Je me suis levée (trop tard, encore, mais j'ai réussi à gagner trois petits quarts d'heure sur mes horaire de ces derniers jours : je progresse), j'ai mis de l'eau à chauffer et suis allée me débarbouiller. Je suis sortie devant la maison et j'ai bu un café au soleil avec le chien à mes pieds.
Puis j'ai enfilé une veste et je suis allée mettre le nouveau cheval au parc. Quand je suis revenue du parc il s'est mis à tomber trois gouttes, sous le soleil devenu timide. Je me suis tournée vers l'ouest et il y faisait tout gris, avec un gigantesque arc-en-ciel (et je vois que ce n'était pas le seul). C'était beau.
Je suis revenue, j'ai nettoyé un peu le box, et puis je suis allée boire une menthe à l'eau avec les gens de la ferme qui étaient là. Les filles sont rentrées des vendanges très tôt, il n'y a plus grand-chose à faire, cette année ils font presque tout à la machine.
Devant la menthe à l'eau se prépare la réouverture d'un commerce du village, c'est pour bientôt, beaucoup de la ferme en sont, ça intéresse tout le monde et chacun y va de son petit conseil sur les travaux, le mobilier, les techniques de vente.
Je regarde au loin le nouveau cheval qui se fait attaquer par les moucherons, il hoche la tête et remue la queue sans cesse, et je ne sais pas trop quoi faire pour l'en soulager. On a parlé de lui mettre un bonnet, mais on s'est dit qu'il était déjà trop aristocrate sans avoir besoin de le déguiser en plus ;-) Avec un peu de chance il s'habituera.
En fait, le plus dur c'est que là j'ai fait à peu près tout ce que j'avais prévu de faire dans la journée. Et il n'est même pas tout à fait midi. Les filles m'ont proposé de descendre avec elles au village d'à côté cet après-midi, faire trois courses, mais je n'en ai pas bien envie. Je les aime beaucoup mais je peine à prendre leur rythme à elles, elles ont des habitudes qui ne sont pas les miennes et beaucoup ne prennent pas facilement leur place dans le déroulement de mes journées. Et j'aime encore beaucoup passer du temps seule, et ça m'est sans doute nécessaire.
Alors à présent, je me trouve dans le moment où je sais ce que je pourrais faire (ranger la vaisselle propre et nettoyer la cuisine, prendre une grosse douche et m'épiler en attendant que la machine à laver ait fini puis ranger le linge sec et étendre le mouillé, passer un coup de balai dans les chambres,...), mais je n'ai plus très envie de rien. Ou j'ai peur de le faire. J'ai peur de ne pas bien le faire. J'ai peut-être peur d'arriver au bout de ma liste de choses à faire.
On n'a toujours pas retrouvé les clés qu'il faut pour démonter le lit de bébé qu'on avait mis dans la pièce qui devait être sa chambre. On y passe de temps en temps, mais on a complètement désinvesti cette pièce, on ne l'utilise plus telle qu'elle devait l'être et pas encore telle qu'elle le sera finalement. Et il y a toujours ce lit qui brise notre volonté, même si l'on n'en parle pas, même si l'on se contente de penser à autre chose, de ne pas le regarder quand on passe. Il y a aussi les cartons de vêtements de bébé que l'on avait laissés ouverts volontairement mais que l'on pourrait fermer et stocker à présent, il suffirait de mettre les boules de cèdre dedans, de les scotcher et puis de les mettre... où ? Je ne sais pas où l'on va les mettre, j'ai peur de les ranger dans le grenier, j'ai peur qu'ils prennent l'eau, se fassent ronger par des bestioles, je ne sais pas si ça craint ou pas mais j'ai peur de les laisser dans un endroit où l'on ne peut pas veiller à ce qu'ils soient protégés. Mhhh. Je réalise que j'ai terriblement peur de tourner complètement la page (même si ce n'est pas la présence de ce lit ni de ces cartons qui y change vraiment quelque chose en réalité, je le sais bien). Sur le coup je trouvais infiniment glauque ces parents qui ne touchent pas à la chambre de leur enfant disparu, mais à présent je peux comprendre ce qu'ils ressentent et ça n'a rien de glauque. C'est une paralysie.
Les nuages se sont dissipés maintenant. Il va faire chaud cet après-midi. J'ai envie de boire un autre café, et quand je serai en bas je sais que machinalement je finirai par le vider, ce lave-vaisselle propre. Que je me ferai à manger, puis que j'irai chercher quelques herbes sèches à placer dans le vase que l'on nous a offert hier, et que ça remplacera les roses qui à présent sont fanées. C'est joli, des bouquets dans la maison. Je regarde l'étendoir à linge et me dis que je peux le faire. Je peux le faire.
Parfois, le goût à la vie tient juste à un bout de drap sec qui attend sur un étendoir au soleil.