samedi 11 avril 2009

La carte de la douleur

Où est la réalité. Celle que l'on oppose si souvent à mon propos, à mon ressenti, à mes émotions. Où se situe cette chose en laquelle je croyais qu'il ne fallait plus croire, qu'il fallait apprendre à relativiser. Qu'est-ce que c'est que la réalité entre deux êtres différents, qu'est-ce que c'est que la réalité quand on parle de sentiment. Pourquoi est-ce que tout devrait être noir ou blanc, d'un côté ou de l'autre, jamais les deux, jamais au milieu, toujours l'un à l'exclusion de l'autre.


Est-ce que c'est moi qui déraille, est-ce que je devrais jeter aux orties tout ce que je ressens, et sur quoi devrais-je m'étalonner alors, pourrai-je me baser sur une réalité extérieure à moi, comment la comprendre, comment la voir, comment faire en fonction d'elle puisque que je ne la vois pas ?


J'ai le sentiment que c'est trop me demander. Que ce n'est pas faisable. Que ça doit être déformé. Est-ce que je dois taire cela si c'est si difficile à entendre ? Est-ce que je dois le taire si ça me fait encore plus souffrir de le dire ? Est-ce que, si j'accepte d'en souffrir maintenant, est-ce que ça sera pour un mieux ensuite ? Puis-je le savoir, comment puis-je faire pour le supporter ? Combien de temps encore cela durera-t-il ? Devrai-je encore longtemps encaisser les accusations et les reproches, les cris et les crises, les silences et les non-dits, la responsabilité intégrale de toutes les épreuves que l'on a endurées depuis ce jour, et m'interdire la parole, interdire le crédit à mes sentiments ?


Comment tenir compte de mon ressenti si, à chaque fois que je l'exprime, ça a des conséquences catastrophiques ? Comment savoir si mon ressenti n'est pas lui-même influencé par ça, biaisé, faussé, décalé, exagéré par réaction ? Comment trouver une juste mesure, à qui la demander, comment en être sûre ? Comment me faire confiance lorsque tout ce que j'essaie mène à toujours plus de maux ? Lorsque dès que je m'attache à une chose, elle lâche aussitôt ?


Quand j'essaie de reprendre du courage, de prendre du recul, je me dis que je n'ai qu'à attendre, prendre sur moi, ne pas répondre, ne pas dire, laisser passer du temps, ne pas tenir compte de ce que je ressens, faire comme si ça n'existait pas. Ensuite je me dis que ça n'est pas possible, que je ne peux pas me tromper tant que ça, que je ne peux pas être si fausse que ça avec moi-même. Alors je me dis que je dois tenir compte de ce que je ressens ; mais quand je le fais, je me retrouve malheureuse. Et quand je tâche de faire autrement, j'ai tellement l'impression de me nier que je me retrouve figée, brisée, incapable, à genoux.


Je me dis que je ne sais pas présenter cela dans travestir la situation. Que je ne sais pas en parler en toute objectivité. Alors je ne le fais pas. Parce que si je le fais tout de même ça me renforce dans ma vision des choses, celle qui semble être si loin de la réalité dont je suis censée tenir compte. Je crois alors gagner en force, en confiance en moi, et je me retrouve de nouveau blessée lorsqu'on me rappelle à cette réalité qui m'est étrangère.


Lorsque les choses sont dures, si dures que l'on n'a plus la force d'affronter le monde ; lorsque la douleur est moins visible mais encore si présente et que l'on n'en peut plus de la sentir nous tenailler ; lorsque l'on n'en est à ne plus savoir si c'est cette douleur-là qui continue de nous dévorer ou si c'est nous qui nous faisons du mal tout seul ; lorsque l'on ne sait pas si c'est une question de temps ou de volonté ; comment peut-on faire pour trouver sur quoi se reposer ?

18 Commentaires :

Yves a dit...

Te dire simplement que j'ai lu – et relu – ton billet avec empathie.
Ne jetons rien aux orties qui pourrait leur déplaire.

mxmm a dit...

Bonjour !
Ca fait 4 jours que je vous lis et même si je n'a pas grand chose à ajouter en commentaire, j'avais tout de même envie de dire bonjour.
On ne peut pas mettre un mouchoir sur ces sentiments mais c'est difficile d'être soi-même à chaque instant... Vous dites tout cela très bien, merci. A bientôt.

caco a dit...

Envie de t'offrir mon oreille, même aux cris les plus douloureux, une épaule, même pour les secrets les plus lourds, et des bras à noyer de larmes autant que tu voudras.
Et je suis loin, et même plus près, je ne sais pas si j'oserais te le dire comme ça. Alors ce soir je t'accompagne en pensée. Du plus fort que je peux.

malie a dit...

Yves > Merci.

mxmm > Bonjour. Ça doit être étrange de commencer la lecture au moment de mon retour après le moment de silence... Bienvenue en tout cas.

Caco > Souvent en ce moment ça me manque tellement ce que tu m'offres là... Merci de t'aider de la barrière de la distance pour me le dire. Peut-être qu'il y en a d'autres qui, plus près, n'ont justement pas cet appui et l'on reste, comme ça, à se regarder sans rien dire. Merci caco.

Lise a dit...

Je me joins à Caco. De tout coaur avec toi. Lise

caco a dit...

...
C'est beau comme tu l'exprimes, cette carte de la douleur qui ne suit que le trajet sensible du bout de tes doigts.
Composer avec sa douleur, vivre avec, et puis dedans, et à côté, et la laisser nous malmener... Quand il ne reste que le verbe et qu'on découvre, miracle, qu'il soulage un peu, pas longtemps, mais un peu quand même...
Toujours avec toi par la pensée.

Valérie de Haute Savoie a dit...

Et s'il fallait d'abord le dire à quelqu'un qui pourrait l'entendre sans être bouleversé ? Quelqu'un qui saurait écouter, comprendre, mais ne serait pas impliqué dans cette histoire douloureuse ?
Je te lis, j'essaye à travers les mots de comprendre...

malie a dit...

Lise > Merci.

Caco > Hier un autre personnage a accepté de jeter un œil à sa position sur cette carte. Long soupir de soulagement. Accepter son existence, c'est déjà bien.

Valérie de Haute Savoie > J'y ai pensé, j'ai même essayé... et puis après le dernier échec en la matière, on m'a dit qu'il fallait que j'arrête ça et que je me contente de décider que j'allais bien. (Ben tiens.) Autant dire que ça n'a pas super bien marché... :-)

Lise a dit...

Alors, peut-être est-ce tout simplement trop tôt pour lâcher la douleur? Et même si d'autres autour de toi préféreraient qu'elle se soit évanouie...
Je t'embrasse fort.
Lise

malie a dit...

Lise > Oh que oui, c'est encore trop tôt. Elle n'est plus présente en continu, mais elle revient régulièrement me tenailler. Le hic, c'est que dans ces cas-là je me dis que je n'arriverai jamais à vivre avec... même si, finalement, je constate que c'est ce que je fais chaque jour. Même si c'est franchement pas facile.

Lise a dit...

Vivre avec, c'est lui donner une place, à ta douleur.
Par exemple, cela pourrait être d'instituer un moment dans ta journée où tu es pleinement dans la douleur, où tu acceptes de t'y plonger. En adaptant le temps à ce dont tu as réellement besoin pour qu'elle s'exprime. Le lieu et l'heure à un moment où tu es tranquille pour l'exprimer.
Prendre ce temps régulièrement sur plusieurs semaines et observer ce qui se passe, dans ce moment et dans les autres.
Je t'embrasse

malie a dit...

Lise > J'ai du mal à faire ce genre de chose dont tu parles, tout comme j'ai eu du mal à faire du yoga aussi, et même à continuer les bains dérivatifs p.ex., parce que je conçois ça comme un moment qui doit être toujours le même dans la journée, et je n'arrive pas à réserver un créneau comme ça. Alors, je me dis tant pis, je le ferai quand je pourrai, et là ça ne marche pas (comme on peut s'en douter)...

Lise a dit...

OK- t'es-t-il possible de réserver quelques moments comme ça dans ta semaine en fonction de tes autres activités ? Où est-ce le fait de planinfier qui est un problème ?

malie a dit...

Lise > C'est le fait planifier. Je tiens quelques jours et puis plus moyen. Je fais trop de choses différentes, ou alors je ne sais pas m'organiser, ou alors je tiens trop compte des imprévus... bref, pas moyen :-/

Lise a dit...

Heureusement que tu sais tenir compte des imprévus, non ;-)
Je t'embrasse

malie a dit...

Lise > Oui :-)

malie a dit...

Lise > Oui :-)

marie-cécile a dit...

Bonjour,
je vous découvre aujourd'hui. Cette douleur, si semblable à la votre, neuf mois, un fils ainé, Axel, l'impossibilité de le prendre dans mes bras. ça fait onze ans. Analyse, longue, une solitude qui s'approfondit dans les mots, malgré la naissance d'une soeur puis d'un frère. Au bout, la folie. Pour masquer la douleur, peut-être. J'ai trop cherché à comprendre. Cette douleur est une absurdité, une erreur de la nature. Je suis une femme de mots et d'images (sémiologue). J'ai écrit des centaines de pages, épuisé des toiles, il n'y a pas de carte, pas de possibilité de balisage, elle est là comme l'évidence d'une amputation. Complexe comme le déroulement d'une vague, on ne peut que "faire avec", comme on fait avec les séismes, avec les fureurs de la terre, on ne range pas la douleur dans une partie de la journée, on ne la supprime pas. Il faut s'en accommoder. Ne perdez pas votre temps avec la douleur, vivez. Comme le font les malades chroniques. 11 ans après, j'écris encore en serrant les dents. Je ne sais que deux choses, il ne faut pas dire "l'enfant, le bébé", il faut lui donner son nom, son territoire, et, manipulation on ne peut plus difficile, lui donner sa liberté la plus absolue, cette liberté comprenant son droit de mourir quand bon lui semblait. Il faut aussi un jour aborder la puissance de la colère, cette colère de mère infinie, infiniment bonne, dirigée vers l'enfant pour le protéger. Cette colère qui a "échoué", qui n'a pas pu protéger celui qui ne souhaitait pas être protégé et se trouve inemployée. Vous n'imaginez pas la profondeur de votre colère, votre écriture "blanche" la masque tant bien que mal, mais c'est un puits sans fond. Sans fond aussi celui de l'injustice convoquant un inconnu, hasard, ou autre, se mêlant de votre vie. Inconnu contre lequel on ne peut rien. Inconnu semblable à la douleur, qui ne promet jamais qu'il ne se mêlera pas un jour à nouveau de votre vie.
Malgré tout, vous restez vivante, et pas plus forte, contrairement à ce que raconte cette connerie de proverbe, pas mieux ni pire, juste vivante. Et blindée comme un char d'assaut, blindée d'espoir. Je partage avec vous une douleur du soir, vous voyez, 11 ans après, ça coule encore. Rien ne sert de se débattre. C'est ainsi.