lundi 29 septembre 2008

Les jours qui passent

Reprendre vie. C'est assez soudain. Se re-saisir. Une dure dure nuit passée pleine de cauchemars et de peurs après deux jours de calme. De calme qui m'inquiétait, qui menaçait de cacher quelque chose en dormance. Je ne suis certainement pas au bout de mes surprises, dans mes ressentis présents et futurs. Observer ça et apprendre, m'apprendre à nouveau, toute nouvelle que je suis à présent, mère - même sans fils - et toujours vivante.


Mon mari m'aide. Les gens autour, voisins amis famille m'aident. L'acuponcture m'aide. Les douleurs qui subsistent ne m'aident pas. Moi qui ai attendu neuf mois je pensais que l'attente était finie et me voilà à nouveau au pied du mur, comptant les jours qui me séparent de mon rétablissement, comptant les jours qui me séparent du retour de mon apparence d'avant. Je les compte avec hâte et appréhension : j'ai tellement peur que tout disparaisse, toute marque de lui, et parmi elles mon ventre et même ce sang qui restent pour l'instant des preuves qu'il a été là, qu'il a existé, que tout cela n'a pas été qu'un rêve merveilleux brusquement transformé en cauchemar. Mais c'est aussi tellement lourd d'être constamment rappelée à l'ordre par les besoins physiques, par l'obligation de faire attention, de toujours penser à ne pas forcer, à ne pas ci ne pas ça.


Je ne sais plus quoi dire, je suis comme tarie : ça fait cinq paragraphes que je commence et que j'efface, à propos de choses différentes, que je ne veux pas dire, ou ne sais pas dire peut-être. Pour lesquelles les mots ne viennent pas ou ne veulent pas rester.


J'arrive à faire des projets à long terme, à imaginer des choses que je referai, un jour prochain quand j'aurai repris la forme et puis même plus tard, je parviens à avoir des envies ; mais à présent je n'arrive à presque rien, je m'en rends bien compte. Ils sont beaucoup à me dire que je suis forte, parce qu'ils le croient, parce qu'ils le voient, mais quand je me trouve face à moi-même je ne sais pas si je suis aussi forte qu'ils le prétendent. On m'a toujours dit ça. Parfois je voudrais qu'on ne me voie pas forte. Ou alors, je ne sais pas. Oui bien sûr j'arrive à me changer les idées, j'arrive à rire et même à faire le ménage mais - et je ne réalise ce que ça signifie qu'en laissant les mots affluer - il me manque quelque chose. Il me manque la présence de mon fils évidemment, sauf qu'elle est tellement vague cette présence, tellement inconnue de moi, tellement désirée et si brusquement retirée que je ne sais pas ce qui me manque finalement. Peut-être que je la cherche, peut-être que c'est ça ce deuil si étrange d'une personne qui n'a jamais ouvert les yeux sur le monde qu'au travers des membranes maternelles : peut-être que ça me demande infiniment de force de deviner cette présence inconnue ce qui me manque. Peut-être que je m'en veux de ne pas le savoir. Que je suis terrifiée à l'idée d'oublier mon enfant parce que je connais pas la couleur de ses yeux.


Je connais malgré tout la douceur de sa peau. La finesse de ses traits. La sensation de son poids sur mon corps. Je ne veux pas oublier ça et j'ai tellement peur de le perdre parce que c'est tout ce que j'ai de lui, cet instant de tendresse posthume. Tous les objets souvenirs et les images ou même les mots n'ont rien à voir : je ne veux pas perdre cette sensation et pourtant je sais bien qu'elle finira par s'effacer comme toutes les autres. Elle n'est pas comme toutes les autres, je ne veux pas qu'elle disparaisse. Et je piétine. Je parcours le chemin à l'envers pour ne pas oublier qu'un matin de septembre, j'ai tenu mon fils dans mes bras.


La route sera longue comme ça, je le sais. Mais elle est trop importante pour ne pas consacrer le temps nécessaire à chaque étape.

11 Commentaires :

Anonyme a dit...

Toujours aussi difficile de trouver les mots pour exprimer mon désarroi devant ta peine, et mon souhait de la partager.
Vous avez vécu ensemble tout plein de moments merveilleux, et c'est cela que tu devras garder comme souvenir de l'aîné de tes enfants.
Que ta route soit aussi lente que nécessaire pour que tu récupères à chaque pas les forces dont tu as besoin.

Valérie de Haute Savoie a dit...

Je ne crois pas que tu l'oublieras, il fait partie de ta vie, de ta famille. Il sera présent partout, toujours, sa présence s'allègera mais il sera ton premier enfant, ton fils ainé pour toujours.
Va doucement avec ta peine, tu es forte et fragile. Il faut du temps...

samantdi a dit...

Comme Valérie, je ne crois pas que tu oublies les sensations, ces quelques moments, d'une grande intensité et à nuls autres pareils. Ils sont inscrits en toi, mais peut-être que dans ces jours d'après, immédiatement après, tu es encore dans une sorte de fièvre, de flou, de trouble (à cause du chagrin, du choc, mais aussi de l'effort physique d'avoir mis au monde un enfant)... Je t'envoie de douces pensées et je te remercie de nous écrire, de nous donner de tes nouvelles.

Lise a dit...

Je comprends ta peur de l'oublier. et en même temps, je suis sûre, comme Samantdi, que ces moments restent gravés dans nos cœurs et nos corps, et que ces enfants qui partent apportent et comptent bien autant que ceux qui restent dans notre histoire de vie.
Je pense à toi dans ta peine.

Anonyme a dit...

Tes amies viennent de te dire exactement ce que j'aurais aime te dire moi-meme aujourd'hui apres ton message si touchant que tu nous communiques avec autant de verite sur toi et sur ce que tu viens de vivre.
je me souviens moi aussi en des temps ulterieurs m'etre revoltee contre tant de personnes qui me disaient forte!!! alors que je me sentais si nulle si fragile et si deroutee par ce que je n'arrivais pas a accepter devant l'ineluctable.ils ne savent pas ce qu'ils disent tout a fait meme si c'est un peu vrai ; mes en ces instants de souffrance extreme et d'absence de la personne qu'on aurait tant voulu aimer encore et encore... oui c'est vraiment dur....
Si tu veux je peux venir te tenie compagnie ce jeudi qui vient, dis-le moi simplement.
C'est du courage dont tu as besoin et je sais que cela ne court pas les rues, ni ne s'achete ni ne se vend et pourtant c'est au fond de soi que peu a peu on trouve une petite voix qui nous permet de cheminer un peu mieux chaque jour. je t'embrasse tendrement.

Anonyme a dit...

Un jour quelqu'un m'a dit: "Ce qui ne tue pas rend plus fort."
Ca m'a toujours laissée perplexe, cette phrase...
Peut-être "plus fort" d'une certaine façon, peut-être dans longtemps...
Je pense que le temps, l'acceptation de la vie et recevoir l'amour des autres, c'est ça qui panse les plaies ouvertes. Longtemps après, il ne reste ensuite plus qu'une cicatrice qu'on regarde avec étonnment, amour et bienveillance.
Patience. Personne ne nous demande d'être fort tout le temps.
C'est au contraire en se laissant aller dans son chagrin, en allant jusqu'au bout, qu'on peut ensuite en sortir... et peut être devenir "plus fort."

Anonyme a dit...

laisse aller ton chagrin, survivre, mais est-ce que l'on s'habitue au manque ?
mais pour saisir ce qui est là à la place de ce qui manque : un carnet, un cahier,des feuilles peu importe quelque chose pour coucher tes peines et tes douleurs, les déposer pour savoir qu'un jour tu pourras retrouver là ce que tu auras perdu
j'ai pratiqué, je pratique
je t'embrasse bien fort

malie a dit...

Tous > Je ne réponds pas à ces commentaires, parce qu'il n'y a rien à répondre. A part encore une fois, merci, parce qu'ils me sont précieux.

Anonyme a dit...

Pardon de ne pas avoir été suffisamment présent ici au moment où il le fallait. Je suis très triste et en pensée avec vous.

malie a dit...

Obni > Merci à toi d'être ici, maintenant.

Otir a dit...

A la faveur de l'échange hachuré que nous avons eu toutes les deux à propos de cet ancien billet, je découvre seulement aujourd'hui le deuil et le drame qui s'est joué et que tu racontes ici avec tant de délicatesse.

Te dire à quel point je suis désolée est un peu mièvre sans aucun doute à côté de ce que tu éprouves, mais comment passer sur ton blogue, sans te laisser un mot de cette sympathie que je ressens ?