mercredi 11 avril 2007

Au printemps de quoi riera-t-on ?

Il y a un an et un jour, le CPE était retiré.


Petit à petit, les facs se sont rouvertes, les cours ont repris, tant bien que mal, mais un goût amer est resté. Le goût qu'on peut avoir quand on entend quelques masses particulièrement remarquables et médiatisées crier un grand "Victoire !" alors même qu'on n'a vraiment rien gagné, qu'on n'a fait que remettre à plus tard et qu'on a, encore une fois, le sentiment d'avoir été manipulé.



A ce moment j'étais à la fac d'Aix. Elle était bloquée, comme beaucoup d'autres. Je n'avais plus de cours, j'avais fait tout mon service au premier semestre pour pouvoir rédiger ma thèse au second. Et d'un coup, je me suis retrouvée à osciller entre aller à la fac en sachant que ça serait uniquement pour participer à l'AG journalière des personnels et puis pour aller boire des cafés ensuite en refaisant le monde avec mon chef et d'autres ; ou alors rester à la maison pour bosser, tout en sachant que dans ce cas je me participais pas au mouvement, ce que je déplorais profondément. J'avais décidé de couper la poire en deux : aller à la fac deux jours par semaine, à peu près. Résultat : je n'ai ni bien bossé ni bien participé, mais ce n'est pas grave, j'ai pris part aux deux autant que je le pouvais.



Pendant ces mois de mobilisation, d'un coup, j'ai vu se produire un changement radical dans l'attitude des étudiants. De passifs, ils sont devenus profondément actifs. Ils se sont mis à réfléchir aux raisons pour lesquelles ils étaient là, et pas seulement tous seuls dans leur coin non, mais collectivement. Ils se rassemblaient quotidiennement, en AG ou en groupes plus restreints (plus faciles pour prendre la parole...) pour discuter et élaborer des projets. Ils revotaient le blocage. Et nous on votait notre soutien à leur mouvement, et notre grève également (en fait, étant encore étudiante, je votais aux deux, niark niark). Ils réfléchissaient, ils écoutaient attentivement ce qu'on disait d'eux, ils organisaient des happenings d'information, ils réfléchissaoent chacun à leur engagement, à ce qu'ils voulaient faire. On a vu apparaître puis prendre forme un certain nombre de nouvelles têtes étudiantes que l'on verra sans doute encore longtemps. De jeunes adultes intelligents, des forts, des poètes, des grands, des honnêtes, et puis des fatigués, des rebelles, des râleurs. Ils s'écoutaient. Ils n'étaient ni la voix d'un syndicat ni celle d'un parti, ils étaient liés dans un mouvement collectif, rassemblés dans leur université et leurs inquiétudes quant à leur avenir. Ils se sont politisés eux-mêmes, au sens noble, en plongeant dedans à pieds joints ; ils ont fait leur propre politique. Pendant des semaines ils ont occupé la fac, dormant des des sacs de couchage, se relayant pour aller faire des courses, vendant du café pour gagner trois sous et en profite rpour discuter.



Ils ont fait quelque chose que je n'avais jamais vu dans ma vie d'étudiante, ils ont investi cette vieille fac inhumaine et en ont fait un véritable forum. Ce lieu dégueulasse, abandonné de tous depuis toujours, conçu pour être inhumain et repoussant, fermé, opaque, interdisant tout mouvement de masse. Vous savez, l'une de ces facs qui a été construite après 68, de telle façon qu'elle empêche les étudiants de se rassembler et de monter envahir le centre ville : à Aix ils ont opté pour un portait d'entrée ridiculement petit ; à Bordeaux, ils ont mis la fac de lettres tout au bout du campus à l'opposé de la ville.



Jusqu'à la fin de l'année universitaire les forums ont continué. Ils ne parlaient plus du CPE, ils avaient étendu leurs discussions à d'autres questions. En début de réunion il y avait comme une revue de presse, chaque volontaire présentait un sujet et ce qu'on pouvait en penser, et puis suivait un débat ; il en était ainsi de la régularisation des sans-papiers comme de questions d'écologie.


A la rentrée ils ont essayé de recommencer, mais c'est redevenu un peu mou. Malgré tout, ils ont laissé un bureau dans le grand hall, presque toujours occupé, présentant un ensemble de papiers d'information sur divers sujets, proposant du café parfois.


Et les murs du bâtiment préfabriqué de l'entrée du campus portent encore quelques stigmates de leur traitement de l'an dernier... qui nous rappellent que oui, on peut vraiment le faire.



free music


Au printemps de quoi rêvais-tu?
Vieux monde clos comme une orange,
Faites que quelque chose change,
Et l'on croisait des inconnus
Riant aux anges
Au printemps de quoi rêvais-tu?

Au printemps de quoi riais-tu?
Jeune homme bleu de l'innocence,
Tout a couleur de l'espérance,
Que l'on se batte dans la rue
Ou qu'on y danse,
Au printemps de quoi riais-tu?

Au printemps de quoi rêvais-tu?
Poing levé des vieilles batailles,
Et qui sait pour quelles semailles,
Quand la grève épousant la rue
Bat la muraille,
Au printemps de quoi rêvais-tu?

Au printemps de quoi doutais-tu?
Mon amour que rien ne rassure
Il est victoire qui ne dure,
Que le temps d'un Ave, pas plus
Ou d'un parjure,
Au printemps de quoi doutais-tu?

Au printemps de quoi rêves-tu?
D'une autre fin à la romance,
Au bout du temps qui se balance,
Un chant à peine interrompu
D'autres s'élancent,
Au printemps de quoi rêves-tu?

D'un printemps ininterrompu

Jean Ferrat, Au printemps de quoi rêvais-tu ?, 1969.





Compléments d'information et d'images :


  • Anniversaire de la mort du CPE, dossier spécial chez Bast64
    Pendant deux mois, de Rennes à Strasbourg, de Lille à Marseille, en passant par Bayonne et Paris, la jeunesse a résisté et défendu ses droits. Alors que la campagne électorale se détourne des enjeux sociaux, l'anniversaire de la mort du CPE vient comme une piqure de rappel.

  • Réflexions sur le mouvement contre le CPE chez Rote Fahn
    Le soulèvement en France a démoli ces mythes. En l'espace de quelques semaines toute une génération a été politisée. Ceux qui ont participé à cela ne seront plus jamais les mêmes qu'avant, et leur créativité et leur audace inspireront les peuples du monde dans les années à venir.

  • Il y a un an, le CPE, chez Bernouin
    Le mardi 4 avril, trois jours après l’allocution du président Chirac, les plus importantes manifestations ont lieu en France (entre 1 et 3 millions de personnes). A Nice, ce qui sera le dernier grand défilé, regroupe 9000 à 30 000 personnes, auxquelles s’ajoutent un millier de manifestants à Cannes et Grasse. Autant, de mémoire de syndicalistes, que lors des manifs contre le « plan Juppé » en 1995.

  • Aix en lutte, le blog (d'époque) de la fac de lettres d'Aix qui raconte la grève au jour le jour.


3 Commentaires :

choignard a dit...

pourquoi oublie-t-on si vite... un printemps en cache toujours un autre pourtant. les politiques semblent, eux,avoir oublie ces mouvements de l'an dernier... qui n'etaient que le commencement d'une vraie reflexion.

Manuel a dit...

Un retour très intéressant sur les évènements du printemps dernier. J'ai trouvé peu de blog qui faisaient un retour critique sur ces longues semaines. une belle note.

(mon blog : http://toujoursplus.hautetfort.com )

Mimille a dit...

Moi aussi j'en ai trouvé peu. Peu de journaux aussi, mais ça, il fallait s'y attendre.

Merci beaucoup pour ton commentaire. J'en m'en vais faire un tour sur ton blog :-)