dimanche 18 décembre 2005

Sainte Victoire

“Quand on est né là-bas, c’est foutu, rien (d’autre) ne vous dit plus” (Paul Cézanne)


Le massif


La Sainte Victoire, qui s’appelait Mont Venturi (Còla de Venturi en provençal) avant d’être évangélisée, était la muse bien connue de Cézanne. Le nom actuel viendrait de la victoire de Caïus Marius sur les Timbres et les Teutons en 122 avant JC, la bataille ayant eu lieu à Pourrières. Plus tard, au Moyen-Age, la montagne aurait été sanctifiée (d’où une appellation intermédiaire de Sainte Venture et autres noms approchants), jusqu’au XVIIe siècle où le nom aurait été francisé.


Cela dit, dans le coin je trouve qu’on a une tendance un peu lourde à justifier tous les noms d’endroits par cette fameuse victoire de Caïus Marius.


Le nom du village de Pourrières par exemple ; la plupart du temps, si vous cherchez son étymologie, vous trouverez que son nom vient de campi putridi (je vous laisse deviner la traduction littérale...), parce que la fin de la bataille avait eu lieu ici (elle avait commencé vers Ventabren si mes souvenurs sont bons) et que l’histoire veut que les Romains aient laissé tous les corps pourrir sur place (beuark). En fait, si vous poussez un poil l’investigation, vous en viendrez à remarquer que Pourrières vient assez probablement de porrì, poireau, et a été formé de la même façon que la plupart des lieux-dits voisins: Ollières = où l’on fait de l’huile (d’olive, pardi!), Pallière = où l’on fait de la paille, etc., et donc Pourrières = où l’on fait des poireaux.


Le nom de la Sainte Victoire, comme on vient de le voir, viendrait aussi de là ; mais également le nom de l’un de ses sommets, le Pic des Mouches, qui soit-disant (selon l’une des nombreuses histoires sur ce nom) s’appellerait ainsi parce que notre Caïus Marius, tellement fier d’avoir gagné sa bataille, aurait fait monter des cadavres jusqu’au sommet le plus haut du massif… rien que ça ! (et re-beuark - pas un tendre ce Marius-là)


Mais, revenons-en à notre montagne.



C’est un massif montagneux qui est situé entre la vallée de l’Arc au sud, et la vallée de la Durance au nord (sur 5 km de large), entre Aix-en-Provence à l’ouest et Pourrières à l’est (sur une vingtaine de km de long). Son point culminant est soit le Pic des Mouches, soit le Baou de Vespres, qui fait 1011 mètres d’altitude (mais l’altitude n’est pas exacte et une sombre histoire de calculs fait que l’on est pas certain duquel des deux est le plus haut - officiellement c’est le pic des mouches, et à vue d’oeil ça serait plutôt le baou de vespres, mais de toute façon c’est à un mètre près…). Elle a une forme générale de vague, rocheuse sur la face sud et couverte de forêt sur la face nord.


On commence notre balade du jour à peu près au milieu de la face sud. Au pied du massif, la garrigue, première étape de repousse qui traîne depuis l’incendie de 1989. Ici précisément, le sol est tellement aride et la couche de terre tellement fine (et le mistral tellement vif) que la végétation met un temps fou à reprendre ses droits.



Le Grand Site Sainte Victoire


Fin août 1989, 5000 ha du massif ont brulé sur la face sud. Depuis ce moment, il a été créé une structure qui veille à entretenir le massif et le protéger ; on l’appelle le Grand site Sainte Victoire, c’est un syndicat mixte composé du Conseil Général des Bouches-du-Rhône, de la Communauté d’Agglomération du Pays d’Aix et de la Région Provence-Alpes-Côte-d’Azur.


Le Grand Site gère [aujourd’hui] un espace de plus de 34 500 hectares qui s’étend sur 14 communes (Aix-en-Provence, Beaurecueil, Châteauneuf-le-Rouge, Jouques, Le Tholonet, Meyrargues, Peyrolles-en-Provence, Puyloubier, Rousset, Saint-Antonin-sur-Bayon, Saint-Marc-Jaumegarde, Saint-Paul-lez-Durance, Vauvenargues, Venelles) […]. Ce territoire est en partie classé au titre de la loi de 1930 sur le patrimoine et le paysage (6500 ha) et inscrit au réseau Natura 2000 (29000 ha). (source)

Les missions du Grand Site :


  • La gestion des massifs forestiers pour la prévention contre l’incendie.

  • La gestion dynamique de la forêt, menée en concertation avec les propriétaires, les élus et les professionnels, vise à concilier production, défense contre l’incendie, qualité des paysages et de l’environnement.

  • La préservation des paysages et du patrimoine naturel, culturel et bâti.

  • La réhabilitation de la Croix de Provence et d’autres petits édifices religieux ou historiques, la restauration de restanques [bancaou] et de bories [borià] témoignent du souci de préserver un patrimoine de qualité, caractéristique du paysage provençal.

  • Autre héritage moins connu et pourtant d’une valeur exceptionnelle, le patrimoine naturel : 900 espèces de plantes à fleurs (20% de la flore française), 27 de mammifères et plus de 120 d’oiseaux trouvent ici les conditions propices à leur développement.

  • Des actions en faveur du patrimoine archéologique et historique confortent cette politique.

  • L’accueil du public et la gestion de la fréquentation.

  • La politique globale d’accueil du public, établie en concertation avec les partenaires, vise à proposer une offre de découverte de qualité tout en maintenant globalement le nombre de visiteurs à son niveau actuel.



Les alentours


Du pied du massif, quand on se tourne vers le sud, on voit l’étang du Troncas plein d’eau (c’est la première fois que je le vois en eau). Le Troncas est sur le plateau du Cengle (un endroit très renommé pour le nombre d’oeufs de dinosaures qu’on y trouve, comme je l'ai déjà dit), et en-dessous c’est la vallée de l’Arc.




L’étang du Troncas (j’ai trouvé aussi mention de la trenque, avec l’accent pointu) et la “brèche” associée (écoulement creusé de main d’homme dans la pierre jusqu’au bord du plateau) est une réalisation des Templiers, qui en 1143 avaient élu domicile sur le plateau du Cengle, alors à l’état de marais, l’asséchèrent et y construisirent la commanderie du Bayle :


Sinon la plus importante, la Commanderie du Bayle fut peut-être l’un des premiers établissements Templiers de Provence et avait pour Commanderie-soeur celle de Marseille. Juchée sur le plateau du Cengle, sur fond de montagne Sainte-Victoire, elle conserve encore aujourd’hui de beaux restes. On peut la voir (1) avec ses deux tours massives et sa cour aux larges dalles. Sur l’une des portes, on ne peut pas manquer de remarquer, outre l’étoile aux seize rais des seigneurs des Baux, la croix pattée du Temple. Au sud de cette Commanderie, au milieu d’un champ, s’ouvre un puits vaste et profond. C’est là que les Templiers de l’endroit auraient enfoui leur trésor (2). (source)

La commanderie devient propriété des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem en 1312, puis… puis passe aux mains d’une (riche) famille qui possède la quasi-totalité du village de Saint Antonin sur Bayon jusqu’à assez récemment (la commanderie leur appartient toujours et ils y habitent).


(1) En réalité c’est difficile, parce qu’elle n’est pas visitable (on comprend aisément pourquoi). Et il est difficile de la voir de loin, vu comme elle est placée. Mais elle est tout à fait splendide, je peux vous l’assurer (moi qui ai habité dans sa bergerie réaménagée... hé oui !). C’est dommage, il y a quelques années on pouvait en trouver une photo sur le web, mais je ne la retrouve plus.


(2) J’ai cherché dans le puits en question, mais j’ai jamais rien trouvé !!


Si on regarde vers l’ouest maintenant, on se retrouve en direction d’Aix, avec une jolie succession de vagues de roche et de végétation rase (c’est la crête de marbre) :




Sources diverses et sites intéressants




Arbres et arbustes


Un genre de genêt


Pas une grande variété dans la garrigue de ce côté. Voici un arbuste dont j’ignore le nom, qui fait des fleurs jaunes tout l’hiver et qu’on voit de très loin, surtout sur la jupe du Cengle :



et un détail du même arbuste. On dirait des fleurs du genêt classique qu'on trouve dans les jardins, mais l’arbre n’a rien à voir (et sa saison de floraison non plus !)



Cade


Un petit cade, ou genévrier oxycèdre (Juniperus Oxycedrus) comme on dit dans les salons mondains :




Détail du cade, avec ses feuilles qui piquent et des baies rouges :



Du bois de cade. Y’en a plein de tas qui trainent ça et là. Quand ils sont gros et pas trop abîmés (notamment par les sangliers), on les ramasse pour en faire des petits objets de lutherie :



Un autre squelette de cade (c’est trop joli), dans un mur de rochers :



Pin


Quelques malheureux pins qui poussent. J’ai remarqué qu’une grande quantité de ces pins sont habités par des chenilles processionnaires, dans ce coin. On n’aime pas trop les pins, parce que c’est de la végétation sèche, mais leur présence marque le début de la deuxième étape de repousse après la garrigue. Ensuite, ils abritent les divers chênes verts et blancs, qui formeront une forêt un peu humide, qui elle permettra aux érables (essentiellement érables de Montpellier, mais aussi champêtres et d’Italie) de pousser, accompagnés de toute la diversité des espèces de la vraie forêt méditerrnanéenne, celle qu’on ne voit presque plus parce qu’elle brûle avant d’avoir fini sa pousse.



Détail du pin précédent :



Chênes


Un envahissant chêne kermès (Quercus coccifera), l’une de ces essences qui couvrent la garrigue et empêchent le reste de pousser. Son nom vient de la cochenille qui le parasite (Kermes ilicis), et qui était dans le temps ramassée par les petites mains des femmes et enfants, pour l’utiliser en teinture, notamment dans un quartier juste en-dessous de l’actuelle fac de lettres d’Aix et qui s’appelle Coton Rouge.


Par endroits (autour de l’oppidum qui est plus à l’ouest juste au-dessus du village de Saint Antonin sur Bayon), ce chêne couvre la totalité de la surface au sol, c’est étonnant.



Détail du chêne kermes :



Un chêne vert (Quercus ilex). Ici ils sont tous petits et assez rares. Il y a encore moins de blancs.



Détail d’un chêne vert, apparemment atteint de quelque chose, mais je ne sais pas quoi.



Filaire


Le filaire à feuilles étroites (l’ami du chêne vert paraît-il), qu’on trouve par ici mais qui restent très petits.



Détail du filaire :



Divers


Un détail de (joli) tronc. Passé un temps, il y avait de gros arbres ici. Maintenant, les plus hauts qu’on voit de là ne dépassent pas un mètre ou deux. Faut le temps.



Un insolite bout de bois rond… (la photo est naze, mais quand-même c’est étonnant).




Plantes


Mésugue


Autre classique de la garrigue : la mésugue (en français on dit ciste cotonneux, et en latin on dit Cistus Albidus) :



Immortelles


Une touffe :



Immortelles de près, soufflées par l’hiver :



Clématite


Une clématite flammette (Clematis flammula) aux charmantes couleurs, on dirait que le froid l’a cuite avec ses tons rouges-roses-oranges.



Inconnues


Quelques touffes inconnues et/ou difficiles à reconnaître en hiver, mais très fréquentes dans le coin :




Ça c’est peut-être une Aphyllante de Montpellier, mais je ne suis pas sûre :



Encore une inconnue au bataillon (ressemble un peu à la camélée mais ce c’est pas ça, les feuilles n’ont pas tout à fait la même forme et jamais vu de fruits sur celle-là) :



Un détail de la précédente :



Et pour finir, une petite plante inconnue mais fréquente: j’ai entendu souffler “persil sauvage” par un garde forestier (?)




Roche


Un pic de poudingue.



Poudingue. Ce terme est issu de l’anglais : pudding = gâteau traditionnel. Le poudingue est une roche détritique formée pour 50% au moins d’éléments arrondis (galets) de diamètre supérieur à 2 mm et liés par un ciment. L’arrondi des galets est dû à une usure mécanique (transport fluviatile assez long, agitation par les vagues et les courants,…). Dans le bassin d’Aix-en-Provence, les niveaux terminaux du Crétacé contiennent une puissnate formation conglomératique dite “Poudingue de La Galante” qui est souvent considérée comme appartenant aux niveaux de transition Crétacé -Tertiaire. (d’après ceci)

Il paraît qu’on en trouve même à Versailles. Pourtant ça n’a pas l’air si résistant que ça à l’érosion.


Un détail : des galets plus ou moins brisés dans une espèce de marne qui va du blanc au rose.