mardi 21 avril 2009

Ôde à Meudon

Il y a 2 ans, un matin j'ai pris le TGV, puis le RER, puis le tramway et je suis descendue sur un tout petit quai ensoleillé. J'ai monté une rue privée, ponctuée de maisons plus magnifiques les unes que les autres, certaines en pierres, d'autres en bois. J'ai senti le calme — le calme avant la tempête. J'ai rempli mes yeux des magnolias en boutons. J'ai débarqué, essoufflée par le dénivelé et le poids de mon sac à dos de turbo-Ater, dans une rue de Meudon, avec la gare d'un côté, le CNRS de l'autre, le bar des auditionnés en face, et la circulation automobile au milieu de tout ça, comme un brusque rappel à la réalité. J'ai trouvé une amie lisant au soleil sur la terrasse. Je suis allée reconnaître le terrain, la salle où je passerais quelque temps plus tard, et je suis allée boire un café avec elle. J'avais aimé cette expérience. J'avais passé, en cette première journée d'une longue série dont j'ignorais alors tout de la durée et de la douleur, un moment d'un rare plaisir.


Ce que j'ai le plus apprécié, et je l'ai su tout de suite, et j'ai pu le vérifier à chaque nouveau passage, c'est le chemin qui monte au travers des magnolias. La saison est douce, même un jour de pluie. Les fleurs sont colorées, les odeurs douces et le calme précieux parce que si précaire, on le sait, on ne pense qu'à ça. Un instant propice à la concentration, à la détermination, à la volonté. On remonte ce chemin comme on remonte toute l'histoire qui nous a amené là, sur ce petit chemin de Meudon, par un matin d'avril. J'ai le choix pour m'y rendre, mais j'aime trop ce chemin pour en prendre un autre ; si j'arrivais par le train, j'aurais trop l'impression de râter une étape capitale.


J'ai pris ce chemin deux fois il y a deux ans, deux nouvelles fois l'année dernière, et je le prendrai une seule cette année : j'ai dû brusquement abandonner mon premier rendez-vous il y a quelques semaines. C'est pour tout bientôt. Je sais que je ne le reprendrai plus, ensuite. C'en sera fini de ces rendez-vous printaniers dans un quartier méconnu, complètement à part du reste, pour un moment que l'on prépare plus qu'on ne le vit réellement.


Je me demande si d'autres candidats vivent cela comme moi. Je me demande si des membres du jury ressentent cela. Je me demande si certains au contraire détestent ce chemin parce qu'il monte et que c'est fatiguant. Je me demande si l'on devrait en parler pendant l'audition, et constituer les sous-jurys en fonction des différents chemins que l'on aime prendre pour se rendre en ce lieu si inhabituel pour chacun de nous. J'en avais parlé à un membre du jury une fois, il m'avait répondu d'un air rêveur, "Ah oui ce chemin..." Je me demande si, quand le temps le permet, on devrait faire les auditions sur le chemin, l'arpentant tous ensemble, parlant, s'interrompant pour indiquer une touffe de chélidoine devant un portail, des fleurs de fumeterre qui s'incrustent entre les pierres d'un muret. Péripatéticienne audition, dont les accents suivraient les éléments du parcours.


On ferait un bout de chemin ensemble, pour voir si nos pas peuvent apprendre à s'accorder, pour voir si nos idées voguent sur les mêmes flots, pour voir si l'on peut se surprendre les uns les autres. Pour donner un peu de souffle à l'exercice, pour ne pas s'enfermer dans un cube au papier peint blanc, aux chaises jaunes, au vidéo-projecteur gris, aux places nominatives. Chacun n'aurait pour lui que ce qu'il est dans la vie, son souffle, sa voix, ses connaissances, son à-propos, son ancrage dans le réel.


Il faut que je trouve un moyen de donner cette énergie-là à mon audition. Que je les emmène au-delà de la pièce, du bâtiment, de la cité. Et quand je sortirai, je pourrai regarder la tour Eiffel au loin en me disant : "J'y étais à l'instant".

8 Commentaires :

Akä a dit...

Mais pourquoi tes mots me poignent-ils autant? J'ai les larmes aux yeux et je ne comprends pas pourquoi. Mais ça ne fait pas mal, non, merci...

malie a dit...

Akä > Peut-être parce que parfois on se rend compte d'un coup que l'on s'est laissé enfermer sans même s'en rendre compte, et qu'on réalise brusquement ce qu'on y a perdu. Alors on voit ce que l'on pourrait faire, comment l'on pourrait faire, autrement, en toute liberté...

caco a dit...

"On remonte ce chemin comme on remonte toute l'histoire qui nous a amené là, sur ce petit chemin de Meudon, par un matin d'avril."

J'y étais à l'instant. Enfin, presque...
Merci

malie a dit...

Caco > C'est que je tiens le bon bout alors :-)

Tiphaine a dit...

J'aime BEAUCOUP ce billet, beaucoup, beaucoup...

Céline a dit...

Je me souviens avoir accompagné mon mari au même endroit et pour les mêmes raisons il y a trois ans ... mais probablement pas par le même chemin, je me souviens plutôt de la précipitation pour cause d'audition à Caen quelques heures plus tôt et du soulagement d'être finalement arrivé à l'heure.

Lise a dit...

J'ai lu plusieurs fois ce billet, je lui trouve une beauté poignante.
Merci, m'irza, pour ces fleurs de magnolia et ce calme bienfaisant.

malie a dit...

Tiphaine > Peut-être parce que tu connais aussi ce chemin, d'une manière ou d'une autre ? :-)

Céline > Waou, ça a dû être sport, ça !

Non mais tout de même, ils abusent dans certaines facs, ils savent très à l'avance quand sont les auditions au CNRS, il pourraient éviter de placer leur auditions juste au même moment. Comme beaucoup d'autre chose, je perçois ça comme une forme de chantage.

Lise > Merci à toi aussi :-)