vendredi 10 avril 2009

Au matin d'un petit grand monde

La timide lumière du soleil pas encore tout à fait levant contre le mur de l'escalier. Elle vient d'attirer mon œil pendant que je montais ici avec mon café.


Ça fait quelques temps que je réveille tôt. Non, pas si tôt que ça tout de même ! Entre 6h et 7h30, ça dépend des jours. Et je vois les couleurs naître sous les chants des coqs. Puis j'entends les premiers cris d'oiseaux. Parfois, l'âne M. passe la nuit près de la maison et nous gratifie d'un concert de braiments à intervalles réguliers. À partir de 7h et demie commencent les premières visites à la ferme : il y en a qui ont leurs heures, d'autres leurs jours, et d'autres encore qui improvisent. À 7h30, souvent, c'est un fermier d'un peu plus loin, un vieux maraîcher très célèbre dans le coin pour ses courges muscade, qui vient boire le café. Il est petit, rond, lourd, se déplace difficilement, a le visage buriné par le pastis et le soleil. Il vient presque toujours seul, parfois accompagné de son fils. Il fait des blagues d'obsédé sexuel, c'est pas toujours sympa, surtout de bon matin... mais il est gentil dans le fond. Même s'il est spécial, différent, qu'on ne partage franchement pas beaucoup d'avis.


Entre 8h et 9h passent toutes sortes de gens. Des amis, des connaissances, des collègues, de la famille, qui restent un peu ou ne décollent plus, qui viennent dire bonjour, boire un café (ou deux, ou trois...), grignoter un petit quelque chose que la maîtresse de maison vient de sortir du four ou qu'on lui a apporté, qui viennent demander un service, rendre un service, prêter ou ramener un outil, donner un coup de main, prendre l'air ou des nouvelles.


Il y a les filles de la ferme qui passent au QG, quand elles ne travaillent pas pour le viticulteur du dessous. Qui se demandent ce qu'elles vont faire à manger à midi, le soir. Elles sont parfumées et portent des talons.


Il y a les rares, ceux qui sont partis, ceux qui viennent de loin, ceux qui travaillent trop, ceux qui sont occupés. Il y a ceux qui manquent, et ceux qui viennent par habitude. Il y a ceux qui s'incrustent. Et il y a ceux qui boudent, mais qui reviendront — on le sait.


Sur le fil en face de ma fenêtre, il y a un tout petit corbeau posé avec un très grand ver de terre dans le bec. Il regarde dans tous les sens... je me demande ce qu'il cherche.


On ne donne quasiment plus de foin aux chevaux : ils ont enfin assez d'herbe dans leur parc, dont on a encore doublé la surface il y a peu. Ils aiment être derrière les arbres, je suis contente qu'on leur ait donné cet espace aussi, j'étais sûre qu'ils aimeraient, le point de vue est superbe, ils voient loin, il n'y a pas de pierres.


Ce monde qui m'était étranger il y a si peu de temps m'a adoptée moi toute entière. J'avais tellement peur qu'on me juge trop différente, trop écologiste, trop théoricienne, trop féministe ou je ne sais quoi mais non. Le matin de mon anniversaire, voyant que j'étais sortie faire une course, les filles m'ont appelée et m'ont chanté "joyeux anniversaire" au téléphone, et moi en les entendant j'avais les larmes aux yeux. Il y a quelques temps, on a reparlé de notre fils au hasard d'une conversation, et notre fermier s'est mis à pleurer. Leur vie a été marquée d'épreuves difficiles ; dans un livre de Michel Odoul, j'ai lu une théorie selon laquelle c'est aux personnes les plus fortes que l'on ajoute un handicap. Ils doivent être sacrément forts dans ce cas... et je les admire, souvent.


Le soleil vient à présent éclairer le mur. Je vais prendre une petite douche, m'habiller, et aller rejoindre ce petit monde, si petit mais si grand.

6 Commentaires :

Valérie de Haute Savoie a dit...

J'aime beaucoup te lire...

malie a dit...

Valérie de Haute Savoie > Même lorsque c'est sans queue ni tête comme ici ? Alors, un grand merci ! :-)

Baronette a dit...

Elle est intéressante cette théorie de Michel Odoul...
Heureuse de te lire à nouveau

malie a dit...

Baronette > Oui, hein ? Le seul problème que je lui trouve, c'est de tenter de justifier à tout prix toutes les choses. J'ai souvent peur de tomber dans ce besoin. En même temps, c'est souvent super révélateur, ce qu'il dit.

Baronette a dit...

Oui, c'est vrai, trouver une explication, une raison d'être aux choses permet parfois de mieux les supporter et je fais partie des gens comme toi que ça interpelle profondément, c'est tellement humain. Si tu as des craintes, c'est que tu gardes un esprit critique, je ne crois pas que tu tombes dans quoi que ce soit.

malie a dit...

Baronette > Ça permet de supporter oui, et puis d'expliquer, de réfléchir, d'analyser et de tenter de comprendre aussi.