lundi 6 octobre 2008

Le linge propre

Je me suis levée (trop tard, encore, mais j'ai réussi à gagner trois petits quarts d'heure sur mes horaire de ces derniers jours : je progresse), j'ai mis de l'eau à chauffer et suis allée me débarbouiller. Je suis sortie devant la maison et j'ai bu un café au soleil avec le chien à mes pieds.


Puis j'ai enfilé une veste et je suis allée mettre le nouveau cheval au parc. Quand je suis revenue du parc il s'est mis à tomber trois gouttes, sous le soleil devenu timide. Je me suis tournée vers l'ouest et il y faisait tout gris, avec un gigantesque arc-en-ciel (et je vois que ce n'était pas le seul). C'était beau.


Je suis revenue, j'ai nettoyé un peu le box, et puis je suis allée boire une menthe à l'eau avec les gens de la ferme qui étaient là. Les filles sont rentrées des vendanges très tôt, il n'y a plus grand-chose à faire, cette année ils font presque tout à la machine.


Devant la menthe à l'eau se prépare la réouverture d'un commerce du village, c'est pour bientôt, beaucoup de la ferme en sont, ça intéresse tout le monde et chacun y va de son petit conseil sur les travaux, le mobilier, les techniques de vente.


Je regarde au loin le nouveau cheval qui se fait attaquer par les moucherons, il hoche la tête et remue la queue sans cesse, et je ne sais pas trop quoi faire pour l'en soulager. On a parlé de lui mettre un bonnet, mais on s'est dit qu'il était déjà trop aristocrate sans avoir besoin de le déguiser en plus ;-) Avec un peu de chance il s'habituera.


En fait, le plus dur c'est que là j'ai fait à peu près tout ce que j'avais prévu de faire dans la journée. Et il n'est même pas tout à fait midi. Les filles m'ont proposé de descendre avec elles au village d'à côté cet après-midi, faire trois courses, mais je n'en ai pas bien envie. Je les aime beaucoup mais je peine à prendre leur rythme à elles, elles ont des habitudes qui ne sont pas les miennes et beaucoup ne prennent pas facilement leur place dans le déroulement de mes journées. Et j'aime encore beaucoup passer du temps seule, et ça m'est sans doute nécessaire.


Alors à présent, je me trouve dans le moment où je sais ce que je pourrais faire (ranger la vaisselle propre et nettoyer la cuisine, prendre une grosse douche et m'épiler en attendant que la machine à laver ait fini puis ranger le linge sec et étendre le mouillé, passer un coup de balai dans les chambres,...), mais je n'ai plus très envie de rien. Ou j'ai peur de le faire. J'ai peur de ne pas bien le faire. J'ai peut-être peur d'arriver au bout de ma liste de choses à faire.


On n'a toujours pas retrouvé les clés qu'il faut pour démonter le lit de bébé qu'on avait mis dans la pièce qui devait être sa chambre. On y passe de temps en temps, mais on a complètement désinvesti cette pièce, on ne l'utilise plus telle qu'elle devait l'être et pas encore telle qu'elle le sera finalement. Et il y a toujours ce lit qui brise notre volonté, même si l'on n'en parle pas, même si l'on se contente de penser à autre chose, de ne pas le regarder quand on passe. Il y a aussi les cartons de vêtements de bébé que l'on avait laissés ouverts volontairement mais que l'on pourrait fermer et stocker à présent, il suffirait de mettre les boules de cèdre dedans, de les scotcher et puis de les mettre... où ? Je ne sais pas où l'on va les mettre, j'ai peur de les ranger dans le grenier, j'ai peur qu'ils prennent l'eau, se fassent ronger par des bestioles, je ne sais pas si ça craint ou pas mais j'ai peur de les laisser dans un endroit où l'on ne peut pas veiller à ce qu'ils soient protégés. Mhhh. Je réalise que j'ai terriblement peur de tourner complètement la page (même si ce n'est pas la présence de ce lit ni de ces cartons qui y change vraiment quelque chose en réalité, je le sais bien). Sur le coup je trouvais infiniment glauque ces parents qui ne touchent pas à la chambre de leur enfant disparu, mais à présent je peux comprendre ce qu'ils ressentent et ça n'a rien de glauque. C'est une paralysie.


Les nuages se sont dissipés maintenant. Il va faire chaud cet après-midi. J'ai envie de boire un autre café, et quand je serai en bas je sais que machinalement je finirai par le vider, ce lave-vaisselle propre. Que je me ferai à manger, puis que j'irai chercher quelques herbes sèches à placer dans le vase que l'on nous a offert hier, et que ça remplacera les roses qui à présent sont fanées. C'est joli, des bouquets dans la maison. Je regarde l'étendoir à linge et me dis que je peux le faire. Je peux le faire.


Parfois, le goût à la vie tient juste à un bout de drap sec qui attend sur un étendoir au soleil.

12 Commentaires :

Anonyme a dit...

Parfois, le goût à la vie tient juste à un bout de drap sec qui attend sur un étendoir au soleil.
Il tient à plein de petites choses comme ça...

malie a dit...

Koldo > Rudement bonne idée de me renvoyer à ce texte (et à ses commentaires ;-)).

Valérie de Haute Savoie a dit...

Ne pas brusquer, laisser la vie revenir lentement.

j'aime ce que tu écris

mowglinomade a dit...

Prends ton temps.
Ton message me fais penser à mon grand père à qui je demandais un jour comment il avait pu garder la foi malgré l'horreur du Vietnam. Nous étions assis dans une salle de concert, avec une part de moelleux au chocolat et un thé dans le ventre, à attendre les premiers accords, et il m'a répondu: parce que ce n'était pas la vie, cette guerre, parce que la vie c'est ça (en embrassant la salle et l'instant de la main), parce que ce sont ces moments qui nous gardent en vie.

valérie a dit...

Je te lis régulièrement.
J'ai envie aujourd'hui de rompre cet "échange" à sens unique et juste te dire que tes écrits me touchent.

Cécile a dit...

Je t'ai dit souvent qu'il ne faut pas écouter les conseils... mais peut-être entendre les expériences...
Et si quelqu'un qui vous est proche, quelqu'un qui sait, vraiment, venait pour ranger avec soin le lit et les petites affaires ? Si vous rentriez, un jour, sans craindre de frôler les chambranles ? Il est des gestes qui peuvent être faits par d'autres et qui allègent les fardeaux, pas les peines, mais les fardeaux...

Le linge a le même effet sur moi, surtout celui qui a séché au grand air et qui garde au coeur de ses fibres tous les parfums de la journée...

Et si tu tricotais un bonnet pour Mr Cheval ? ;)

malie a dit...

Valérie de Haute Savoie > Merci.

Mowglinomade > Plus j'avance dans la vie, plus je me dis que ce sont tous les moments y compris les plus durs qui sont la vie. Que ce n'est pas toujours facile, c'est sûr, que l'on n'est pas toujours en train d'attendre les premières notes d'un concert en compagnie de quelqu'un que l'on aime et avec un bon thé et une part de moelleux au chocolat au creux de l'estomac ;-) Mais que c'est cet équilibre que l'on arrive à conserver, entre les bons et les mauvais moments, qui fait la vie. La nôtre.

valérie > Merci beaucoup, ça me touche à mon tour de lire ça.

Cécile > On a tendance à vouloir tout faire, tous seuls tous les deux dans ce deuil.

Une chose qui m'a beaucoup surprise, c'était le fait qu'aux obsèques, des parents et des amis sont allés jusqu'au cercueil de notre fils pour y déposer une rose. Je ne m'attendais pas du tout à ça parce que dans ma tête, ils ne le connaissaient pas et n'avaient aucune expérience de lui et donc ne pouvaient être présents ce jour-là que pour nous soutenir, nous les parents, et non pour lui dire adieu à lui. Ça m'a vraiment étonnée.

Et puis j'ai appris, j'ai vu que l'on est réellement très entourés, soutenus. Je ne pensais pas que c'était le cas, pas à ce point, je pensais que l'on resterait essentiellement seuls, alors que l'on est finalement obligés de se préserver volontairement des moments à nous plutôt que de chercher la compagnie des autres. Je pensais qu'on leur ferait peur, habillés de la perte de ce fils que personne à part nous n'a rencontré.

Alors, finalement, il y a des choses que l'on souhaite garder pour nous. Je crois que ranger cette chambre fait partie de notre chemin nécessaire, qu'il faut que l'on passe par là pour nous soulager nous-mêmes et pouvoir y penser en se disant "on l'a fait". En se disant que l'on a fait ce que l'on devait faire. Pour nous, puisque pour lui on n'a rien pu faire.

Sinon, pour Mr Cheval, faudrait que je commence par prendre les mesures de ses grandes oreilles ;-)

Valérie de Haute Savoie a dit...

Oui M'irza, je crois qu'il faut que ce soit vous qui fassiez cela. Cela me semble être de l'ordre de l'accompagner aussi. Un enfant, tu sais, est en réalité dans la famille bien avant la naissance. Il est déjà investi de beaucoup d'amour de toute part. Une amie ayant elle aussi perdu son enfant à la naissance et qui m'était très chère, m'avait fait lire le si beau livre de Camille Laurens "Philippe" qui racontait justement l'enfant bien avant même qu'il soit conçu.
Bien sûr tes amis, tes parents pleuraient votre douleur, mais aussi ce petit garçon qui faisait partie intégrante de la famille et qu'ils aimaient.

Lise a dit...

Je pense très fort à toi.
Les mots s'envolent...

La vie curieuse a dit...

Je crois que l'on a besoin, un certain temps, de traces très fortes de ceux qui nous manquent. Quand j'ai compris, avec mon corps et mes émotions et pas seulement ma tête, que J. avait sa place en moi, j'ai moins ressenti le besoin de voir les photos, de garder des souvenirs ...
Peut-être que la paralysie est une étape nécessaire.

Anonyme a dit...

Merci, Valerie de Haute Savoie... oui,vous n'�tiez pas seuls ce dernier jour-l�. pas seuls dans la souffrance d'avoir perdu un �tre d�j� cher depuis l'instant o� il avait �t� con�u. Toute la famille l'attendait avec vous , m�me si c'est loin d'�tre pareil, vous savez bien ; donc toute la famille l'a perdu aussi avec vous....Moi j'ai pleur� ce matin en jetant le lys que j'avais mis sur son petit cercueil et que tu m'as redonn� avant de partir. Il est rest� fleuri jusqu'� ce matin Il a �t� beau pendant dix sept jours, et puis lui aussi il s'est envol� ce matin... J'ai deux petites croix que je porte sur moi tout le temps; comme cela je pense toujours � lui, et � vous deux; etc etc ... oui je sais que certaines choses ne peuvent �tre faites que par vous , j'y suis pass�e , tu le sais bien... mais pour ce qui est des v�tements et autres choses qui vous paralysent encore aujourd'hui, vous pouvez demander a quelqu'un de proche de vous pour le faire � trois, moi c'est ce que j'avais fait avec une amie et cela m'avait d�cid� enfin. Je t'avais bien propos� de le faire mais.... vous sentirez bien un matin que c'est le moment! ne vous inqui�tez pas cela va venir en son temps, c'est encore si ressent tout cela!
je suis heureuse pour toi de voir que tu t'ing�nies a refaire peu � peu plein des petits gestes quotidiens et qui prennent une valeur immense car ils t'aident tout simplement a vivre. a te reprendre toi-meme, � essayer de rencontrer d'autres personnes, ( ou les chevaux c'est pareil!) � parler un peu , parfois, tout en sachant tr�s bien aussi te garder des moments pour toi toute seule, allez ma grande tu prends les bonnes decisions, cela se voit! et je suis tr�s emue de lire tout cela...

malie a dit...

Valérie de Haute Savoie > On a réussi à le faire hier. On n'a pas retrouvé les clés Ikea mais on a fait avec ce qu'on avait sous la main, et puis on a mis des boules de cèdre dans les cartons et on les a bien scotchés. Il nous manque encore un peu de cèdre pour quelques cartons, parce qu'on faire ça bien, mais on a aussi trouvé un emplacement à l'abri des attaqueurs potentiels de cartons remplis de vêtements (bestioles et humidité), alors on sait aussi où l'on pourra les ranger, et ça c'est bien.

Tout ça nous a bien soulagés, oui. Et on a pu enfin aménager cette pièce. Dans laquelle je suis à présent, d'ailleurs.

Lise > ...et viennent se poser à mon oreille. Merci d'être là :-)

Zelda > Sans doute que la paralysie est une étape nécessaire, et puis je vois bien que ça évolue tout le temps. Merci pour tes mots, aussi.