amis. Des frères, même, dans le cas de Shorter”, expliquait Zawinul qui n’aurait pour autant recréé un “Weather revival”. “Aucun intérêt. On a eu le meilleur pendant quinze ans, inutile de réchauffer le festin. De toute façon, ce que je fais aujourd’hui tient nettement mieux la route. Et j’ai des musiciens fantastiques qui viennent d’Arménie, du Brésil, de Maurice… Tous avec le même objectif : la qualité. Et le swing ! Que ce soit plus ou moins électro ou acoustique importe peu. Tout le monde fait ça. L’important, c’est la vie qui se trouve derrière chaque instrument, lequel, sans véritable artiste, devient carrément ennuyeux. Une trompette c’est franchement moche si personne ne sait en jouer...” constatait Joe qui s’est dit alors “le plus heureux des hommes !”, pour cette “tournée fabuleuse avec des calibres redoutables. Vous allez voir ça sur scène ! Oh man !...” nous avait-il promis à Saint-Leu. Et on l’a vu. Intro planante, voix de prière et pures envolées rythmées par des mains de virtuose comme celles du Mauricien Linley Marthe pour dialoguer avec ses propres claviers. Une pure merveille qui a rapidement quitté les sphères ordinaires de l’harmonie pour évoluer dans de lointaines galaxies emballant le champ d’humains heureux de pouvoir apprécier enfin ce héros de leur mythologie musicale. “Oh man !” en effet. Quelle embellie ce fut ! Elle continue de résonner dans nos souvenirs, heureux que nous sommes, nous aussi, d’avoir eu le privilège de cette rencontre. Bon vol, Joe au pays des oiseaux !
La fantastique, l'énoooorme Birdland, interprétée en 1978 par Weather Report (à noter que ce n'est pas Pastorius à la basse, mais Miroslav Vitous).
C'était le Blanc qui jouait comme un Noir. Peu de musiciens auront autant contribué à la bande-son de notre époque que Joe Zawinul. Et encore moins d'Européens auront à ce point assimilé l'essence de la musique afro-américaine. Compagnon de route de Miles Davis dans sa meilleure période, fondateur de Weather Report, groupe-phare des années 70, le claviériste d'origine autrichienne est mort mardi matin à Vienne. «Il est né le 7 juillet 1932 en temps terrestre et le 11 septembre 2007 en temps éternel. Il continue de vivre», a déclaré son fils Erich Zawinul.
(extrait de la Tribune de Genève)
In a silent way, autour de Miles Davis, interprétée en 1991 à Paris.
Pas encore de commentaire.
Commenter