Il y avait une idée parmi d'autres qui pesait lourdement sur mes pensées depuis quelques mois. C'était que je n'avais pas de travail, j'étais donc disponible (et a priori volontaire) pour faire un postdoc, et qu'il allait en paraître des nouveaux d'ici quelques mois, et qu'il allait assez probablement y en avoir dans mon domaine, et que je devrais donc y candidater, et que si j'y étais prise alors je devrais y aller sans me poser de question, où que ce soit. Même si c'était loin. Même si ça posait des tas de questions concrètes, non, je me devais de les ignorer comme tout jeune-docteur-qui-n'en-veut doit le faire pour être reconnu comme constituant un bon élément de la machine, futurement recrutable. Je me devais de faire fi de toutes les questions du type "Est-ce que mon mari démissionne et que l'on déménage au bout de la France en sachant que l'on aura selon toute vraisemblance à en faire autant un an plus tard, ou alors est-ce qu'on se sépare pour l'année ?", ce genre de détails, vous en conviendrez comme moi, complètement futiles.
Mais refuser ce genre d'opportunité ne se fait pas. On est toujours libre de choisir ce que l'on veut évidemment, mais on ne doit pas en ignorer les conséquences. Et je n'arrivais pas à peser le pour et le contre des deux choix qui seraient sans doute possibles d'ici quelques mois : choisir mon boulot, ou choisir ma famille. Lourdes pensées, pour le moins, oh que oui.
Et puis entre temps il y a un autre postdoc qui est paru, au début de l'été. Connaissant un peu le responsable, je l'ai contacté, ne pensant pas du tout que je pourrais être jugée pertinente pour ce poste mais surtout pour profiter de l'occasion pour lui rappeler que j'étais disponible. Je lui demande des renseignements, et lui joins mon CV pour info. Et là, ma candidature est prise en compte... mais je n'y crois pas. Je me pense tellement loin du profil que le premier venu en aurait été plus proche, et qu'il y en aura, des premiers venus. Et puis surtout, la raison pour laquelle je me dis ça c'est que je me protège, je ne veux surtout pas faire des plans sur la comète, je ne veux surtout pas partir gagnante, je me suis pris assez de coups sur ce plan ces derniers mois, alors je m'économise cette fois. Je préfère m'attendre à ce qu'il m'annonce à la fin de l'été qu'il a pris quelqu'un d'autre.
L'été passe donc. Même pas supersticieuse pour deux sous (alors que pourtant, d'habitude, je me garde bien d'annoncer mon jeu avant de savoir ce qu'il en est), j'en parle à quelques-uns autour de moi : "Oui j'ai peut-être un plan de postdoc, mais bon ce n'est pas sûr du tout...".
Et puis d'un coup tout se précipite. Cette semaine, en l'espace de quelques mails, me voilà recrutée.
Quand j'ai écrit "la roulette" je le savais déjà, mais je refusais d'y croire alors. C'était trop inattendu, trop rapide, trop facile par rapport à mes expériences de ces derniers mois. Et puis je ne savais pas quoi en penser. M'étant habituée à l'idée d'être au chômage, j'avais commencé à envisager ça tout à fait sereinement, j'étais plutôt contente à l'idée de me remettre à travailler doucement, d'envisager de faire plein d'autres choses aussi. J'avais entammé ma nouvelle vie, commencé à jeter quelques jalons de mon quotidien, tranquilement. Et voilà que d'un coup on me proposait de faire table rase de tout ça et de me remettre à travailler à plein temps, ailleurs, autrement, sur autre chose. Je n'osais pas y croire, alors je me demandais si c'était, finalement, une bonne idée que j'aie candidaté.
Mais finalement c'était une excellente idée. A l'instant où l'on m'a confirmé que c'était vrai, que c'était bien moi qui avais été choisie, beaucoup de choses ont changé. Beaucoup de poids mentaux se sont évaporés. Toute une partie de la pelote s'est déliée subitement d'un petit coup donné sur un côté. Et mon horizon mental a donc changé, complètement.
Je vais donc recommencer à travailler, à plein temps. Je vais faire de la recherche. Sur un domaine qui n'est pas exactement celui sur lequel j'ai fait ma thèse, mais qui va me demander d'élargir mon champ de connaissances, d'exploiter ce que j'ai pu apprendre tout au long de mes études afin de les mettre en relation avec d'autres données, d'autres besoins, d'autres objectifs. Sur un sujet qui implique tout à la fois des questions très théoriques et des applications concrètes.
Et je change de labo. Et le mieux, c'est que je ne vais pas loin. Exit les grandes questions sur le déménagement, sur la démission de mon mari, sur une éventuelle séparation... tout est infiniment plus simple. On peut déménager, ce n'est pas très loin, ça sera juste pour que ça soit plus confortable. On peut aussi ne pas le faire. On n'est pas pressés par le temps pour se décider. On pourra se débrouiller sans problème dans les deux cas.
Et il y a encore tellement d'autres choses positives là-dedans.
Je me rends compte, à ma réaction, que je n'étais peut-être pas prête pour passer à autre chose. J'aurais pu le faire tout de même, bien sûr, mais toutes les questions que je me posais montraient bien à quel point je n'étais pas sûre de moi. Là, je vais pouvoir me lancer dans une expérience vraiment très intéressante, une expérience qui m'intéresse beaucoup, à laquelle je savais que je tenais tout en étant bloquée par toute une série de questions concrètes qui finalement, dans le cas présent, ne se posent pas. C'est un véritable soulagement. C'est comme si j'avais le beurre et l'argent du beurre.
Je commence une autre nouvelle vie le 1er octobre. Elle s'annonce très bien, très positive, très enrichissante. Et puis l'on m'a fait confiance, ça fait du bien à l'ego finalement. Je me sens mieux. Presque bien !
15 Commentaires :
Bonne chance pour la suite alors !
Ah que voilà un billet qui fait du bien ... comme si sur mes épaules à moi aussi le poids s'allègeait.
Bravo ! Comme quoi il ne faut pas hésiter à semer des petits cailloux, tu as été bien inspirée. Tu vas pouvoir travailler quand même dans ton domaine, à ton niveau, faire de la recherche, rester près de chez toi... Et tu as quartier libre encore 3 semaines. De quoi te sentir vraiment bien, tu as été choisie et tu avais fait la démarche !
Tous > Merci ! Je suis très touchée :-)
Zelda > Encore un nouveau blog !?!!
Un postdoc près de chez toi. Génial. Snif, j'aime bien les histoires qui se finissent bien. C'est a dire qui se finissent quand les talents des gentils meritants (et pas des incompétents pistonnés) se voient recompensé. ca me donne envie d'aller bosser sur mon powerpoint, tient....
Chouette pour toi !!
Félicitation ma grande... Ah la vie de chercheuse... Moi j'étais dans la même situation (sauf que j'ai toujours pas ma thèse ;-) 2 années à m'occuper de Choupinou, à essayer d'écrire ma thèse, dans un nouveau pays (c'est Mr Mouton qui avait decroche un CDD de 3 ans a la commission europeenne) Je me demandais qu'elle vie professionnelle j'allais bien commencer. A part la science heu je n'avais vraiment aucune aptitude en rien. Et puis un jour cet e-mail, la comission a selectionner votre projet de recherche (projet ecris avant Choupinou, avant l'Italie, avant notre nouvelle vie) vous avez 15 jours pour accepter refuser le financement... Alors on a plongé tous les 3 (Mr Mouton et moi apres mures reflexions, Choupinou a du suivre) cela signifiait separation, mais aussi cela signifiait 2 pays (l'Italie et les US) 2 maisons, un papa certe pas la durant un mois, mais tellement plus disponible durant le mois ou il est la, un projet qui me branche a fond (normal c'est moi qui l'ai ecrit)... Bref tu vas voir le retour a la vie active ca fait du bien, meme si on peut quelques fois regretter les farnientes, le temps qui passe doucement d'avant...
Bon courage
Génial ! Je n'en espérais pas moins pour toi :))
Mowgli > Ben oui, celui-là je suis bien fière de l'avoir décroché ! Moi toute seule comme une grande. Alors travaille bien de ton côté, ça peut valoir le coup :-)
Cécile > Merci merci !
Bergère > Merci pour ton témoignage. Ça rend les choses plus vraies, ça les met en perspective. Je ne sais pas comment tu fais pour supporter de vivre sans ton homme un mois sur deux ! Mais par contre, c'est vrai que c'est intéressant, ce travail, tout de même... ;-)
Bon courage à toi aussi :-)
Caco > Merci beaucoup !
Très très heureuse pour toi :-)
Parfois, ce qu'on pensait incompatible le devient soudainement !
Bonnes vacances, d'ici-là (tu les as bien méritées)
Tout comme Mowgli, enfin pas pour moi mais monsieur, parce que là il touche le fond du gouffre, le côté bon à rien/à quoi bon/quand tu vois machin qu'a même pas son BTS qui gagne 2000€ par mois et moi et moi et moi
Donc : bonne chance, bravo, génial, et tu me regonfles, tu ne peux pas savoir !
Contente d'avoir de tes bonnes nouvelles.
Lise, Isolde, Mel > Encore des mercis !!
Et puis un big bisous spécial à Isolde, parce que toucher le fond du gouffre c'est pas chouette (et c'est trop fréquent chez les jeunes docteurs). Il y en a qui trouvent un petit quelque chose plus vite que les autres, mais c'est la roulette (décidement...), il faut avoir de la chance pour tomber au bon endroit, au bon moment (en plus d'être déjà bon dans l'absolu). J'ai une copine qui, après des années des galère totale, vient de trouver un poste d'ater, et ensuite embraye sur un postdoc. Mais elle a ramé pendant presque 10 ans avant d'être reconnue. Elle a fait d'autres choses pendant ce temps, tout en ne lâchant jamais vraiment, et puis voilà que ça paye finalement.
allez ZOU! Bon courage dans ta nouvelle vie de docteur-chercheuse -un peu nomade... et quelle joie de te savoir encore une annee pas trop loin des tiens...
Coco > Les miens sont dans mon coeur : ils ne sont jamais très loin :-)
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