lundi 26 mai 2008

L'orage se dégage mais ce n'est pas encore le retour du beau temps

Ces dernières semaines j'ai écrit pas mal de billets mais ne les ai pas publiés, parce qu'ils étaient trop hurlants de désespoir. Et ce désespoir que je voyais dégouliner malgré moi de tous les mots que je tentais de poser ici, ce n'est qu'une partie de ce que je ressens en ce moment, alors je ne voulais pas qu'il prenne toute la partie émergée de l'iceberg. D'ailleurs que j'aie des sautes d'humeur assez importantes, que je joue à Jean-qui-rit / Jean-qui-pleure, rien de plus normal vu les événements du moment. Ce n'est pas une raison pour en faire une généralité.


Ce matin je me suis réveillée en pensant à ça : l'autre jour, en commentaire d'un billet de Kalai Elpides, j'avais lu la chose suivante :


Toutes ces "révélations" ne vous interrogent-elles pas? Avez vous réellement envie de vous corrompre dans une Université? Voulez vous gâcher votre talent en vous corrompant dans une institution pourrie, en perdant votre éthique? N'avez vous d'autres choix? L'université n'est elle faite que pour se reproduire, elle et les privilèges de ceux qui la servent? Voulez vous plonger vos (futurs éventuels) étudiants dans le désarroi dans lequel vous êtes ou leur offrir un non avenir, les envoyer à l'abattoir? N'avez vous pas envie de lutter contre les dérives que vous dénoncez (de l'intérieur, vous ne pourrez jamais rien faire d'autre que de baissez votre culotte contre votre volonté).
Vous êtes encore intègre, vous avez du talent, beaucoup de gens vous aiment actuellement pour ce que vous êtes encore...
Faite le bon choix s'il vous plait, ne brisez pas nos coeurs en vous faisant acheter par une rente indue...

(original)

Autant dire qu'à quelques jour de mes auditions, dans cette période où tout est sans cesse remis en question et surtout les bases de toute ma vie, ça m'a fait pas mal cogiter. J'ai tâché de me poser la question, A quoi bon ?, en toute objectivité - ce qui, bien entendu, n'est guère possible à ce moment-là... mais j'ai essayé tout de même. Et ce matin, il m'est venu deux réponses :


  • D'une part, que si je veux faire ce métier, ce n'est pas pour le plaisir des concours de recrutement, mais c'est pour tout le reste. Enseigner, faire de la recherche, participer à des projets, se remettre sans cesse en question dans ce qu'on fait et pourquoi on le fait. Ça, ça ne nécessite pas de baisser sa culotte - du moins, pas tout le temps. Et c'est quelque chose que j'aime faire.

  • D'autre part, que de toute façon, il me semble évident que croire qu'il en serait différemment ailleurs serait se mettre profondément le doigt dans l'oeil. On ne va pas me faire croire que les recrutements sont plus justes dans le privé.


Cela étant dit, je ne sais pas si je continuerai la course pour autant. Parce que je suis fatiguée de tout ça, parce que pour l'instant je ressens que ça fait deux ans que je m'ennuie dans mon travail, que je ne m'amuse plus autant qu'avant, que je ne fais plus ça que dans la perspective d'améliorer mon CV pour un éventuel recrutement, et que ce n'est pas comme ça que j'arrive à faire de bonnes choses, c'est-à-dire des choses qui me satisfont, qui me rendent heureuse d'exercer mon métier. Et parce que pour l'instant en tout cas, je n'ai plus la niaque. Je n'ai pas envie de re-re-refaire mon CV une nouvelle fois l'an prochain, de devoir repasser autant de temps à réfléchir à comment mettre au mieux en avant ce qui fait de moi une candidate à retenir. Tout ça m'ennuie, d'autant plus que dans ce milieu, l'activité de candidature occupe environ 5 mois de travail non stop, c'est beaucoup trop, c'est usant (surtout quand les résultats ne sont pas au rendez-vous, et encore plus quand ça n'a pas grand rapport avec notre dossier).


Et puis dans ces moments on voit, on entend tellement de choses dégoûtantes. Je n'en citerai pas, il y en a tellement déjà qui sont racontées au le web, ce serait inutile d'en rajouter, juste que l'on n'entend quasiment jamais parler d'un concours qui se serait bien passé, en respectant les règles du jeu, sans que les résultats soient connus d'avance ou bien qu'il y ait un subit Deus ex machina qui vienne chambouler un classement honnête pour des raisons tout à fait extérieures au fait présent. Je voudrais qu'un jour on m'annonce que je suis auditionnée dans telle fac et que l'on me donne dans le même temps la liste des autres auditionnés et la composition de la commission de spécialistes (et même la date à laquelle ils statueront) ; et je voudrais qu'après le concours on puisse me dire ce qui a été dit à propos de ma candidature, que l'on puisse me faire un rapport honnête et complet des points forts et faibles qui ont fait que j'ai été classée ou non, et que l'on me donne la liste des classés. Ça ne me paraît pas trop en demander... mais pourtant, pour l'instant, il semble que ça le soit. Et je ne voudrais pas entendre parler des dossiers passés à l'as pour de mauvaises raisons, des petites cuisines internes, des injustices criantes sous toutes leurs formes, et surtout pas du résignement crasse des membres des commissions de spécialistes qui déplorent tout cela et pourtant en font bel et bien partie, en jouent le jeu, ne remuent dans les brancards que dans les couloirs, ou devant les candidats, ou dans des blogs ou des articles de journaux, espérant se donner je ne sais quelle bonne consicence.


S'il y avait une chose à modifier immédiatement pour sauver l'enseignement supérieur et la recherche, ce serait le mode de recrutement. Certainement pas dans le sens de la réforme qui nous pend au nez, non. Mais ne serait-ce qu'en obligeant les recruteurs, puisqu'ils ne semblent pas le comprendre d'eux-mêmes, que c'est non seulement la carrière des gens qu'ils ont en face d'eux mais aussi l'avenir de la construction et de la diffusion des savoirs en France qu'ils mettent en jeu dans leurs petites tractations de couloir. Que quand on auditionne 5 ou 6 candidats on peut se permettre de consacrer 5 minutes par personne à la sortie de la commission pour leur donner les résultats, même par email si l'on ne veut pas (risquer de ?) le faire par téléphone, même le lendemain si l'on ne peut pas le faire le soir même, même déléguer cette lourde tâche si l'on a prévu de partir en week-end dès la fin de la journée. On peut le faire, on peut deviner que c'est important pour les candidats qui ont dépensé de l'argent, du temps et de l'énergie et plein de volonté pour venir présenter leurs travaux, et leur motivation sans cesse remise en question. On peut devnir que ce petit geste qui ne coûte pas grand-chose ferale plus grand bien à ceux qui galèrent de l'autre côté du miroir, pendant que les titulaires se gargarisent de crachats dans la soupe - qu'ils finissent par avaler, comme tout le monde, même s'ils font la grimace, du moment que ça ne met pas leur poste, leurs facilités, leurs acquis en danger.


(Oui, il y en a qui se bougent vraiment, qui osent risquer de se mettre eux-mêmes dans une situation inconfortable pour faire changer cela. Mais honnêtement, il y en a combien ? J'en connais un, en tout et pour tout. Et il a dû tout faire tout seul parce qu'il ne trouvait personne pour l'épauler, même au niveau national.)


Mhhh, j'avais dit que je ne voulais pas paraître désespérée... :-/


Mais c'est parce que le centre de ce billet, c'est que j'ai retrouvé ce pourquoi je voulais faire ce travail. Je ne l'éprouve plus en ce moment, mais je sais de quoi il s'agit malgré tout. C'est déjà ça.



...A part ça, l'orage de hier / ce matin s'est très lentement dissipé, a laissé place à une tentative de rayon de soleil vers 11h30, puis à un grand souffle de mistral depuis une demi-heure. Qui n'a même pas la force de pousser les nuages, on dirait... dites, c'est quand le printemps ?

7 Commentaires :

Anonyme a dit...

Mais c'est parce que le centre de ce billet, c'est que j'ai retrouvé ce pourquoi je voulais faire ce travail. Je ne l'éprouve plus en ce moment, mais je sais de quoi il s'agit malgré tout. C'est déjà ça.
Ce que tu dis là m'évoque des trucs. Et je me demande si quand c'est comme ça il faut chercher à l'éprouver de nouveau (parce-que quelque-part il y a cette tendance à vouloir s'y raccrocher), ou si comme disait le grand Léo "c'est pas la peine d'aller chercher plus loin faut laisser faire et c'est très bien"...
L'extrait que tu cites me fait aussi indirectement penser à cet autre extrait, notamment à l'endroit de la note 84.
Tout ce que je te souhaite en tout cas c'est que ces préoccupations n'abîment pas ta santé.

malie a dit...

Koldo > Je ne pense pas qu'il faut que je cherche à retrouver cela, mais je suis juste contente d'avoir retrouvé ce que j'avais ressenti alors, de le garder à l'esprit, de savoir que si je l'ai fait, c'était notamment parce que je ressentais cela. Ce n'est sans doute même pas nécessaire d'en être parfaitement conscient, je ne sais pas, mais en tout cas je suis contente d'avoir pu répondre à cette question de pourquoi est-ce que j'avais fait tout ça, même si ça concerne le passé et non le présent. Pour le présent je n'en sais rien, tout change tout le temps, après tout c'est le jeu.

Tu donnes toujours des liens hyper longs à lire, toi :-P

"Tout ce que je te souhaite en tout cas c'est que ces préoccupations n'abîment pas ta santé."
- Ils l'ont largement fait jusqu'à l'an dernier, et même un peu cette année. Ce qui va peut-être m'apprendre à m'en protéger plusse cette année c'est qu'il n'y a pas que ma santé qui est en jeu, mais aussi celle de ce petit être en construction. C'est comme si, si je lui infligeais tant de stress pendant sa construction, il garderait ça à vie dans sa constitution, dans sa structure, je ne sais pas du tout si c'est le cas ou pas mais en tout cas c'est souvent une image qui me vient à l'esprit, et du coup je tâche de faire plus attention à ne pas, ne plus abuser.

Anonyme a dit...

Oui, reste centree sur cette lucidite de base qui ne t'a jamais quittee, et l'honnetete qui te caracterise,et s'il faut ( ou faudra )agir, va de paire avec l'unique personn que tu connais et qui... vous etes deja deux , et c'est beaucoup! et oui, aussi laissse les choses se faire pour le moment, il arrivera un moment o� alors il faudra agir et tu auras besoin de ta force interieure pour le faire. attends le bon moment! et courage! patience!

Pandore a dit...

Tant que la campagne n'était pas finie, je n'avais pas le courage de répondre aux deux messages qui me demandaient pourquoi je m'accrochais à un monde qui sans doute ne me correspondait pas vraiment. Je le ferai sans doute dans les jours à venir, là, c'est encore trop confus. J'ajouter un lien dans le blog vers ta réponse...

Anonyme a dit...

Changer les processus de recrutement ... Ca serait génial.
Mais de mon coté, je n'y crois pas. Je ne crois pas trop à la volonté de faire évoluer tout cela, les titulaires se cachant derrière le pretexte de la pénurie de moyens pour expliquer pourquoi il en est ainsi. C'est d'ailleurs pour cela, que je n'ai pas participé à l'Academic Pride (voir mon blog et la note sur SLR).

Et toi, toute cette periode de concours a-t-elle nuit ou pas à ta volonté de te mobiliser pour défendre la recherche?

Anonyme a dit...

Non les recrutements ne sont pas plus justes dans le privé.
Bon courage,
Atulya qui découvre votre dur monde de chercheurs enseignants...

malie a dit...

Pandore > Merci pour le lien :-)
Et puis pour ta réponse, je la lirai avec plaisir, quand tu l'auras écrite. (à moins que ça ne soit déjà fait et que je ne l'aie pas encore vue ?)

Caroline > "Changer les processus de recrutement ... Ca serait génial."
- A la réflexion... je ne sais même pas si ça changerait qqch. A vrai dire, les processus de recrutement sont l'image du reste du métier : grosso modo, on est assez libre de faire ça comme on veut. Notamment, d'y mettre l'éthique et le coeur que l'on souhaite. Je crois que ça peut permettre de faire des recrutements équitables, aussi bien que le contraire. Et que même si l'on changeait les règles, finalement, ça ne risquerait que de minimiser la liberté de recrutement, ce qui serait, en soi, très dommage. Donc finalement on va dans le même sens...

"Et toi, toute cette periode de concours a-t-elle nuit ou pas à ta volonté de te mobiliser pour défendre la recherche?"
- Ce n'est pas cette période de recrutement qui a pu nuire à ma volonté de mobilisation, c'est surtout ma grossesse ;-)
Du coup je ne suis même pas demandé si j'aurais voulu participer, et à quoi, si je l'avais pu. Je regarde tout ça d'assez loin...
Ah si, tout de même, ça m'a donné envie de regarder ce dont les titulaires sont capables. Après tout, c'est avant tout eux que ça concerne, dans la mesure où c'est à eux de faire pencher le système, pas à nous qui déj) passons la majeure partie de notre temps à nous battre pour trouver quelques vagues miettes de travail en fonction de ce qu'ils veulent bien nous octroyer.

Atulya > Hé oui, je m'en doute bien... on aurait pu imaginer que ça aurait été mieux dans le monde universitaire, parce que l'élite de la nation, tout ça... mais pfff, que nenni.