lundi 21 septembre 2009

Journal de Mister C. (4)

La scène : Un parc. Deux chevaux : Mister C. et un autre. J'arrive avec, à la main, des plants de haricots à leur donner pour voir s'ils aiment ça. Je les dispose en petits tas à différents endroits dans le parc. Le second cheval teste un premier tas, goûte et aime ça, et commence à chercher les autres. Mister C. ne bouge pas. Je lui amène quelques touffes de haricots, lui présente.


Lui : Qu'est-ce que c'est ? Ah ! Des haricots...


Il reste à les sentir, il remue les lèvres contre les feuilles mais ne mange pas.


Moi : Ben alors, t'aimes pas ça ?


Lui : Ben... si... si si j'aime ça...


Moi : Alors pourquoi tu n'en manges pas ? Tu sais, c'est pour te faire plaisir que je t'en ai apporté, je voulais te changer un peu du foin.


Silence.


Moi : Qu'est-ce qui se passe Mister C. ?


Lui : Mais tu m'énerves avec tes cadeaux ! Alors moi voilà, dimanche tu me dis que c'est la début de la chasse, qu'il faut que je fasse attention, que tu as peur pour moi, que tu voudrais me mettre dans le parc avec l'autre là — je l'aime pas celui-là, il veut tout le temps faire le chef alors que moi je m'en fous de lui — mais que tu as peur que je n'y reste pas. Alors moi j'y vais, dans ce parc. Tout seul, sans qu'on me demande rien. J'y vais, et j'y reste, tranquille, depuis lundi.
Et puis depuis, ben tu viens plus me faire des gratouilles. Avant t'étais toujours là, à chaque fois que tu sortais de chez toi tu venais me voir, me dire un petit mot, voir si tout allait bien. Maintenant je suis à peine plus loin et tu viens même plus, et moi je me retrouve avec l'autre que j'aime pas.
Alors je suis là et je m'ennuie. Et voilà que tu m'amènes des haricots ! Mais qu'est-ce que tu crois, j'adore ça les haricots ! Quand je descendais le soir, quand j'étais en liberté, ben tu vois j'allais faire un tour dans le potager, après être passé dans les maïs, et puis je grapillais quelques haricots, des tomates, des bouts de courges. Ensuite je descendais dans le champ en-dessous, je me roulais dans l'herbe et je sautais sur mes pieds, et je courais, je courais à toute vitesse jusqu'au bosquet. Ensuite j'allais voir les juments dans leur parc. Mademoiselle O. me faisait des gratouilles sur le garrot, elle est un peu chipie mais elle est chouette. Je ressortais du parc, j'allais dans le grand champ de blé, je mangeais des herbes sauvages sur le bord, je descendais dans le lit de la rivière, je me roulais encore, et puis je partais dans le sorgho pour courir encore un peu, avant de remonter à la ferme au matin, où je te retrouvais, et tu sortais de chez toi, tu venais me voir, et des fois tu me brossais et on partait se balader tous les deux.
Alors tu vois ? Tu vois comment j'aime ça les haricots ? Les haricots c'est la liberté. Moi je suis rentrée là pour te faire plaisir...


Moi : Tu sais, c'est pas pour t'embêter que je t'ai demandé ça, je me doute bien que ça doit être dur pour toi, mais c'est à cause des chasseurs. Tu sais comment ils sont, surtout au moment de l'ouverture, tu te souviens comment tu avais peur quand ils tiraient le premier jour, hein ?


Lui : Oui je m'en souviens. Mais c'est pas juste. Avant je faisais ce que je voulais, j'allais où je voulais, je mangeais ce que je voulais. Je voyais plein de gens, tout le monde venait me voir et me disait que j'étais beau, que j'étais trop gentil, il y avait les veaux qui me prenaient pour leur papa.


Moi : Je suis désolée pour toi, Mister C. Sincèrement désolée.


Lui : Ça me manque...
Dis, tu veux pas me gratouiller là ? Non un peu plus haut là... oui voilà, juste là...


Plus tard, je lui ai expliqué que s'il voulait, il pouvait sortir la nuit pour se balader, mais uniquement une fois que la nuit était tombée, et à condition de rentrer avant le lever du jour.


Ben croyez-le ou non, depuis cette discussion, il est sorti les deux nuits, et est rentré juste avant l'aube...

4 Commentaires :

Valérie de Haute Savoie a dit...

C'est un cheval extraordinaire et très attachant.

Yves a dit...

En plus d'être cheval, Mister C. est philosophe : « Les haricots, c'est la liberté !»

Anonyme a dit...

Incroyable O_O
(Et pourtant je te crois !!)
Mais comment tu fais ça ?!
Caco

Akä a dit...

Et le sourire du poisson épanouit mon visage.