vendredi 19 septembre 2008

A toi

On avait imaginé plein de choses. On t'avait rêvé berger, batteur de jazz, sportif ou bien savant, beau et fier assurément, et puis tant d'autres choses inattendues. On t'attendait avec impatience maintenant, fébriles à l'idée d'enfin te tenir dans nos bras, de toucher ta peau, de nous perdre dans ton regard, de te caresser, te chatouiller, te porter, te regarder, te sentir, on attendait que tu entres dans notre vie de toute ta présence.


C'est par ton absence que tu y entres. On n'avait pas pensé cela possible. Notre rencontre a été éphémère, marquée par la douleur de l'adieu à te faire, déjà, avant même de pouvoir faire ta connaissance.


Tu es malgré tout entré dans notre famille, et tu resteras toujours notre fils aimé, attendu, désiré. Tu nous manques - et ton absence fera désormais partie de notre histoire. Avec le temps la blessure deviendra moins déchirante et cédera la place à tout l'amour que l'on a pour toi. Je t'ai porté dans mes entrailles, ton père dans ses espérances et l'on te portera toujours dans nos coeurs.


A Villequier

Maintenant que Paris, ses pavés et ses marbres,
Et sa brume et ses toits sont bien loin de mes yeux ;
Maintenant que je suis sous les branches des arbres,
Et que je puis songer à la beauté des cieux ;

Maintenant que du deuil qui m'a fait l'âme obscure
Je sors, pâle et vainqueur,
Et que je sens la paix de la grande nature
Qui m'entre dans le cœur ;

Maintenant que je puis, assis au bord des ondes,
Emu par ce superbe et tranquille horizon,
Examiner en moi les vérités profondes
Et regarder les fleurs qui sont dans le gazon ;

Maintenant, ô mon Dieu ! que j'ai ce calme sombre
De pouvoir désormais
Voir de mes yeux la pierre où je sais que dans l'ombre
Elle dort pour jamais ;

Maintenant qu'attendri par ces divins spectacles,
Plaines, forêts, rochers, vallons, fleuve argenté,
Voyant ma petitesse et voyant vos miracles,
Je reprends ma raison devant l'immensité ;

Je viens à vous, Seigneur, père auquel il faut croire ;
Je vous porte, apaisé,
Les morceaux de ce cœur tout plein de votre gloire
Que vous avez brisé ;

Je viens à vous, Seigneur ! confessant que vous êtes
Bon, clément, indulgent et doux, ô Dieu vivant !
Je conviens que vous seul savez ce que vous faites,
Et que l'homme n'est rien qu'un jonc qui tremble au vent ;

Je dis que le tombeau qui sur les morts se ferme
Ouvre le firmament ;
Et que ce qu'ici-bas nous prenons pour le terme
Est le commencement ;

Je conviens à genoux que vous seul, père auguste,
Possédez l'infini, le réel, l'absolu ;
Je conviens qu'il est bon, je conviens qu'il est juste
Que mon cœur ait saigné, puisque Dieu l'a voulu !

Je ne résiste plus à tout ce qui m'arrive
Par votre volonté.
L'âme de deuils en deuils, l'homme de rive en rive,
Roule à l'éternité.

Nous ne voyons jamais qu'un seul côté des choses ;
L'autre plonge en la nuit d'un mystère effrayant.
L'homme subit le joug sans connaître les causes.
Tout ce qu'il voit est court, inutile et fuyant.

Vous faites revenir toujours la solitude
Autour de tous ses pas.
Vous n'avez pas voulu qu'il eût la certitude
Ni la joie ici-bas !

Dès qu'il possède un bien, le sort le lui retire.
Rien ne lui fut donné, dans ses rapides jours,
Pour qu'il s'en puisse faire une demeure, et dire :
C'est ici ma maison, mon champ et mes amours !

Il doit voir peu de temps tout ce que ses yeux voient ;
Il vieillit sans soutiens.
Puisque ces choses sont, c'est qu'il faut qu'elles soient ;
J'en conviens, j'en conviens !

Le monde est sombre, ô Dieu ! l'immuable harmonie
Se compose des pleurs aussi bien que des chants ;
L'homme n'est qu'un atome en cette ombre infinie,
Nuit où montent les bons, où tombent les méchants.

Je sais que vous avez bien autre chose à faire
Que de nous plaindre tous,
Et qu'un enfant qui meurt, désespoir de sa mère,
Ne vous fait rien, à vous !

Je sais que le fruit tombe au vent qui le secoue,
Que l'oiseau perd sa plume et la fleur son parfum ;
Que la création est une grande roue
Qui ne peut se mouvoir sans écraser quelqu'un ;

Les mois, les jours, les flots des mers, les yeux qui pleurent,
Passent sous le ciel bleu ;
Il faut que l'herbe pousse et que les enfants meurent ;
Je le sais, ô mon Dieu !

Dans vos cieux, au-delà de la sphère des nues,
Au fond de cet azur immobile et dormant,
Peut-être faites-vous des choses inconnues
Où la douleur de l'homme entre comme élément.

Peut-être est-il utile à vos desseins sans nombre
Que des êtres charmants
S'en aillent, emportés par le tourbillon sombre
Des noirs événements.

Nos destins ténébreux vont sous des lois immenses
Que rien ne déconcerte et que rien n'attendrit.
Vous ne pouvez avoir de subites clémences
Qui dérangent le monde, ô Dieu, tranquille esprit !

Je vous supplie, ô Dieu ! de regarder mon âme,
Et de considérer
Qu'humble comme un enfant et doux comme une femme,
Je viens vous adorer !

Considérez encor que j'avais, dès l'aurore,
Travaillé, combattu, pensé, marché, lutté,
Expliquant la nature à l'homme qui l'ignore,
Eclairant toute chose avec votre clarté ;

Que j'avais, affrontant la haine et la colère,
Fait ma tâche ici-bas,
Que je ne pouvais pas m'attendre à ce salaire,
Que je ne pouvais pas

Prévoir que, vous aussi, sur ma tête qui ploie
Vous appesantiriez votre bras triomphant,
Et que, vous qui voyiez comme j'ai peu de joie,
Vous me reprendriez si vite mon enfant !

Qu'une âme ainsi frappée à se plaindre est sujette,
Que j'ai pu blasphémer,
Et vous jeter mes cris comme un enfant qui jette
Une pierre à la mer !

Considérez qu'on doute, ô mon Dieu ! quand on souffre,
Que l'œil qui pleure trop finit par s'aveugler,
Qu'un être que son deuil plonge au plus noir du gouffre,
Quand il ne vous voit plus, ne peut vous contempler,

Et qu'il ne se peut pas que l'homme, lorsqu'il sombre
Dans les afflictions,
Ait présente à l'esprit la sérénité sombre
Des constellations !

Aujourd'hui, moi qui fus faible comme une mère,
Je me courbe à vos pieds devant vos cieux ouverts.
Je me sens éclairé dans ma douleur amère
Par un meilleur regard jeté sur l'univers.

Seigneur, je reconnais que l'homme est en délire
S'il ose murmurer ;
Je cesse d'accuser, je cesse de maudire,
Mais laissez-moi pleurer !

Hélas ! laissez les pleurs couler de ma paupière,
Puisque vous avez fait les hommes pour cela !
Laissez-moi me pencher sur cette froide pierre
Et dire à mon enfant : Sens-tu que je suis là ?

Laissez-moi lui parler, incliné sur ses restes,
Le soir, quand tout se tait,
Comme si, dans sa nuit rouvrant ses yeux célestes,
Cet ange m'écoutait !

Hélas ! vers le passé tournant un œil d'envie,
Sans que rien ici-bas puisse m'en consoler,
Je regarde toujours ce moment de ma vie
Où je l'ai vue ouvrir son aile et s'envoler !

Je verrai cet instant jusqu'à ce que je meure,
L'instant, pleurs superflus !
Où je criai : L'enfant que j'avais tout à l'heure,
Quoi donc ! je ne l'ai plus !

Ne vous irritez pas que je sois de la sorte,
Ô mon Dieu ! cette plaie a si longtemps saigné !
L'angoisse dans mon âme est toujours la plus forte,
Et mon cœur est soumis, mais n'est pas résigné.

Ne vous irritez pas ! fronts que le deuil réclame,
Mortels sujets aux pleurs,
Il nous est malaisé de retirer notre âme
De ces grandes douleurs.

Voyez-vous, nos enfants nous sont bien nécessaires,
Seigneur ; quand on a vu dans sa vie, un matin,
Au milieu des ennuis, des peines, des misères,
Et de l'ombre que fait sur nous notre destin,

Apparaître un enfant, tête chère et sacrée,
Petit être joyeux,
Si beau, qu'on a cru voir s'ouvrir à son entrée
Une porte des cieux ;

Quand on a vu, seize ans, de cet autre soi-même
Croître la grâce aimable et la douce raison,
Lorsqu'on a reconnu que cet enfant qu'on aime
Fait le jour dans notre âme et dans notre maison,

Que c'est la seule joie ici-bas qui persiste
De tout ce qu'on rêva,
Considérez que c'est une chose bien triste
De le voir qui s'en va !

-- Victor Hugo, Les contemplations. Villequier, 4 septembre 1847.

24 Commentaires :

Anonyme a dit...

peut-être y a-t'il des billets qui ne doivent pas recevoir de commentaires.

Celui est plus que touchant, déchirant, dans la situation qui est la votre.

Tous notre amour et nos pensées sont avec vous.

Anonyme a dit...

Toutes mes pensées vous accompagnent.

Anonyme a dit...

je vous souhaite de vous serrer fort l'un contre l'autre dans cette épreuve de la vie, les mois qui viennent seront noirs et douloureux mais la lumière de vos jours est derrière, crois moi
portes-toi aussi bien que possible ... je suis à tes cotés par la pensée, puisse ta douleur être apaisée quelques secondes par ces quelques mots
je t'embrasse

Anonyme a dit...

Je prierai pour vous et pour lui. Je vous embrasse.

Anonyme a dit...

je vous souhaite de tenir le coup autant qu'il est possible de le faire dans cette inconcevable épreuve.
Avec mes meilleures pensées,
cerise.

mowglinomade a dit...

Il n'y a pas de mots.
Toutes mes prières.

Anonyme a dit...

rien oser dire et pourtant dire quelque chose... Toute mon affection, simplemement

Valérie de Haute Savoie a dit...

Mon dieu Mirza je suis tellement tellement désolée.
Je vous embrasse tendrement.

Anonyme a dit...

Oh mirza... que dire ? je te serre dans mes bras.

samantdi

Anonyme a dit...

Je suis tellement desolee pour vous. Toutes mes pensees vous accompagnent.

Tellinestory a dit...

Impossible de passer ici sans rien dire, impossible de ne pas saluer ici, l'enfant qui fut et ne fut pas, parce que ce billet nous demande cela, marquer sa place intense. Humaine tendresse à vous, chagrin pour vous, pour lui.

Anonyme a dit...

A toi Mirza surtout. Prends soin de toi, de vous.
Et des pensées impuissantes mais réelles, encore encore.

Lise a dit...

Quoi dire, sinon pleurer avec vous,
et espérer qu'il trouve la paix
et la transmette, avec le temps, à vos cœurs brisés.
De tout cœur avec vous.
Lise

Mema a dit...

Milles pensée pour vous...

Anonyme a dit...

Bouleversé.

Des prières vers les oiseaux qui passent. Ils reviendront se percher demain.

Jean Pierre J. a dit...

Nous avons vécu la même épreuve il y a cinquante ans..A deux, on n'oublie pas et on repart ensemble. Ce n'est jamais facile, mais c'est faisable.

Courage et espérance à vous deux.

Donna a dit...

Très triste pour vous deux.

Te dire, vous dire, mon amitié, même si c'est peu de chose.

Anonyme a dit...

Je viens seulement de voir, je suis tellement navrée..
De mots il n'y a pas, le le sais profondément, je connais l'absence et le vide, mais il m'est impossible de passer sans dire que mes pensées vont vers vous..

Beaucoup de tendresse..

Anonyme a dit...

...j'aimerais juste te serrer dans mes bras. Je pense fort à toi et à ce petit ange qui a regagné le ciel.

Anonyme a dit...

plein de tendresse � toi ma cherie!
je t'aime.
"demain des l'aube
a l'heure o� blanchit la campagne
je partirai, vois-tu,
je sais que tu m'attends
j'irai par la foret
j'irai par la montagne
je ne peux rester
loin de toi plus longtemps"... ( le meme auteur).

Unknown a dit...

Les mots manquent mais je pense à vous.

Anonyme a dit...

Je viens seulement de lire et de comprendre. Je suis tellement triste pour vous.

La douleur peut devenir une force. Je vous serre dans mes bras.

Anonyme a dit...

Cela fait plusieurs fois que je lis tes mots et les larmes coulent, tout se serrent en moi.
Pensées pour vous deux et douces pensées pour le petit garçon qui s'en ait allé ailleurs.
krollyoli

Anonyme a dit...

1000000000 pensées
nous l'avons vécu aussi
si vous avez besoin, je suis là