mercredi 27 mai 2009

Ce qui ne nous tue pas, etc.

J'aurais voulu titrer "Une nouvelle vie s'ouvre", et même que, d'une certaine façon, je pourrais le faire. Mais ce n'est pas exactement ce que j'attendais. Ce que mon orgeuil attendait en tout cas. Ce que mon naïf espoir dans les contes de fées où le héros gagne à la fin, attendait.


Campagne de recrutement enfin terminée. La troisième. Toujours rien. Et j'y ai cru encore cette année, j'ai cru en lisant certains descriptifs de postes que je saurais être la bonne dans 2, peut-être 3 cas. On ne m'a laissé ma chance que dans un seul, qui s'est finalement conclu un peu comme les autres, par une déception, toujours un peu la même, toujours pour ces mêmes raisons que la majeure partie des jeunes docteurs en recherche de poste connaissent, ce qui fait que l'on devient usé avant l'âge, blessé, vaincu, amer, blasé, haineux parfois. Pour des raisons qui n'ont rien à voir avec le travail.


Alors en l'espace de quelques heures, je suis passée de la colère (envie de claquer la porte de mon labo — qui n'avait pas grand-chose à voir avec la situation — en hurlant ma rage), au fatalisme (j'aurais pas dû y croire, je sais trop bien comment ça fonctionne, ben si c'est comme ça j'arrête, puisque je n'arriverai jamais à être la personne arrivant dans les conditions — politiques, disons — requises), puis au désespoir (j'ai gâché ma vie jusqu'ici, j'ai consacré 30 ans à constuire quelque chose qui est sans espoir, comment est-ce que ja vais bien pouvoir réussir ma vie à présent, je suis foutue), et finalement à la simple tristesse (je suis dégoûtée, donc j'arrête, je prends le temps de me reconstruire, je prends du recul, et puis si jamais un jour j'ai envie de tenter le coup à nouveau on verra bien, mais pour l'avenir immédiat c'est fini).


Tristesse de devoir abandonner quelque chose qui me tient à coeur, depuis longtemps, quelque chose dans laquelle j'ai beaucoup investi. Mais c'est un peu comme dans Les invasions barbares, quand la junkie constate que tout ce que le héros aime dans la vie ce sont des choses dont il ne peut plus jouir à présent, et que donc cette vie-là qu'il aime, est révolue : ce n'est pas ce que j'ai fait ces dernières années qui m'a plu, c'est ce que je faisais avant. Depuis que j'ai commencé à faire des choses contre lesquelles je m'élevais au départ (faire des contrats courts, écouter les autres qui me disaient qu'il fallait être mobile), je me suis usée. J'y ai perdu mon temps, mon énergie, mon entrain, mes capacités à m'investir (comment faire des choses constructives quand on est là pour un an et qu'il faut ce temps-là au moins pour prendre ses marques quelque part, pour s'imprégner du lieu et de ses us ?), ma volonté, mon imagniation et mes idées.


Fatigue d'entendre qu'il faut être mobile, sortant de la bouche de maîtres de conférence qui se recrutent en local sur les postes de profs (...et où ils avaient déjà été recrutés localement en MCF). Fatigue de l'entendre encore et toujours, même alors qu'on l'est depuis 3 ans. Fatigue de constater que ça ne sert à rien puisque de toute façon, un énorme dossier ne sert, au mieux, qu'à passer derrière des candidats à qui l'on ne demande ni d'être extérieur, ni d'être mobile, ni même d'être forcément meilleur. Au pire, ça sert à être écarté d'un concours pour éviter la concurrence.


Alors j'ai pleuré, pleuré, souvent depuis 36 heures, pour diverses raisons.


Ça fait tellement bizarre de penser que ça y est, j'y suis, le moment est arrivé de passer à autre chose. Et puis ça ne se fait pas vraiment comme je l'avais pensé, puisque j'ai devant moi quelques mois de bonheur scientifique en perspective, quelque chose d'inattendu mais qui tombe à pic, de quoi finir en apothéose (et sans la pression des concours, cette fois), de quoi retrouver mes plaisirs initiaux à ce métier juste avant de le mettre de côté.


C'est à la fois très chouette et effrayant.

10 Commentaires :

Akä a dit...

Comme tous les grands tournants, je suppose. Et même les petits parfois.

Pandore a dit...

Je suis triste et je t'envie.

Je suis en colère contre ce qui te fait quitter et je suis heureuse parce que tu vaux sans doute mieux que ce que tu as tant de mal à abandonner.

Il est mille vies plus belles et quelque part je sais que le prix après lequel on court ne vaut pas les sacrifices et les peines qu'on s'inflige soi-même...

Mais j'ai mal à voir qui part et qui reste.

Bonne route, je te souhaite de vertes contrées bien plus épanouissantes que ce petit monde nécrosé ;)

Valérie de Haute Savoie a dit...

Je ne sais quoi trop te dire, si ce n'est que je comprends cette rage. Évidemment que pour l'instant tu n'imagines pas recommencer à te battre pour être acceptée dans ce boulot que tu aimes tant, c'est encore trop frais, et envisager une autre route est plus sain que de se morfondre, pourtant, heureusement, cet avenir ne t'est pas définitivement interdit, il faut que tu reprennes des forces pour pouvoir à nouveau y croire, remonter au combat. Je croise fort les doigts !

malie a dit...

Akä > Ben, je me demande. Des fois, j'espère, je veux l'espérer, on prend des tournants pour des raisons positives. Là, en tout cas sur le départ, c'est pas complètement de gaieté de coeur.

Pandore > J'ai mal aussi.
Et puis à la réflexion, je me dis que de toute façon y'a trop de bons candidats qui méritent un poste, et pas assez de postes. Même s'il n'y avait aucune magouille sur les recrutements (hypothèse purement théorique, et un peu farfelue je le concède), il n'y aurait pas assez de postes disponibles pour recruter tous ceux qui le méritent.

Regarde, cette année, dans mon profil (qui est pourtant assez large) y'avait 3 postes disponibles. Combien de gens étaient dans le même cas que moi ? Combien j'en ai entendu qui en étaient rendus au même point, à n'avoir qu'une unique audition pour l'année, alors que ce sont de vrais bons ?

Quand je pense que l'autre jour, j'entendais qqn (censé être "au fait" de ces choses-là) qui expliquait que dans les 10 ans à venir, le contingent de jeunes docteurs + de doctorants actuellement sous contrat sera insuffisant pour remplacer les départs à la retraite... depuis le début de ma thèse j'entends ce discours. C'était il y a 7 ans ! Où sont lesdits postes ?

...

...Ben...

...C'est-à-dire que...

...j'crois qu'ils n'ont tout simplement pas été remis au concours. Entre autres choses.

Et l'autre, il y croyait mordicus, à son argument pour m'encourager à continuer ! :-/

Valérie de Haute Savoie > C'est très gentil. Il m'en faudra des forces, c'est certain, que ce soit pour affronter un éventuel retour dans ce milieu, ou pour me constuire dans tout autre chose, sans la moindre assurance de ce que ja vais y découvrir. Tout ça n'est pas simple... ça devrait, ça pourrait l'être, mais...

DrKoala a dit...

Bon je sais que c'est pas mon blog, mais quand même je voudrais le dire, moi aussi ça me met hors de moi qu'après tous ces efforts tu n'aies pas eu de poste! et tu as surement raison de dire que le problème c'est qu'il y a plus de bons candidats que de postes, et que même si on éliminait tous ceux qui obtiennent des postes localement sans le mériter ça ne suffirait pas à régler le problème. Le problème, c'est que les thésards ne coutent pas cher alors on en prend plein parce qu'ils font les trois quarts du boulot des chercheurs pour pas un rond, et puis après on les jette dans l'arène. C'est dégueulasse. La seule solution, même pas sûre qu'elle soit viable, c'est de se battre pour trouver des financements de projets et faire des postdocs à droite et à gauche. Ce qui comme tu l'as si bien dit est l'horreur pour arriver à travailler sur du long terme, ce qui nous ramène quasiment à faire soit du pur état de l'art soit de la pure ingénierie. C'est nul.
Bref, ma stratégie au point où j'en suis, où on en est tous, c'est de me faire plaisir au jour d'aujourd'hui, d'oublier un peu ces histoires de à qui graisser la patte pour espérer avoir une audition et peut être un poste, et me concentrer sur ce qui me plait, ma recherche. Cela dit pas facile quand mon labo me rabâche les oreilles avec des histoire de brevets et d'opportunités commerciales :( Mais c'est la vie je suppose!
Bref tout ça pour te dire que je compatis, je m'attriste du sort de la recherche qui ne te comptera plus parmi ses forces vives, et je te souhaite tout ce qu'il y a de meilleur dans la voie que tu choisiras!

pablo a dit...

Je suis passé par les mêmes déceptions et humeurs il y a 1-2 ans de cela.
Aujourd'hui je ne regrette pas d'avoir quitté la recherche. Je ne regrette pas non plus d'y avoir cru "à l'époque". Comme une histoire d'amour qui se termine mal mais qu'on aurait regretté de ne pas avoir connue.

"y'a trop de bons candidats qui méritent un poste" > c'est cela qui m'a aussi beaucoup aidé. Comprendre que cje n'ai pas démérité, mais que le système académique fonctionne comme cela : en bouffant du jeune précaire qui y croit. La lecture du livre "How the university works" m'a d'ailleurs été utile pour voir l'étendue du problème.

Courage et amitié !

malie a dit...

DrKoala > Hé oui, ce n'est pas une sitaution simple. Une situation que nos ainées, nos recruteurs peinent réellement à bien saisir, d'après toutes les différentes discussions que j'ai pu avoir avec tant d'entre eux.

Je pense que dans le fond tu as parfaitement raison. Ne serait-ce que parce que de toute façon, même si l'on suit tous leurs conseils ça ne présume pas du tout d'un résultat positif. Alors autant ne pas se prendre trop la tête et faire ce que l'on souhaite, comme on le souhaite.

Encore faut-il faire entrer ces souhaits dans le cadre des possiblités actuelles... c'est ça le plus difficile. Lorsque j'ai commencé ma thèse je ne voulais pas candidater à des postes précaires par la suite, Ater et autres postdocs, parce qu'entrer dans cet engrenage c'est cautionner un fonctionnement qui ne correspond pas du tout à ma vision de ce que ça devrait (que ça pourrait) être. Mais les discours des autres, mon envie d'y arriver, ont eu raison de ma volonté, de mes convictions. Même si j'en ai tiré des choses positives que je ne regrette pas, dans le principe je retiens que j'ai mangé mon chapeau, pour des raisons que j'avais pensées bonnes à l'époque mais qui ne se sont révélées ne pas l'être au final, et je regrette de l'avoir fait.

Je voudrais tellement arriver à mener ma vie comme je l'entends. C'est la mienne après tout, et c'est ma seule chance. Mais trouver un jute équilibre entre ce que l'on veut et ce que l'on peut faire, et réajuster ce fragile équilibre continuellement, bien que ça soit à mon avis le seul moyen de ne pas devenir chèvre, de ne pas être malheureux, ça semble tellement difficile à accepter.

Pablo > Ah, comprendre cela... et l'accepter, surtout. Que c'est terrible à dire, mais que quelque part c'est vraiment la faute à pas de chance. Qu'on n'y est pour rien, qu'on n'aurait pas pu "mieux" faire. Parce que même si on avait fait mieux, on aurait toujours pu se retrouver dans la même situation, et on aurait toujours pu faire encore mieux, etc.

Amitiés à toi aussi.

Anonyme a dit...

Bonjour,

Je suis tombée sur ce blog alors que j'étais frénétiquement à la recherche de témoignages de personnes qui ont quitté l'université de gré ou de force, afin de me sentir moins seule! Cela fait du bien de lire ses propres pensées écrites par quelqu'un d'autre.
Dans mon cas, j'ai quitté le milieu universitaire bon gré mal gré : après ma thèse (publiée), un bon CV construit au fil du temps, et dix années d'enseignement dont deux comme Ater, je me suis retrouvée bredouille (sans cours, sans contrat) par la simple volonté de collègues qui avaient besoin de caser l'un de leurs copains... En même temps, je me posais beaucoup de questions sur le pourquoi du comment de ce que j'étais en train de faire à l'université : continuer à gonfler mon CV en vue de l'ouverture d'un poste que l'on promettait depuis 4 ans au moins (ledit poste n'est toujours pas ouvert) m'était de plus en plus difficile. Bref, me maintenir coûte que coûte de contrat en contrat jusqu'à je ne sais quel âge dans cette sorte de purgatoire en vue d'atteindre peut-être le paradis tant promis ? Ma vie personnelle (dépression), mais aussi celle de famille commençaient à souffrir de mes doutes, mes questionnements perpétuels. Donc, j'ai pris le taureau par les cornes et ai décidé de chercher un nouveau job ailleurs. Deux interviews, et me voici depuis 6 mois propulsée dans un tout nouveau milieu professionnel auquel je ne connaissais rien il y a encore un an et qui ne connais rien à ce que j'ai fait jusque là. L'adaptation n'est pas tous les jours facile : l'absence de "challenge intellectuel" et de reconnaissance de ce que j'ai fait durant une bonne partie de ma vie me pèsent souvent... Et puis, vlan ! En cours de route, j'apprends que j'ai obtenu la qualification pour postuler en France (j'habite l'étranger et j'ai déposé mon dossier de qualification avant de prendre ma décision fatidique, un peu comme une bouteille à la mer). Et me voici à nouveau toute chamboulée, surtout lorsque je lis les blogs tels que celui-ci... Mon cerveau se remet à cogiter et je me dis que je ne suis pas encore tout à fait guérie de cette "maladie d'amour" pour la recherche et l'enseignement. Je me remets à rêver de pouvoir faire ce dont je rêve et ce pourquoi j'ai travaillé depuis l'âge de 18 ans, ce que j'ai pu faire pendant plusieurs années (j'ai croqué la pomme!). Je pense maintenant ne pas avoir le choix et me lancer dans la bataille, pour abattre mes dernières cartes... quitte à m'y brûler à nouveau les ailes... Comme le dit Pandore, "il est mille vies plus belles" (j'essaie d'en commencer une qui ne me nourrit pas complètement) et "le prix après lequel on court ne vaut pas les sacrifices et les peines qu'on s'inflige soi-même". Et pourtant ! Il faut que je sache si oui ou non un poste existe quelque part pour moi.
Merci pour votre blog et votre "écoute". Je vous souhaite le meilleur dans tout ce que vous entreprenez.

malie a dit...

Commentatrice anonyme > Bonjour. J'ai mis quelques temps à répondre parce que mon blog est en veille ces temps-ci. Mais c'est important, tout de même.

À mon avis, aujourd'hui, de la façon dont je le ressens et compte tenu de mon expérience personnelle, hé bien : je crois que le plus important là-dedans c'est de faire ce que l'on a envie de faire. Même si ça nous semble improbable d'y parvenir, fou, irréaliste, même si tout le monde nous dit que c'est pas comme ça qu'il faut faire. Il faut faire ce que l'on sent, comme on le sent. S'y tenir. Ne pas en démordre. Et si l'on échoue, si l'on bute, se le pardonner. L'accepter aussi. Et surtout, croire en soi.

malie a dit...

Commentatrice anonyme > Bonjour. J'ai mis quelques temps à répondre parce que mon blog est en veille ces temps-ci. Mais c'est important, tout de même.

À mon avis, aujourd'hui, de la façon dont je le ressens et compte tenu de mon expérience personnelle, hé bien : je crois que le plus important là-dedans c'est de faire ce que l'on a envie de faire. Même si ça nous semble improbable d'y parvenir, fou, irréaliste, même si tout le monde nous dit que c'est pas comme ça qu'il faut faire. Il faut faire ce que l'on sent, comme on le sent. S'y tenir. Ne pas en démordre. Et si l'on échoue, si l'on bute, se le pardonner. L'accepter aussi. Et surtout, croire en soi.