lundi 13 avril 2009

Eyes wide shut

Depuis les nuages hauts très hauts d'où j'observe les événements de grande envergure qui m'entourent, ceux qui enflamment l'une des communautés auxquelles j'appartiens, ceux que que je vois se dérouler ici tout près de moi, je ne vois presque que des choses qui me blessent. C'est peut-être aussi parce que je savais cela à l'avance, pour l'avoir déjà vécu, que je n'ai pas voulu prendre part à tout ça. (J'y cherche beaucoup de raisons, pas tout le temps mais régulièrement. J'essaie de comprendre pourquoi, en profondeur, par rapport à mes choix de vie et mes opinions, j'ai pris le parti de ne pas participer.)


Dans les échanges que je lis, je me vois aimer de plus belle les personnes que j'aime, être déçue des interventions de celles que je connais seulement. Parfois j'ai envie de répondre, mais je m'en abstiens ; je suis intimement convaincue que ça ne fera pas évoluer les choses vers du positif — ni vers du négatif non plus. Je vois que souvent l'on se met à avoir une peur bleue, une terreur qui pousse à accuser les autres de tous les maux, à chercher d'ores et déjà un coupable de la faillite qui nous attend, contre laquelle on ne sait plus que faire, à laquelle on sait qu'il n'y a que peu d'alternatives et que l'on ne se sent pas le courage, pas la force, pas l'envie, parfois même pas la conviction de suivre. Alors on se sépare. On se désolidarise. On oublie tout de la tolérance, de l'humanisme, de l'esprit de groupe et on crie très fort "Mais moi c'est pas que ce que veux ! Et si c'est pas comme je veux, alors je ne ferai rien." On se gargarise d'être si nombreux à partager, et puis au bout d'un temps où l'on commence à comprendre que pour partager il faut être tolérant à la diversité, il faut accepter aussi les avis des autres, surtout ceux de la majorité si l'on joue au jeu des votes, alors on se replie et l'on crie à la manipulation, à la récupération, à la séparation. Ce qui est faux : il n'y a aucune séparation de plus aujourd'hui qu'il n'y en avait à l'origine même des mouvements. Je pense même que s'il n'y avait pas eu cette diversité originelle, si ces gens sur qui l'on tape aujourd'hui n'avaient pas été déjà présents et intègres hier, rien n'aurait jamais commencé et chacun se serait contenté de maronner dans son coin.


Alors ces jours-ci, on se met à faire sienne une idée qui avait été lancée par quelques-uns pendant un temps : celle de la récupération politique. Alors je dis oui, bien sûr qu'il y a de la récupération politique dans le mouvement, et encore heureux. C'est quoi la politique, si ça ne consiste pas à avoir une certaine idée de la société (quelle qu'elle soit peu importe ici) et à tâcher de l'appliquer dans ses actions quotidiennes ? Ça rimerait à quoi si les personnes qui essaient de faire quelque chose cachaient ce qu'ils veulent faire ? Ça rimerait à quoi si le but de chacun, lorsqu'il s'exprime, était de trouver une formule qui plaise à tout le monde ? Ce qui se passe, aujourd'hui comme tout le long de ce mouvement et avant et encore après je l'espère, c'est que l'on peut donner son avis quel qu'il soit. Ceux qui parlent souvent, ceux que l'on couvre d'opprobre ces jours-ci en les accusant de monopoliser les débats, sont des personnes qui croient profondément que chacun peut s'exprimer. Pourquoi est-ce que ceux qui pensent différemment n'osent pas le faire à leur tour ? Ont-ils peur d'exprimer leur avis ? Ont-ils peur de ne pas faire l'unanimité, est-ce que c'est le but quand on prend la parole ? Ne voient-ils pas que ceux qui parlent se contentent d'exprimer leur propre avis, qui les concerne uniquement, et non pas de formuler leurs propos de manière à gagner à l'applaudimètre ? Sont-ils tellement aveuglés par leurs propres fantômes (ou pire, ceux qu'on leur a imposés) qu'ils n'arrivent plus à voir que la diversité existe, que l'on peut avoir d'autres vœux, d'autres souhaits, d'autres méthodes que les ternes options que la télé nous apprend ? Ont-ils finalement chaussé les fers bon gré, mal gré en adoptant cela comme "un mal nécessaire" ?


Il y a quelques temps je parlais de la fierté que j'éprouvais face aux étudiants qui avaient appris en quelques mois, lors d'une action précédente, à s'approprier la chose politique, à participer, à exprimer, à chercher seuls et en groupes. Ils avaient appris, entre autres choses, à se parler et à s'écouter les uns les autres. Je voudrais que cela ne soit pas perdu.

2 Commentaires :

caco a dit...

Difficile exercice, la liberté d'expression. Difficile aussi d'entendre l'autre exprimer pas-tout-à-fait ce qu'on ressent, sans réussir non plus à aligner ses propres mots, à ordonner ses idées. Facile par contre de rejeter et d'accuser...
Merci de ce billet, je tombe aussi trop souvent dans le panneau de l'orgueil, du silence, du cynisme, de la méfiance (faut dire, avec ce que les gouvernants en font depuis bien avant que je naisse, l'idée même de la politique pue la vase, à force).

malie a dit...

Caco > Merci de ta réponse, qui m'apprend encore une fois à relativiser mes propos, mes pensées. Oui c'est sans doute difficile aussi d'entendre dire (et approuver qui plus est !) autre chose que ce que l'on pense, et de pas arriver soi-même à dire ce que l'on pense, de ne pas oser s'exprimer. Je devrais tâcher d'être tolérante vis-à-vis de ceux-là aussi :-)

Mais ce que je veux dire, surtout, c'est que la politique ne se réduit pas aux élections, pas aux gouvernants, pas aux instances administrantes : elle se fait aussi par nous, pour nous, directement, tous les jours et à tous les niveaux. C'est là qu'elle est la plus directe, la plus vive, et la plus belle aussi.