lundi 27 avril 2009

Tant de

Un timide rayon de soleil ose passer au travers des nuages gris. Ça fait un bien fou, cette lumière inattendue, même si ça ne durera pas.


J'ai des envies, et le trac de les mettre en pratique. Comme je l'ai si souvent décrit ici, jour après jour, année après année, je n'ose plus choisir entre toutes ces choses à faire, parce qu'en choisir une c'est laisser les autres de côté et en culpabiliser.


Je voudrais avancer sur mon travail parce qu'il ne me reste plus beaucoup de temps pour obtenir des résultats. Je voudrais continuer de coudre de nouvelles housses pour le canapé du salon parce que j'ai commencé et que ça me plaît bien, et que c'est tellement plus joli. Je voudrais coudre aussi un genre de vide-poches que j'ai dessiné parce que ça serait pratique, mais j'ai peur de ne pas tout avoir pour le poser ensuite et j'ai peur que mon mari trouve ça moche. J'aurais voulu voir un peu des gens ce matin, mais à l'heure où je suis allée à la ferme il n'y avait personne, alors que j'avais envie de papoter, je n'ai pas eu assez le temps de le faire la semaine dernière. Je voudrais peindre les barrières en bois dehors mais on n'a pas encore trouvé la peinture que l'on cherche ; et puis de toute façon il pleut sans arrêt en ce moment. Je voudrais ranger quelques parties de la maison qui trainent encore, mais je sais que je ne peux pas le faire parce qu'il manque des éléments pour monter les étagères sur mesure pour les murs, pour récupérer les étagères pas-sur-mesure et les mettre ailleurs, pour ranger de nouvelles choses dedans et dégager des cartons... mais il manque deux-trois petits bidules pour monter les étagères sur mesure et je ne peux pas faire sans, et toute la suite est bloquée...


Qu'est-ce que j'aimerais avancer dans le rangement de la maison ! Là, ce n'est jamais dégagé, jamais rangé vraiment, on ne peut pas y voir clair, et du coup c'est tellement difficile de passer à l'étape qui suit l'emménagement : l'aménagement. Et qu'est-ce que ça me ferait plaisir de pouvoir commencer à aménager les pièces !


En même temps, cet état de ma maison (de toutes celles que l'on a habitées durant ces dernières années) correspond assez bien à mon état d'esprit du même moment. Et en pensant à ça de cette façon, je me dis que je devrais peut-être essayer de concentrer mes efforts sur une pièce d'abord, peu importe laquelle, et la finir, question d'avoir au moins celle-ci dans laquelle je pourrais au moins me sentir enfin entièrement chez moi, sur laquelle je pourrais reposer ma satisfaction, et que je pourrais utiliser comme motivation pour le reste. Bon, du coup il faudrait que je commence par trouver quelle serait la pièce que je pourrais finir... si tant est qu'il y en ait une, parce que je crois bien que si je ne l'ai pas encore fait, c'est parce que ce n'est simplement pas possible... quel casse tête...


Sur ce, je vais descendre checker ma liste de choses à faire en espérant y voir subitement apparaître, entre les lignes barrées et celles restantes, l'expression d'une vérité transcendentale (*) qui m'aurait échappé jusqu'à présent et qui viendra éclairer ma vie d'un jour nouveau...


...ou bien, je vais peut-être tout simplement y chercher une idée de truc faisable.


Entre temps, le rayon de soleil a disparu.


- - - - - - - -


(*) J'hésitais, alors j'ai cherché si on écrivait "transcendantal" ou "transcendental". Apparemment en français on peut écrire les deux. En anglais par contre ça prend toujours un -e- (d'où la différence de nombre de résultats quand on tape l'une et l'autre orthographe dans Google).

dimanche 26 avril 2009

J'y étais

Juste !


mardi 21 avril 2009

Ôde à Meudon

Il y a 2 ans, un matin j'ai pris le TGV, puis le RER, puis le tramway et je suis descendue sur un tout petit quai ensoleillé. J'ai monté une rue privée, ponctuée de maisons plus magnifiques les unes que les autres, certaines en pierres, d'autres en bois. J'ai senti le calme — le calme avant la tempête. J'ai rempli mes yeux des magnolias en boutons. J'ai débarqué, essoufflée par le dénivelé et le poids de mon sac à dos de turbo-Ater, dans une rue de Meudon, avec la gare d'un côté, le CNRS de l'autre, le bar des auditionnés en face, et la circulation automobile au milieu de tout ça, comme un brusque rappel à la réalité. J'ai trouvé une amie lisant au soleil sur la terrasse. Je suis allée reconnaître le terrain, la salle où je passerais quelque temps plus tard, et je suis allée boire un café avec elle. J'avais aimé cette expérience. J'avais passé, en cette première journée d'une longue série dont j'ignorais alors tout de la durée et de la douleur, un moment d'un rare plaisir.


Ce que j'ai le plus apprécié, et je l'ai su tout de suite, et j'ai pu le vérifier à chaque nouveau passage, c'est le chemin qui monte au travers des magnolias. La saison est douce, même un jour de pluie. Les fleurs sont colorées, les odeurs douces et le calme précieux parce que si précaire, on le sait, on ne pense qu'à ça. Un instant propice à la concentration, à la détermination, à la volonté. On remonte ce chemin comme on remonte toute l'histoire qui nous a amené là, sur ce petit chemin de Meudon, par un matin d'avril. J'ai le choix pour m'y rendre, mais j'aime trop ce chemin pour en prendre un autre ; si j'arrivais par le train, j'aurais trop l'impression de râter une étape capitale.


J'ai pris ce chemin deux fois il y a deux ans, deux nouvelles fois l'année dernière, et je le prendrai une seule cette année : j'ai dû brusquement abandonner mon premier rendez-vous il y a quelques semaines. C'est pour tout bientôt. Je sais que je ne le reprendrai plus, ensuite. C'en sera fini de ces rendez-vous printaniers dans un quartier méconnu, complètement à part du reste, pour un moment que l'on prépare plus qu'on ne le vit réellement.


Je me demande si d'autres candidats vivent cela comme moi. Je me demande si des membres du jury ressentent cela. Je me demande si certains au contraire détestent ce chemin parce qu'il monte et que c'est fatiguant. Je me demande si l'on devrait en parler pendant l'audition, et constituer les sous-jurys en fonction des différents chemins que l'on aime prendre pour se rendre en ce lieu si inhabituel pour chacun de nous. J'en avais parlé à un membre du jury une fois, il m'avait répondu d'un air rêveur, "Ah oui ce chemin..." Je me demande si, quand le temps le permet, on devrait faire les auditions sur le chemin, l'arpentant tous ensemble, parlant, s'interrompant pour indiquer une touffe de chélidoine devant un portail, des fleurs de fumeterre qui s'incrustent entre les pierres d'un muret. Péripatéticienne audition, dont les accents suivraient les éléments du parcours.


On ferait un bout de chemin ensemble, pour voir si nos pas peuvent apprendre à s'accorder, pour voir si nos idées voguent sur les mêmes flots, pour voir si l'on peut se surprendre les uns les autres. Pour donner un peu de souffle à l'exercice, pour ne pas s'enfermer dans un cube au papier peint blanc, aux chaises jaunes, au vidéo-projecteur gris, aux places nominatives. Chacun n'aurait pour lui que ce qu'il est dans la vie, son souffle, sa voix, ses connaissances, son à-propos, son ancrage dans le réel.


Il faut que je trouve un moyen de donner cette énergie-là à mon audition. Que je les emmène au-delà de la pièce, du bâtiment, de la cité. Et quand je sortirai, je pourrai regarder la tour Eiffel au loin en me disant : "J'y étais à l'instant".

lundi 20 avril 2009

Le minotaure

Trouvé chez Baptiste Coulmont en rattrapant mon retard de lecture, cette petite perle que je vais m'empresser d'envoyer à mes ami(e)s concerné(e)s, et comme il y en a aussi qui passent par là je le mets ici :


Le Minotaure

Toujours plus

Je parle de ceci pour ne pas aborder cela.


Lire dans des yeux nouveaux la pétillance d'un sourire.
Partager un instant de connivence inattendue.
Parler, doucement, calmement. Rire.
Se laisser même, parfois, aller à un profond silence, sans besoin de le combler.
Pouvoir laisser voguer son regard sans se poser de question.
Réaliser que l'on est entré dans le cercle proche.


Mais, aussi, en vouloir trop, tout de suite, à tout prix.
Vouloir que le temps soit déjà passé.
Craindre d'effrayer par trop de franchise, trop de mots.
Attendre, trop. Hésiter. Attendre encore.
Ne pas savoir l'autre. Tâtonner.
Se retenir pour ne pas effrayer, par peur de commettre une erreur.


Poser des questions / se poser des questions. Vouloir des réponses que l'on a déjà. Ne pas savoir lire, voir, entendre, ni en soi ni dans les autres. Hésiter, hésiter tout le temps, ne pas savourer le présent, ressasser indéfiniment, se cacher alors que l'on veut se montrer, craindre qui l'on est et qui l'on pourrait être, craindre l'autre alors qu'on voudrait le connaître. Peser, repenser, se demander, réviser, remettre en question, comprendre une chose puis son contraire, et s'interroger à nouveau.


J'ai besoin en excès qu'on me manifeste que l'on m'aime parce que j'en suis incapable moi-même. Mais j'y reste aveugle et j'en veux toujours plus. Je veux du voyant, du débordant, de l'intarissable, du nouveau, de l'inattendu, du généreux, sans cesse. J'y étouffe ma spontanéité, mon naturel, ma confiance en moi et dans les autres.

jeudi 16 avril 2009

La liste, 2 : Une toute autre

Je me suis demandé ce que je pouvais bien raconter ici à la même époque, les années précédentes. Alors en 2006, je faisais une balade à la Sainte Baume. En 2008, je racontais mon poids et ma fatigue de grosse femme enceinte. Et en 2007, je racontais que j'avais retrouvé une liste de choses dont j'avais envie lorsque j'avais 20 ans.


J'en ai 30 à présent. Je n'ai pas fait de liste. Je pourrais le faire, pour la retrouver à 40 ans... ou la comparer avec celle de mes 20 — dont j'avais à nouveau oublié l'existence entre temps.


Alors, disons que je voudrais, dans les 10 ans à venir (ça me laisse un peu de marge ;-)) :


  • Avoir eu deux enfants (vivants, autant que faire se peut) ;

  • Avoir appris à me faire confiance ;

  • M'être installée pour de vrai dans un endroit pour longtemps, sans avoir à me demander si je vais encore devoir bouger dans x temps ;

  • Avoir trouvé une activité, ou plusieurs, qui me rendent heureuse et, accessoirement, qui me permettent d'assurer mes besoins financiers ;

  • Avoir ancré dans ma vie ce plaisir que j'ai de donner aux activités le temps qu'il faut pour les faire bien ; le faire sans que ça soit un dilemme ;

  • Ne plus avoir à faire tant de kilomètres pour travailler ;

  • Avoir trouvé une lisière de clairière avec un grand chêne blanc sous lequel je pourrai aller me ressourcer lorsque l'envie m'en viendra ;

  • Avoir trouvé la paix, avoir su soulager, consoler, accueillir les démons qui se cachent sous mes paupières ;

  • Vivre dans un lieu bio, au fonctionnement le plus naturel possible ;

  • Avoir réussi à apprécier mon visage, à le prendre tel qu'il est, à ne plus être surprise lorsque je le croise aux hasard d'un reflet ;

  • Avoir appris à apprécier les petites contingences du quotidien, avoir trouvé une façon de les réaliser qui me convienne ;


Je pose ça là. Et on verra dans 10 ans.

La liste

Je me suis réveillée un peu avant 6h, il est tombé une forte pluie, et puis plus rien. Le silence revenu, je me suis rendormie, et réveillée bien tard. À présent il fait soleil et le sol est tout mouillé.


Dans mon bureau il y a un autoportrait de mon mari, une aquarelle. Il l'avait posée près de mon bureau dans notre premier appartement, et depuis elle est toujours restée à cet emplacement ; elle manque si elle n'y est pas. Elle n'a plus de vitre de protection et elle a pris la poussière... je la nettoie de temps en temps, mais c'est vrai que je n'y pense pas assez souvent. Ce matin je vois que mon mari l'a déplacée, elle était sur mon bureau et il l'a posée à côté sur l'étagère. Elle est mieux, là.


Lorsque nous avons emménagé ici j'ai commencé à faire une liste de choses à faire, parce que j'aime ça, parce que ça me permet de poser les idées et de ne plus avoir à les garder en tête et qu'elles finissent perdues dans la masse. Fièrement, (utilement,) je l'avais punaisée dans le salon ; mais mon mari ne supportait pas de la voir, il fait partie de ces gens à qui ça fait peur, à qui ça met la pression de voir tant de choses à faire, comme si c'était un ordre, comme si c'était à faire tout de suite, alors je l'ai enlevée et rangée. Mais je la tiens toujours... elle s'est allongée avec le temps, tant de temps déjà (presque le temps d'une grossesse me suis-je fait remarquer hier soir), et deux bons tiers ont été barrés. Ça prouve que même si l'on travaille, même si l'on prend du temps pour voir nos amis, même si l'on prend du temps juste pour nous deux, et pour la ferme, et pour les chevaux, et à présent pour les travaux de l'appartement de la future nouvelle locataire qui arrive tout bientôt, et même si j'ai toujours cette impression que l'on ne s'installe pas vraiment encore une fois, on n'a pas rien fait pour emménager.


Hier j'ai enfin pu poser des tringles pour les rideaux des chambres. Ça a été très compliqué parce que la configuration n'est pas pratique, et puis j'ai dû refaire des rideaux aux bonnes dimensions (d'ailleurs je n'ai pas fini, j'ai changé d'avis plusieurs fois et finalement certains sont encore trop longs), trouver des tringles les moins épaisses possibles, et surtout trouver une idée d'attaches pour que les tringles soient accrochées au plafond, presque tout contre. J'ai tenté plusieurs choses, en vain. J'avais trouvé une nouvelle idée depuis quelques semaines... mais il fallait encore trouver les pièces nécessaires, et les acheter. Hier ça a été chose faite, enfin. Alors je les ai mises en place. Quelle joie de pouvoir enfin avoir des rideaux accrochés autrement que par des punaises. Et une nouvelle ligne de la liste à barrer.


J'ai même pu en barrer une seconde, celle qui concerne un rideau que je devais poser dans les WC. Certes, celui-ci a fini punaisé (!), mais au moins il est posé. Là aussi j'ai un problème de configuration, et je ne sais pas trop comment je vais pouvoir poser une tringle. Mais celui-ci ne bougera pas beaucoup alors il peut rester un peu comme ça, et puis c'est toujours mieux que rien du tout. Ça change tout ! Ça fait du bien.


J'ai également rajouté pas mal de choses dans ma liste ces derniers jours : tout ce qui concerne le jardin, et que l'on n'avait pas encore entamé avant. On a fabriqué quelques séparations, entre le potager et le reste notamment, pour que le chien n'aille pas se coucher dans les fraiches salades comme il en a l'habitude pendant les chaleurs, et on a fait une porte, avec du bois de récup' de la ferme. Il faut maintenant peindre tout cela, et l'on a une idée précise de la couleur : un bleu que l'on avait déjà utilisé dans un jardin précédent, qui allait magnifiquement avec le vert des plantes. Un bleu intense et dynamique. Alors on en a cherché, mais pas encore retrouvé : bah, on cherchera ailleurs.


On a mis quelques graines à germer, on en a semé quelques autres, on a planté des patates. On suit la pousse des pois de senteur et des capucines grimpantes que l'on avait semés à l'automne sur le tour du jardin, complétés par des clématites et quelques vignes sauvages. On regarde notre pauvre et unique plant de rhubarbe sauvé in extremis l'été dernier et qui a l'air de se sentir mieux ici. L'hysope et l'absinthe aussi, se développent mieux ici. Sans doute que la pluie n'y est pas pour rien non plus...


Et puis ces temps-ci, j'hésite. J'hésite parce que l'on a récupéré une commode que l'on devrait prendre il y a longtemps pour la mettre dans la chambre de notre enfant. Puis on a transformé cette future chambre qui n'en fut jamais une en bureau / chambre d'amis, et la commode n'y a plus sa place. Alors je ne sais pas trop où la mettre. Je réalise que je voudrais la mettre dans la chambre du bébé, même si je sais bien que ça n'a plus de sens. Je me demande où l'on mettra mon bureau, où l'on mettra la chambre d'amis lorsqu'un nouveau bébé viendra. Et là, je ne sais pas comment formuler tout cela sur la liste des choses à faire...

mardi 14 avril 2009

Au réveil

Plein-voir, gorges du Verdon, avril 2009.


Je me suis réveillée ce matin sans savoir qui j'étais. Plus que ça : sans savoir ce que j'étais. Comme une impression végétale. Étrange. J'ai mis un temps non-négligeable à retrouver mes marques, le lieu, le temps, la nature.


Je n'ai pas pu me rendormir : les lattes du sommier sont vraiment trop nazes.


J'ai réussi à voir le soleil se lever, imprimant son rouge intense sur les carreaux de la cuisine.

lundi 13 avril 2009

Eyes wide shut

Depuis les nuages hauts très hauts d'où j'observe les événements de grande envergure qui m'entourent, ceux qui enflamment l'une des communautés auxquelles j'appartiens, ceux que que je vois se dérouler ici tout près de moi, je ne vois presque que des choses qui me blessent. C'est peut-être aussi parce que je savais cela à l'avance, pour l'avoir déjà vécu, que je n'ai pas voulu prendre part à tout ça. (J'y cherche beaucoup de raisons, pas tout le temps mais régulièrement. J'essaie de comprendre pourquoi, en profondeur, par rapport à mes choix de vie et mes opinions, j'ai pris le parti de ne pas participer.)


Dans les échanges que je lis, je me vois aimer de plus belle les personnes que j'aime, être déçue des interventions de celles que je connais seulement. Parfois j'ai envie de répondre, mais je m'en abstiens ; je suis intimement convaincue que ça ne fera pas évoluer les choses vers du positif — ni vers du négatif non plus. Je vois que souvent l'on se met à avoir une peur bleue, une terreur qui pousse à accuser les autres de tous les maux, à chercher d'ores et déjà un coupable de la faillite qui nous attend, contre laquelle on ne sait plus que faire, à laquelle on sait qu'il n'y a que peu d'alternatives et que l'on ne se sent pas le courage, pas la force, pas l'envie, parfois même pas la conviction de suivre. Alors on se sépare. On se désolidarise. On oublie tout de la tolérance, de l'humanisme, de l'esprit de groupe et on crie très fort "Mais moi c'est pas que ce que veux ! Et si c'est pas comme je veux, alors je ne ferai rien." On se gargarise d'être si nombreux à partager, et puis au bout d'un temps où l'on commence à comprendre que pour partager il faut être tolérant à la diversité, il faut accepter aussi les avis des autres, surtout ceux de la majorité si l'on joue au jeu des votes, alors on se replie et l'on crie à la manipulation, à la récupération, à la séparation. Ce qui est faux : il n'y a aucune séparation de plus aujourd'hui qu'il n'y en avait à l'origine même des mouvements. Je pense même que s'il n'y avait pas eu cette diversité originelle, si ces gens sur qui l'on tape aujourd'hui n'avaient pas été déjà présents et intègres hier, rien n'aurait jamais commencé et chacun se serait contenté de maronner dans son coin.


Alors ces jours-ci, on se met à faire sienne une idée qui avait été lancée par quelques-uns pendant un temps : celle de la récupération politique. Alors je dis oui, bien sûr qu'il y a de la récupération politique dans le mouvement, et encore heureux. C'est quoi la politique, si ça ne consiste pas à avoir une certaine idée de la société (quelle qu'elle soit peu importe ici) et à tâcher de l'appliquer dans ses actions quotidiennes ? Ça rimerait à quoi si les personnes qui essaient de faire quelque chose cachaient ce qu'ils veulent faire ? Ça rimerait à quoi si le but de chacun, lorsqu'il s'exprime, était de trouver une formule qui plaise à tout le monde ? Ce qui se passe, aujourd'hui comme tout le long de ce mouvement et avant et encore après je l'espère, c'est que l'on peut donner son avis quel qu'il soit. Ceux qui parlent souvent, ceux que l'on couvre d'opprobre ces jours-ci en les accusant de monopoliser les débats, sont des personnes qui croient profondément que chacun peut s'exprimer. Pourquoi est-ce que ceux qui pensent différemment n'osent pas le faire à leur tour ? Ont-ils peur d'exprimer leur avis ? Ont-ils peur de ne pas faire l'unanimité, est-ce que c'est le but quand on prend la parole ? Ne voient-ils pas que ceux qui parlent se contentent d'exprimer leur propre avis, qui les concerne uniquement, et non pas de formuler leurs propos de manière à gagner à l'applaudimètre ? Sont-ils tellement aveuglés par leurs propres fantômes (ou pire, ceux qu'on leur a imposés) qu'ils n'arrivent plus à voir que la diversité existe, que l'on peut avoir d'autres vœux, d'autres souhaits, d'autres méthodes que les ternes options que la télé nous apprend ? Ont-ils finalement chaussé les fers bon gré, mal gré en adoptant cela comme "un mal nécessaire" ?


Il y a quelques temps je parlais de la fierté que j'éprouvais face aux étudiants qui avaient appris en quelques mois, lors d'une action précédente, à s'approprier la chose politique, à participer, à exprimer, à chercher seuls et en groupes. Ils avaient appris, entre autres choses, à se parler et à s'écouter les uns les autres. Je voudrais que cela ne soit pas perdu.

samedi 11 avril 2009

La carte de la douleur

Où est la réalité. Celle que l'on oppose si souvent à mon propos, à mon ressenti, à mes émotions. Où se situe cette chose en laquelle je croyais qu'il ne fallait plus croire, qu'il fallait apprendre à relativiser. Qu'est-ce que c'est que la réalité entre deux êtres différents, qu'est-ce que c'est que la réalité quand on parle de sentiment. Pourquoi est-ce que tout devrait être noir ou blanc, d'un côté ou de l'autre, jamais les deux, jamais au milieu, toujours l'un à l'exclusion de l'autre.


Est-ce que c'est moi qui déraille, est-ce que je devrais jeter aux orties tout ce que je ressens, et sur quoi devrais-je m'étalonner alors, pourrai-je me baser sur une réalité extérieure à moi, comment la comprendre, comment la voir, comment faire en fonction d'elle puisque que je ne la vois pas ?


J'ai le sentiment que c'est trop me demander. Que ce n'est pas faisable. Que ça doit être déformé. Est-ce que je dois taire cela si c'est si difficile à entendre ? Est-ce que je dois le taire si ça me fait encore plus souffrir de le dire ? Est-ce que, si j'accepte d'en souffrir maintenant, est-ce que ça sera pour un mieux ensuite ? Puis-je le savoir, comment puis-je faire pour le supporter ? Combien de temps encore cela durera-t-il ? Devrai-je encore longtemps encaisser les accusations et les reproches, les cris et les crises, les silences et les non-dits, la responsabilité intégrale de toutes les épreuves que l'on a endurées depuis ce jour, et m'interdire la parole, interdire le crédit à mes sentiments ?


Comment tenir compte de mon ressenti si, à chaque fois que je l'exprime, ça a des conséquences catastrophiques ? Comment savoir si mon ressenti n'est pas lui-même influencé par ça, biaisé, faussé, décalé, exagéré par réaction ? Comment trouver une juste mesure, à qui la demander, comment en être sûre ? Comment me faire confiance lorsque tout ce que j'essaie mène à toujours plus de maux ? Lorsque dès que je m'attache à une chose, elle lâche aussitôt ?


Quand j'essaie de reprendre du courage, de prendre du recul, je me dis que je n'ai qu'à attendre, prendre sur moi, ne pas répondre, ne pas dire, laisser passer du temps, ne pas tenir compte de ce que je ressens, faire comme si ça n'existait pas. Ensuite je me dis que ça n'est pas possible, que je ne peux pas me tromper tant que ça, que je ne peux pas être si fausse que ça avec moi-même. Alors je me dis que je dois tenir compte de ce que je ressens ; mais quand je le fais, je me retrouve malheureuse. Et quand je tâche de faire autrement, j'ai tellement l'impression de me nier que je me retrouve figée, brisée, incapable, à genoux.


Je me dis que je ne sais pas présenter cela dans travestir la situation. Que je ne sais pas en parler en toute objectivité. Alors je ne le fais pas. Parce que si je le fais tout de même ça me renforce dans ma vision des choses, celle qui semble être si loin de la réalité dont je suis censée tenir compte. Je crois alors gagner en force, en confiance en moi, et je me retrouve de nouveau blessée lorsqu'on me rappelle à cette réalité qui m'est étrangère.


Lorsque les choses sont dures, si dures que l'on n'a plus la force d'affronter le monde ; lorsque la douleur est moins visible mais encore si présente et que l'on n'en peut plus de la sentir nous tenailler ; lorsque l'on n'en est à ne plus savoir si c'est cette douleur-là qui continue de nous dévorer ou si c'est nous qui nous faisons du mal tout seul ; lorsque l'on ne sait pas si c'est une question de temps ou de volonté ; comment peut-on faire pour trouver sur quoi se reposer ?

vendredi 10 avril 2009

Au matin d'un petit grand monde

La timide lumière du soleil pas encore tout à fait levant contre le mur de l'escalier. Elle vient d'attirer mon œil pendant que je montais ici avec mon café.


Ça fait quelques temps que je réveille tôt. Non, pas si tôt que ça tout de même ! Entre 6h et 7h30, ça dépend des jours. Et je vois les couleurs naître sous les chants des coqs. Puis j'entends les premiers cris d'oiseaux. Parfois, l'âne M. passe la nuit près de la maison et nous gratifie d'un concert de braiments à intervalles réguliers. À partir de 7h et demie commencent les premières visites à la ferme : il y en a qui ont leurs heures, d'autres leurs jours, et d'autres encore qui improvisent. À 7h30, souvent, c'est un fermier d'un peu plus loin, un vieux maraîcher très célèbre dans le coin pour ses courges muscade, qui vient boire le café. Il est petit, rond, lourd, se déplace difficilement, a le visage buriné par le pastis et le soleil. Il vient presque toujours seul, parfois accompagné de son fils. Il fait des blagues d'obsédé sexuel, c'est pas toujours sympa, surtout de bon matin... mais il est gentil dans le fond. Même s'il est spécial, différent, qu'on ne partage franchement pas beaucoup d'avis.


Entre 8h et 9h passent toutes sortes de gens. Des amis, des connaissances, des collègues, de la famille, qui restent un peu ou ne décollent plus, qui viennent dire bonjour, boire un café (ou deux, ou trois...), grignoter un petit quelque chose que la maîtresse de maison vient de sortir du four ou qu'on lui a apporté, qui viennent demander un service, rendre un service, prêter ou ramener un outil, donner un coup de main, prendre l'air ou des nouvelles.


Il y a les filles de la ferme qui passent au QG, quand elles ne travaillent pas pour le viticulteur du dessous. Qui se demandent ce qu'elles vont faire à manger à midi, le soir. Elles sont parfumées et portent des talons.


Il y a les rares, ceux qui sont partis, ceux qui viennent de loin, ceux qui travaillent trop, ceux qui sont occupés. Il y a ceux qui manquent, et ceux qui viennent par habitude. Il y a ceux qui s'incrustent. Et il y a ceux qui boudent, mais qui reviendront — on le sait.


Sur le fil en face de ma fenêtre, il y a un tout petit corbeau posé avec un très grand ver de terre dans le bec. Il regarde dans tous les sens... je me demande ce qu'il cherche.


On ne donne quasiment plus de foin aux chevaux : ils ont enfin assez d'herbe dans leur parc, dont on a encore doublé la surface il y a peu. Ils aiment être derrière les arbres, je suis contente qu'on leur ait donné cet espace aussi, j'étais sûre qu'ils aimeraient, le point de vue est superbe, ils voient loin, il n'y a pas de pierres.


Ce monde qui m'était étranger il y a si peu de temps m'a adoptée moi toute entière. J'avais tellement peur qu'on me juge trop différente, trop écologiste, trop théoricienne, trop féministe ou je ne sais quoi mais non. Le matin de mon anniversaire, voyant que j'étais sortie faire une course, les filles m'ont appelée et m'ont chanté "joyeux anniversaire" au téléphone, et moi en les entendant j'avais les larmes aux yeux. Il y a quelques temps, on a reparlé de notre fils au hasard d'une conversation, et notre fermier s'est mis à pleurer. Leur vie a été marquée d'épreuves difficiles ; dans un livre de Michel Odoul, j'ai lu une théorie selon laquelle c'est aux personnes les plus fortes que l'on ajoute un handicap. Ils doivent être sacrément forts dans ce cas... et je les admire, souvent.


Le soleil vient à présent éclairer le mur. Je vais prendre une petite douche, m'habiller, et aller rejoindre ce petit monde, si petit mais si grand.

jeudi 9 avril 2009

Retour(s)

Tant de monde m'a répondu hier à mon premier billet (merci). Tant de monde, dont tous les messages m'ont renvoyé une image de moi calme, rassérénée... autant dire que c'est drôle parce que ça n'était pas du tout mon état d'esprit quand j'ai écrit mon billet ! D'ailleurs, en écrivant cela, je me souviens qu'avant-hier pas mal de personnes que j'ai croisées m'ont dit que j'avais l'air bien, reposée, en forme. Curieux.


Curieux, parce que je ressens un total décalage avec l'image qu'on me renvoie de moi. Moi qui bous à l'intérieur, et même à l'extérieur parfois. Moi qui ne sais toujours tellement pas quoi faire de ma vie, qui commence à me dire finalement, je ne suis peut-être simplement pas faite pour vivre, avec toutes ces choses que l'on a à faire sans cesse, toutes ces choses que je n'aime pas faire, toutes ces choses qui paraissent si évidentes aux autres quand je les regarde et qui sont si laborieuses, si douloureuses pour moi.


À croire que je remplis toujours aussi bien mon rôle de "je vais bien, tout va bien", à croire que je n'ai pas évolué d'un iota. Ou alors, à croire que, peut-être, je suis tellement habituée à ce bouillonnement intérieur que je l'entretiens sans raison. Et je m'aperçois que je n'en sais rien !


Je vais aller boire un café à la ferme, et puis on verra bien...

mercredi 8 avril 2009

Et qu'est-ce qu'elle fait pendant ce temps-là ?

Envie de reprendre un peu la plume ici. Juste un peu — et on verra bien.


Pas pris part à tout ce qui se passe autour de mon travail. Souvent je reste sans voix à lire des nouvelles de partout, des témoignages, des analyses. Parfois je pense que j'aurais dû, que je devrais participer. À ma manière, je le fais tout de même. En réalité, dans le quotidien, avec les gens que je côtoie, ceux qui vivent autour de moi, ceux dont je croise le chemin.


Celui qui pense que répéter sans cesse la même absurdité la rend réelle ; je prends le temps, tout doucement, avec tendresse, avec empathie, en attendant ses questions, en suivant ses regards, de lui expliquer pourquoi j'ai un avis différent du sien. Je n'impose pas ce que je pense, je le raconte, à la demande. Celui qui, au bout du pastis de trop, s'égare dans une blague raciste ; je ne ris pas, je constate que tous autour de la table nous nous regardons en silence sans savoir quoi dire, tous nous sommes choqués, et je goûte cet espace sans parole où chacun réfléchit à ce qui vient de se passer, à comment réagir, à comment non pas rendre violemment la pareille mais la rendre par le ridicule, par le malaise. Celui qui se croit plus bas que d'autres sur une échelle imaginaire de valeurs parce qu'il n'a pas de diplômes, parce qu'il n'est pas intellectuel, pas cultivé ; je mets en avant ses connaissances, ses qualités, et nous échangeons chacun dans ce qu'il fait, nous apprenons à nous connaître et petit à petit, il s'enhardit à être fier de ce qu'il sait, de ce qu'il fait, à vouloir raconter ce qu'il aime sans peur d'être jugé trop ci pas assez ça. Celle qui s'est ensauvagée parce qu'elle a vraisemblablement trop souffert des autres (et d'elle-même par construction) dans son passé ; je lui apprends à simplement accepter la bonté sans méfiance, à dire ce qui la rend heureuse et pas uniquement ce qui la déçoit, à briser un petit bout de ce mur qu'elle a construit autour d'elle pour se protéger d'autres qui ne sont plus là, à jouir de petits bonheurs sans prétention. Celui, tout petit, qui apprend les additions et les soustractions ; je lui fais de l'arithmétique sous forme de dessins, pour lui apprendre à "voir" les chiffres puis les nombres, et je constate avec le plus grand bonheur que ça marche : il commence à chercher une logique, un ordre, quelque chose qui lui parle, qu'il comprend et sait reproduire. Celui qui est agriculteur et m'avoue qu'il voudrait passer au bio, qui sait que c'est important, mais qui ne sait pas comment s'y prendre ; je lui cherche des informations, je lui pose des questions pour comprendre ce qui le freine, je l'encourage ; je lui explique aussi ce qu'est le bio et ce qu'est l'agriculture conventionnelle d'aujourd'hui, en tout cas je lui dis ce que j'en sais moi en tant que "consommatrice", et lui m'explique ce qu'il sait lui en tant qu'agriculteur, et l'on constate avec ébahissement la distance qui nous sépare, et l'on trace un pont entre nous deux, petit à petit, pierre par pierre, avec un grand plaisir, avec le sourire, avec plein de volonté et une très grosse dose d'humour. On s'encourage l'un l'autre, on avance, on progresse, on s'enrichit.


Voilà ce que j'ai fait ces derniers temps. Ça et d'autres choses, mais ça aussi et surtout. J'aurais voulu garder du temps pour continuer à lire les blogs qui alimentaient mon quotidien jusque là, mais je n'ai pas eu le temps. Quelques années, quelques mois auparavant je disais que je voulais me relocaliser, être plus présente à mon milieu, à mon pays, aux gens autour de moi : j'y suis enfin solidement ancrée. J'y travaille chaque jour. J'y prends un plaisir immense. C'est parfois fatiguant, je m'arrache les cheveux sur certains points, je ris beaucoup d'autres choses, et on se taquine tous, j'apprends à connaître ces gens d'ici et eux apprennent à me connaître, moi qui suis un peu de là-bas pour eux, de là-bas dans les sphères de l'intellect, moi qui n'ai pas d'accent ou si peu, moi qui travaille dans un bureau, moi qui fais des recherches dans un domaine dont ils n'avaient même pas connaissance de l'existence, moi qui les étonne à passer beaucoup de temps avec eux en journée et qui travaille tout de même sans arrêt, moi qui fais 200km aller-retour pour aller sur mon lieu de travail et qui leur explique que je suis favorisée parce qu'avant j'étais à 700km de mon bureau et qu'après peut-être je serai encore plus loin. Eux qui sont bourrus, sauvages, peureux, hommes de la terre et femmes de ménage (et qu'est-ce que je peux les bousculer là-dessus sans même m'en rendre compte !), parfois hors-la-loi, n'affectant aucune valeur à leurs idées, à leurs propos parce qu'on leur a tellement appris à se faire tous petits, mais eux qui sont tellement joyeux, touchants, bons, infiniment bons et gentils et honnêtes, et valeureux, et braves, et drôles, et curieux.


Hier l'un d'eux m'a dit au café du matin à la ferme :
"Ça va te faire du bien d'aller travailler aujourd'hui, tu vas voir tes collègues, vous pourrez parler de recherche, de choses compliquées.
- Ben, pourquoi tu dis ça ?
- Parce qu'ici tu peux pas parler de toutes ces choses, ça doit te manquer, nous on est des ignares, on sait rien de tout ça...
- Peut-être, oui, mais vous êtes tellement plus vivants."

J'apprends tellement de choses à leur contact. J'apprends la terre et les animaux, j'apprends ce qu'il reste du provençal de leurs ancêtres, j'apprends les traditions, j'apprends l'histoire (et les histoires) du présent-ici, j'apprends leurs différentes passions, j'apprends leurs difficultés, j'apprends tout ce monde que je n'avais fait qu'effleurer jusque là et où je ne savais pas entrer malgré ma volonté. Et avant toute chose, et en grandeur nature, j'apprends l'infinie bonté de l'humanité, sa grandeur et sa beauté.


Alors non, je n'ai pas fait grève. Je n'ai pas manifesté. Je n'ai pas été en AG. J'ai fait autre chose pendant ce temps, des choses que j'ai pensé être capable de faire, ce que je peux là où je suis. Il y a tant de façons de tâcher de construire un monde plus beau, et j'en ai essayé un nouveau. Ne pas lutter contre la destruction, mais faire en sorte que finalement celle-ci n'ait rien détruit de réel puisque d'autres choses se sont construites à côté pendant ce temps, de plus haut et de plus fort. Je l'espère.