vendredi 16 novembre 2007

Chaipu

Choc émotionnel hier. Une amie de mon nouveau labo (mais que je connaissais d'avant parce qu'elle faisait sa thèse en co-direction avec mon directeur) soutenait sa thèse. Autre labo, autres traditions pour la fête de soutenance. Ses collègues lui avaient préparé non seulement des cadeaux (ça, je connaissais déjà), mais aussi un diaporama-souvenir, une vidéo de la part de jeunes docteurs expats qui ne pouvaient être présents, un déguisement et un petit happening. Toute la journée, j'ai bien vu que j'étais presque aussi stressée que le jour de ma propre soutenance, mais c'est au moment du diaporama que j'ai été le plus bouleversée.


Je voyais les images qui défilaient, chronique photographique de meilleurs et de pires moments, et puis je riais, à gorge déployée, comme tout le monde, il y avait de quoi. Mais il y avait en même temps un bout de moi que je voyais en transparence là-dedans, un bout de moi il y a un an, le jour qui mettait un point final à ces années de thèse qui sont un moment tellement important, tellement à part, tellement cher. Hier soir je pensais surtout au fait que ça rappelait à quel point moi aussi j'avais pu m'investir dans la vie du labo à ce moment-là, et à quel point je ne le faisais plus aujourd'hui malgré ce que je pouvais en penser, pas par envie mais plutôt par blessure, et puis par volonté de sauvegarde aussi parce que tout cela me prenait tout mon temps au détriment de tout le reste comme j'en ai tant et tant parlé ici déjà.


Ce matin je vis ça comme un deuil. Je me souviens que mon directeur me disait souvent de profiter de ma thèse parce que quoi qu'il puisse en être ça resterait toujours le meilleur moment de ma carrière. Depuis que j'ai commencé mon postdoc je pensais qu'il se trompait parce que faire un postdoc c'est un peu la même chose mais en mieux puisqu'on n'a pas la pression du diplôme à la clé. Mais là, hier soir, j'ai compris ce qu'il voulait dire, à ma façon, je crois. J'ai compris à quel point ça devient différent quand on n'est plus doctorant. A quel point on change de point de vue sur ce que l'on fait, sur comment on doit le faire à la fois pour se faire plaisir mais aussi pour se préserver de cette machine qui attend de nous dévorer au premier faux pas. Je sais, ce matin, que cet investissement aveugle, naïf, absolument intégral dans quelque chose est fini pour moi. Je me suis rappelé que c'est arrivé, et que ça n'est plus. Je l'avais oublié.


Ça s'est mis à me manquer comme une part de soi que l'on retrouve brusquement et dont on se demande comment on a fait pour vivre sans pendant tout ce temps et que l'on comprend mieux pourquoi l'on se sentait incomplet. Sauf que ça ne reviendra plus, cette fois, et que c'est cela qui est normal -- ou tout au moins, qui ne peut être autrement. Tout à coup je ne me voyais plus comme une postdocteure comblée mais comme une ancienne thésarde ayant perdu sa flamme. Comme une âme blessée de la recherche, errant vainement dans une vie qui n'est plus et ne peut plus être, perdue entre deux eaux, hantant ma propre vie.


Cette soutenance m'a ouvert les yeux sur un deuil que j'ai à faire, et dont je n'étais pas consciente. Au-delà de tous les petites détails que je voyais il y a ça, aussi, surtout et avant tout. Je ne veux pas devenir amère, et c'est pourtant peut-être le chemin que j'ai pris jusque là. Peut-être que ça explique plein de choses, peut-être pas. Mais les larmes que je versais hier, me cachant par honte, par terreur de n'être pas comprise (étrange tout de même, alors que j'étais entourée de thésards et de docteurs - mais bon, il y a des émotions que l'on craint de dévoiler, parce que l'on ignore profondément si ces émotions sont universelles ou non), ont eu une importance capitale, on marqué quelque chose, ont ouvert une porte.


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Sinon, il a neigé hier sur toute une partie des Bouches du Rhône et du Var et la Sainte Victoire est encore un peu blanche, mais tout juste comme l'hiver dernier, et je n'ai même pas envie d'en faire une photo. Il faudra que j'en reparle de ça aussi, de ma difficulté ces jours-ci à faire des photos (pas à en prendre, à en faire).

3 Commentaires :

Anonyme a dit...

" cet investissement aveugle, naïf, absolument intégral dans quelque chose est fini pour moi."

Quel est le deuil que tu essaies de faire : celui d'un "investissement intégral", ou celui de cette naiveté que tu dis "aveugle" ?
Que remets-tu en question : toi ou l'institution ?


Personnellement, je ne sais qu'osciller entre mes élans, et la nécessité de me protéger des désillusions, en tout cas dans le monde où je travaille...
J'aspire à conjuguer les deux, un jour.

Valérie de Haute Savoie a dit...

C'est intéressant et instructif de lire ce que tu dis de la difficulté de quitter sa thèse. Cela m'aide un peu à comprendre celle qui est ma soeur biologique (et thésarde) mais avec qui le dialogue est quasi impossible.

malie a dit...

Lise > C'est celui de mon investissement, qui était tout à la fois aveugle, naïf, et absolument intégral. C'est ça qui est fini pour moi.

En fait je ne remets pas vraiment les choses en question ici ; je constate juste que ma façon de m'investir dans mon travail a complètement changé par rapport à quand je faisais ma thèse, et cela ne m'étonnerait pas du tout que ça soit un peu pareil pour beaucoup de monde.

"Personnellement, je ne sais qu'osciller entre mes élans, et la nécessité de me protéger des désillusions, en tout cas dans le monde où je travaille...
J'aspire à conjuguer les deux, un jour."

Je crois que je comprends. Je crois aussi que se protéger, c'est très important. Mais pas trop... alors effectivement, un juste milieu est essentiel à trouver. Là, je suis super d'accord. Et ce que j'ai retrouvé pendant ces moments d'émotion l'autre soir, c'était la période où je n'étais pas du tout dans le juste milieu, j'étais tellement à fond que j'ai donné tout ce que j'avais, et bon... vous avez vu au moins toute une partie du résultat ici. C'était pas terrible :-/ bien que je ne le regrette pas : c'était comme ça, ma façon de faire, et puis voilà.

Valérie de Haute Savoie > Je ne garantis pas que ça soit la même chose pour tout le monde. Mais j'ai tellement discuté avec des thésards différents qui souffraient tous à peu de choses près du même mal que moi...!