samedi 17 novembre 2007

Coca-Cola au CA des facs

Ce matin est encore paru quelques articles dans Libé concernant le mouvement étudiant contre la loi LRU. Voici ce que l'on peut y lire, et voici ce que j'ai envie d'y ajouter.


Au cœur du mouvement de protestation étudiant, il y a la loi Pécresse, dite loi LRU (sur les libertés et responsabilités des universités). Votée par les parlementaires dès juillet et promulguée le 10 août, c’était l’une des priorités de Nicolas Sarkozy. Aujourd’hui, les plus radicaux des étudiants, – autour de SUD ou de la coordination –, réclament son abrogation, estimant qu’elle signe la fin du service public d’enseignement. L’Unef reconnaît, elle, qu’une réforme de l’université est indispensable mais que cette loi est mauvaise. Tous se retrouvent autour de grandes inquiétudes que le gouvernement juge infondées. Revue des cinq craintes les plus discutées dans les assemblées générales.


LE DÉSENGAGEMENT DE L’ETAT


Ce que dit la loi. Toutes les universités auront acquis d’ici cinq ans leur autonomie et géreront leur budget. Les présidents deviennent les véritables patrons, avec des pouvoirs renforcés – droit de veto sur les nominations, distribution de primes, etc. Le conseil d’administration est resserré (le poids des élus, notamment étudiants, diminue) et il peut créer des fondations afin d’attirer des capitaux privés. L’Etat prévoit des exemptions fiscales pour le mécénat.


Ce que craignent les protestataires. Ils estiment qu’avec des universités autonomes et recourant aux fonds privés, l’Etat en profitera pour se retirer. Alors que pour remédier à la grande misère des universités, il devrait faire le contraire. La ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Pécresse, le conteste : avec 1 milliard d’euros supplémentaires pour l’université dans le budget 2008, l’Etat n’a jamais fait un tel effort. Faux répliquent les étudiants : l’essentiel va à des crédits d’impôts, des retards de paiements, des investissements dans l’immobilier. De plus, aucun poste n’est créé alors qu’il en faudrait pour lutter contre l’échec en licence (40 % au cours des deux premières années).


Ce que j'en dis. Tout d'abord, Libé a oublié de signaler que le président avait également le droit de créer des contrats (précaires, ça va de soi) de droit privé. Je suis d'accord avec ce qui est dit à propos de l'utilisation de l'argent donné aux Universités : on n'en a pas vu la couleur, en tant que personnel. En fait, j'entends pas mal dire que ce qui est appelé "autonomie des Universités" ne sera pas une autonomie, mais une dépendance financière par rapport aux investisseurs, qui seront d'intérêt privé. Hier, j'ai entendu une belle image à ce propos, très parlante : "On va faire entrer Coca-Cola dans le conseil d'administration." En fait, ce problème en fait émerger plein d'autres : le fait que les entreprises ne seront certainement pas intéressées (dans leur majorité en tout cas) par le financement de philosophes (effectivement, comme c'est dit plus bas) ; le fait qu'il y aura deux poids deux mesures parmi les personnels de la fac (CDI publics vs. CDD privés) ; le fait que la loi encourage le recours à de plus en plus de contrats précaires parmi toutes les classes de personnels (et donc, entre autres !, un large problème de pérennisation de l'enseignement, par exemple) ; le fait que le président pourra sans problème s'opposer au recrutement de certaines personnes, à lui tout seul et sans s'en justifier (je m'explique : par exemple, je ne peux pas me permettre de donner mon avis publiquement sur les listes d'expression de la fac parce que sinon, rien n'empêche plus le président de noter mon nom, et puis de refuser mon recrutement si jamais je suis classée première à un concours de maître de conférence - donc, tous les précaires ne peuvent absolument plus risquer de donner leur avis, i.e. de participer à la vie de leur lieu de travail) ; le fait qu'il ne pourra plus y avoir de politique nationale de l'enseignement supérieur, tout simplement : tout sera géré régionalement, et peu importe les inégalités, peu importe les pertes que ça pourra engendrer en matière de formation : on ne considérera que ce qu'on a à portée de main. Et j'en passe, j'en passe.


DAVANTAGE DE SÉLECTION


Ce que dit la loi. La LRU rend obligatoire l’orientation active, testée à la va-vite cette année: chaque bachelier devra déposer un dossier de pré-inscription dans la fac où il postule et recevra une réponse argumentée, l’encourageant ou non à s’inscrire.


Pour les protestataires, cela conduit droit à une sélection, rêve non avoué des grandes universités qui, à l’instar de Paris-Dauphine, ne voudraient prendre que les meilleurs. Mais alors que la France manque de diplômés du supérieur, ce serait un pas en arrière. L’orientation active aggravera en outre les inégalités sociales : les étudiants défavorisés seront plus impressionnés que les autres par un avis négatif et risquent d’abandonner.


Ce que j'en pense. Il s'agit d'un problème de fond beaucoup plus important que ce qui est dit : sélectionner à l'entrée de facs, ça remet complètement en question la nature même de l'Université. Personnellement je m'oppose à toute forme de sélection à l'entrée à l'Université (qu'elle soit due au montant des frais, ou alors à un concours demandant un certain niveau), parce que c'est jeter fièrement aux ordures l'une des finalités essentielles des facs : apporter de la culture, des connaissances, des savoirs à toutes les personnes qui le souhaitent. Et pour les ceusses qui n'auront pas le niveau, on fera quoi ? On les renverra à nouveau dans des formations que l'on jugera par là moins bonnes, moins bien, moins valorisantes ? On classera encore les futurs actifs en fonction d'une échelle de niveau scolaire qui n'a strictement rien à voir avec la réalité de la vie ? Si t'es pas assez bon pour faire une grande école tu vas dans une école d'ingénieur, si tu n'es pas assez bon pour ça tu vas à la fac, et si tu n'es même pas assez bon pour la fac tu vas faire plombier ? C'est ridicule, encore plus que la situation actuelle.


LA HAUSSE DES FRAIS D’INSCRIPTION


Ce que dit la loi. Il est inscrit dans une loi plus ancienne que l’Etat fixe le montant des droits d’inscription. La LRU stipule que le recteur devra veiller à ce que les universités ne demandent pas de rallonges aux étudiants (chaque année l’Unef fait la liste des universités qui abusent).


Pour les protestataires, c’est une déduction logique : les universités, lâchées par l’Etat, chercheront de nouvelles recettes propres du côté des étudiants.


Ce que j'en pense. Ben, c'est l'évidence même : il n'y a qu'à voir ce que les Régions subissent depuis leur "autonomisation" : on prévoit des sous pour eux dans le budget de l'Etat mais ces sous ne sont jamais versés. Il paraît évident qu'il en sera de même pour les facs, et que donc elles devront bien se procurer de l'argent ailleurs. Et comme les entreprises ne donneront sans doute pas assez pour faire tourner les machines, il faudra aller chercher l'argent chez les étudiants (ou alors d'autres possibiltés : ouvrir des commerces dans les facs ? Y installer des panneaux publicitaires ? Tout ça fait rêver, hein ?). Je trouve ça complètement dément, que l'on puisse demander aux familles de dépenser encore plus que ce qu'elles payent déjà dans leurs impôts pour assurer juste un minimum de connaissances absolument nécessaires à leurs enfants.


LA SUPPRESSION DE FILIÈRES


Ce que dit la loi. Rien.


On se demande bien pourquoi ;-)


Côtés protestataires, il s’agit d’une interprétation. Dans les AG, les étudiants prédisent que «l’an prochain, le département de philo sera fermé car il n’intéresse pas les entreprises». Les facultés mobilisées sont d’ailleurs pour l’essentiel celles de sciences humaines et de langues, filières «non rentables» où la peur du chômage est la plus grande. Au ministère, on répond que les directions d’université répartiront elles-mêmes les fonds alloués par le privé.


Derrière cette crainte, il y a aussi le refus de la professionnalisation des filières, des licences pros trop liées aux besoins du marché, et la volonté de défendre une université lieu de transmission du savoir.


Ce que j'en pense. Oui, les Universités répartiront les sous donnés par le privé... qui n'aura pas son mot à dire, évidemment, hein, on s'en doute. Mais alors pourquoi est-ce qu'une boite irait donner des sous à une fac ? Le ministère ne donne pas de réponse à cette question. Non plus.


C'est drôle comment même Libé utilise un vocabulaire que l'on ne peut que voir comme une façon de vouloir orienter les avis du public (rien que le fait d'opposer "loi" et "protestataires"... ça aurait pu être exprimé de plein d'autres façons, plus neutres) : ce n'est pas "la professionalisation" en soi qui est redoutée dans les AG, c'est la peur qu'il n'y ait plus que ça. Que toutes les filières n'existent et ne soient conçues que pour coller très strictement aux besoins immédiats des marchés qui financeront les formations. De là, il est facile d'imaginer ce que ça va pouvoir donner. Et la formation à la recherche dans tout ça ? Je suppose que l'ANR ne fera pas partie des financeurs des Universités...


L’UNIVERSITÉ À DEUX VITESSES


Ce que dit la loi. Elle ne fait pas de distinctions entre campus. Au contraire : sous la pression notamment de l’Unef, l’autonomie qui devait être optionnelle sera finalement dévolue à toutes les universités.


Pour les protestataires, la différence qui existe déjà entre une grande université parisienne et une petite de province risque de se creuser. Les grandes vont en effet se réunir dans de puissants Pres (pôles de recherche et d’enseignement supérieur) où la recherche de pointe va se concentrer et où les capitaux afflueront. Les petites feront de l’enseignement avec des cursus plus courts et de la recherche appliquée.


Ce que j'en pense. Les PRES ne sont pas le mal absolu en soi : il n'y a qu'à lire ce que proposent d'en faire, p.ex., les trois sociétés savantes de Maths, Physique et Chimie dans le texte dont j'ai parlé l'autre fois, pour se rendre compte qu'ils pourraient être utilisés à très, très bon escient, par exemple en en faisant un moyen de créer des passerelles réelles et efficaices entre grandes écoles, écoles d'ingés et universités, passerelles à la fois pour les étudiants qui pourraient changer de formation en cours de route, qui pourraient bénéficier de formations mixtes (et, in fine, chacu serait formé à ce dont il a envie, ce en quoi il a des facilités, et on aurait beaucoup plus de diversité dans les profils des personnes sur le marché du travail, qui ne pourrait que s'en retrouver enrichi), et puis pour les enseignants aussi, c'est-à-dire que ceux qui sont à la pointe de la recherche (je veux dire les enseignants-chercheurs des facs) iraient donner des cours de pointe dans les écoles d'ingés et vice versa, les enseignants très techniciens des écoles d'ingés pourraient venir faire des cours généraux basiques aux étudiants des facs. Ça pourrait être très bien fait. Mais ce n'est pas du tout ce qui est prévu.


Il y a encore d'autres choses qui sont très graves et que Libé ne signale pas du tout. Je cite un exemple, peut-être le plus flagrant mais pas l'unique : la modification appliquée aux UMR. Une UMR, c'est une Unité Mixte de Recherche, qui est chapeautée doublement et par la fac qui l'accueille, et par le CNRS. Ici, le ministère prévoit que les UMR ne seront plus gérées que par les facs, argumentant d'une simplification des tâches administratives (ce qui, de toute façon, sera un gain parfaitement illusoire). Ce que ça va faire, c'est que les UMR deviendront des structures locales, et que plus aucune politique de recherche à l'échelle nationale ne sera possible (ce qui était assuré, a minima, par le CNRS, même avec les autres réformes). Parallèlement est prévu une réorganisation des labos CNRS, qui viendront s'opposer aux UMR, appartenant aux facs. Beaucoup d'enseigants-chercheurs sont tout à fait ravis du fait de travailler conjointement avec des chercheurs à plein temps, ils sont pleinement conscients que ce statut est absolument nécessaire pour faire des recherches vraiment avancées, qu'eux ne peuvent pas faire parce qu'ils croulent sous les charges de cours et d'administration des cours (je peux développer l'emploi du temps d'un maître de conférence s'il y en a qui doutent, ou se demandent). Le fait de séparer les deux aura plein de conséquences néfastes directes, et du point de vue de la formation à la recherche : les enseignants seront à la bourre en recherche, perdront leur niveau, et la formation sera par conséquent de moins bonne qualité, et du point de vue de la recherche elle-même : les chercheurs ne baigneront plus dans l'univers de la formation, ils n'auront plus accès aux étudiants, et évidemment auront encore moins de moyens pour conduire leurs recherches. Il y a encore plein de raisons au fait de s'opposer à ce genre de mesure (mais c'est déjà long, là, pour cette fois).


J'en rajouterai encore. Là, c'est déjà un premier point. Encore tellement de choses à ajouter... Pendant ce temps, la fac de lettres d'Aix est toujours fermée sur décision de "la Présidence", les personnels ont réclamé sa réouverture, les étudiants anciens bloqueurs, dégagés par l'intervention des CRS la semaine dernière (une douloureuse première historique à Aix), sont présents à l'entrée de la fac tous les jours vers 7h du matin pour informer les gens qui passent ; mardi matin, ils me faisaient remarquer qu'ils seraient vachement contents de reprendre les cours, ça serait nettement moins difficile que de dormir à même le sol dans des amphis ou de se lever à 6h tous les jours pour venir se geler devant l'entrée de la fac (je dis ça pour contraster avec les ceusses qui se plaignent de la "poignée d'étudiants qui profitent de n'importe quelle occasion pour arrêter de travailler"...). Les AG continuent, sur le parking faute d'autorisation d'accès au parvis.

7 Commentaires :

Anonyme a dit...

C'est dingue, ce que cette loi décrit est EXACTEMENT une université américaine! Frais d'inscriptions, autonomie des campus (payée par des fonds privés, donc finies les libertés, bonjour la pression de Coca Cola, c'est exactement ça), dossiers d'inscription, etc. etc. Conclusion, plus de la moitié des étudiants américains se retrouvent avec entre $50 000 et $100 000 de dettes après 4 ans d'études! Vive le capitalisme sauvage...

Troubi a dit...

Superbe article qui va bien m'aider à me forger mon opinion.

Merci beaucoup

Anonyme a dit...

Well, welcome in the US. Université payante, et niveau des étudiants plus que moyen (oui parcequ'il n'y a pas que des Yale ou Havard faut pas croire)... Voila ou va la France...
Sinon j'aimerais tout de même ajouter quelques mots, et ce après une conversation cet été avec mon père quant à la fonction de l’université. A l'heure actuelle l'université est une case de secours sur le jeu de l'oie... On va là, car on ne sait pas ou aller. Si il existait une réelle orientation au lycée (suivie sur toute la durée du lycée), il y aurait beaucoup de gâchis évité et donc d’économies de faites... Ensuite pour moi l'université devrait rester en priorité "un établissement d'enseignement supérieur dont l'objectif est la production du savoir (recherche), sa conservation et sa transmission (études supérieures)" bref pour moi le but est non pas de former à un métier (sauf à celui de chercheur, cela va de soit), mais simplement à faire progresser le savoir. Dans ce sens il est injustifiable de demander un diplôme afin de permettre à des personne de recevoir le savoir. Tous le monde (instruit ou non, intelligent ou non) devrait si il le désir pouvoir accéder au savoir et donc suivre des cours à l’université. Je crois qu’on se méprend de plus en plus sur son rôle et trouve cela bien dommage…

malie a dit...

Y'a néanmoins deux trucs américains qui ne sont pas prévus dans cette loi, c'est 1/ la mise à niveau du salaire des enseignants-chercheurs, et 2/ la réduction de leur charge d'enseignement. A l'étranger, dans la plupart des cas il n'y a pas de corps de chercheurs à plein temps, mais par contre les enseignants-chercheurs font beaucoup moins de cours !! Et pas d'administration du tout : il y a des personnes payées pour ça (c'est dingue, non ?).
Le salaire, à la rigueur moi je m'en fiche du moment qu'il me permet de vivre à peu près tranquillement... mais jusqu'à cette année ça n'a pas vraiment été le cas.

Anonyme a dit...

Heu en ce qui concerne le salaire aux US, saches que tu es payer 9 mois sur 12. Pour le reste, tu dois trouver ton propre argent. Quand à l'administratif et bien je ne sais pas ce que tu entends par là, mais les projets, les recherches de subventions c'est toi qui doit les trouver. Et ce qu'il faut savoir c'est que si tu veux des étudiants, « bachelor » ou « master », il faut pouvoir les payer... Ici tu comptes les centimes... Et tu es juge sur le nombre de papier publie et les milliers de dollars que tu as su décroché. Si ce système certes permet d’avoir des chercheurs très efficace, il n’en demeure pas moins que c’est extrêmement stressant et compétitif… bref pas du tout mon style... dixit rastafarai bergere ;-)

malie a dit...

Bergère > Ce que j'en sais, c'est que pas exemple j'ai une connaissance qui est prof là-bas, un poste moyen dans une université moyenne (c'est-à-dire qui ne manque pas de moyens mais c'est pas le MIT non plus), et qui veut rentrer en Europe. Alors on l'a tenu au courant du calendrier des candidatures CNRS parce qu'il était super motivé, mais quand il a appris quel était le salaire... il a préféré laisser tomber directement et rester aux US. Et pourtant je peux te garantir que ce n'est pas le genre à faire ce job pour les sous !

Après, évidemment qu'il y a énormément de différences entre les deux systèmes et que c'est pas si simple. Cela étant, je ne sais pas si tu as eu l'occasion de goûter aux joies des soumissions à l'ANR ou si tu étais déjà en Italie quand ça a été mis en place, mais je ne te raconte pas le plaisir... sans compter, p.ex., un collègue p.ex. qui est obligé de passer le plus clair de son temps à faire les emplois du temps, ou une autre collègue qui s'occupe du secrétariat de son labo, parce que ledit labo n'a pas de secrétaire du tout. Alors chacun d'eux fait ça sur son temps de travail, i.e. soit de recherche, soit de préparation de cours, soit des deux...

Anonyme a dit...

Bon alors la je te rassure tout de suite, je trouve tout a fait scandaleux le salaire que touche un CNRS, ou un prof. Nous aussi nous voulions rentrer en France, mais faire du benevolat, dans un labo ou durant tes premieres annees il faudra te battre pour avoir ta place face au dinosaures qui rafleront sans cesse etudiant et bourse non merci...
Non d'ailleurs le reste du monde est bien effare de voir le salaire d'un chercheur en France. Sur ce point je suis tout a fait d'accord. Non je voulais simplement dire que le systeme americain n'est pas le meilleur. Aux pays bas, en allemagne les salaires sont descents et la recherche moins stressante qu'aux US.