jeudi 19 avril 2007

Je ne suis pas ce que je suis

Ce matin, Caco a publié un billet qui, dans mon esprit, fait pas mal écho au mien d'hier. Elle se demande ce que peut bien vouloir dire "connaître quelqu'un", et à cette occasion elle se demande ce qu'elle connaît d'elle-même ; moi, hier je me donnais l'impression d'avoir perdu le fil de ma vie. Et donc, de ne pas me reconnaître dans mes souvenirs d'il y a quelques années.


Je ne veux pas exposer ici ces choses que je listais comme étant mes envies il y a plus de 8 ans de cela. En fait, je crois que je ne peux tout simplement pas ; je peux raconter des tas de choses ici, mais pas des si intimes, ça m'est trop dur. En fait, ça m'est même trop dur d'en parler à qui que ce soit, j'ai bien essayé d'en discuter avec mon mari (qui, de surcroît, partageait déjà ma vie à cette époque) mais même avec lui, qui est pourtant la personne la plus proche de moi qui puisse être et qui ait jamais été, je n'y arrive pas.


Et puis si ça se trouve, même avec moi-même je n'y arrive pas, ce qui pourrait expliquer pourquoi est-ce que j'ai cette satanée tendance à oublier quasi-systématiquement mes souvenirs importants. Peut-être pas oublier les événements, mais faire l'impasse totale sur mes émotions.


Dans cette fameuse liste, il y avait des choses vis-à-vis desquelles j'ai simplement changé d'avis. J'ai relativisé ma perception de ces choses-là simplement en vivant, en mûrissant un peu sans doute, en laissant mon regard évoluer au fil de mes expériences. Mais il y en a d'autres aussi ont je sais qu'elles me manquent ; je le savais avant parce que je l'ai déjà ressenti ; ce que j'avais oublié, c'est qu'à 20 ans j'en avais fait quelques-uns des points d'honneur de ma liste d'envies. Enfin, une autre chose qui m'a surprise c'est de n'y pas trouver quelques-uns des éléments qu'à présent je ressens comme des incontournables de ma vie, alors que j'ai même l'impression que ça a toujours été le cas. Peut-être qu'à l'époque je considérais ça comme tellement évident que je ne les avais même pas citées ? Je ne le saurai jamais.


Et pourtant c'est bien moi qui ai vécu tout ça, c'est bien moi qui ai écrit ce petit mot, c'est bien moi qui ai ressenti les choses qui ont fait que j'ai eu envie d'écrire ça, et que je l'aie fait, précisément ce jour-là !


Je sais que ma vie a subi un déchirement brutal quelques mois après mes 20 ans. Je le sais, je m'en souviens (c'est même étonnant la manière dont je viens de l'écrire d'ailleurs, je m'en rends compte en me relisant). Ce dont je n'arrive pas à me souvenir, c'est comment est-ce que je l'ai ressenti précisément. Et hier, j'ai découvert en plus qu'il y avait une autre chose dont je ne me souvenais pas, c'est comment j'étais avant ce déchirement. Je me souviens que ça a été dur, mais je ne m'en souviens pas parce que je l'ai vécu, je m'en souviens uniquement parce que je sais que d'une manière générale cette épreuve-là est connue pour être dure.


Je passe un peu du coq à l'âne ce matin... bon, peu importe.


Je pourrais peut-être me dire que ce n'est pas important. Que ce qui compte, c'est de savoir qui ont est à présent, et pas nécessairement qui on a bien pu être avant. Que les deux ne font qu'un finalement, et que tant qu'on a le doigt sur l'un on est en plein dans l'autre aussi. Mais... est-ce que je sais qui je suis ? L'une des grandes questions qui me revient très souvent est "Est-ce que je peux avoir confiance en moi ?", i.e. en mes perceptions, en mes souvenirs, en ce que je crois être ? Est-ce que je ne devrais pas plutôt faire confiance dans ce que les autres me disent que je suis ? Est-ce que la différence entre les deux est normale, qu'est-ce que je dois faire de cette différence, est-ce que c'est moi qui la crée ?


J'avais déjà posé ce genre de questions je crois il y a quelques mois. Ah oui, c'était dans ce billet, et ça correspond en gros au premier point que j'évoquais, tout en l'évacuant parce que ce n'était alors pas le sujet :


Tout d'abord un questionnement sur mon positionnement en tant que personne, que je garde pour plus tard et n'a que peu de rapport avec la question présente.

Dans ce billet-là je disais que je ressentais une différence (douloureuse) entre ce que je percevais de moi-même et que je m'attendais à percevoir de moi-même. Aujourd'hui, je constate que je ressens également une différence entre ce que je perçois de moi-même et ce que je devrais percevoir de moi-même. Ou alors, entre ce que je perçois de moi-même et ce que j'ai perçu de moi-même, il n'y a pas si longtemps. Ou encore, entre ce que je perçois de moi-même et ce que je suis. Ou bien autre chose encore. Je ne sais pas quels mots mettre là-dessus. C'est tout aussi douloureux, voire même peut-être plus encore que la première différence que j'avais notée, parce que tout ça se situe dans mon propre regard au-delà de toute question sur ce que je voudrais, au-delà de toute illusion, de tout objectif, de tout raisonnement : il s'agit uniquement de ressenti pur. Enfin, je crois.


Là je me dis que si je n'arrive pas à mettre de mots dessus, c'est peut-être simplement qu'il n'y en a pas parce que ce que je ressens n'a tout bêtement pas de sens, que je suis juste en train de couper les cheveux en quatre et de m'inventer des problèmes pour ne pas m'attaquer à la réalité. Je ne nie pas que ça soit tout à fait possible, mais ce que ça signifie c'est qu'une fois encore je ne me fais pas confiance : je veux bien faire confiance aux autres, je veux bien faire confiance à moi-même dans ce que je disais sur moi dans le passé, mais certainement pas à moi-même aujourd'hui.


Ce "déchirement" que j'ai vécu peu après mes 20 ans, je ne peux pas en parler non plus. Je viens de faire un compte rapide, je crois qu'il n'y a pas plus de 4 personnes de mon entourage qui le savent, en comptant mon mari et ma mère. Ma mère, je le lui ai caché pendant 6 mois. Les deux autres à qui je l'ai dit, ce sont deux amies. La première (ma "collègue de gribouille" dont je parlais hier), je me souviens que je lui ai dit il y a quelque chose comme 4 ans parce qu'elle avait un truc grave à me confier et que du coup, comme pour compâtir (au sens de souffrir avec), je me suis également confiée à elle. La seconde est une amie bordelaise avec qui j'ai eu dès la première seconde une relation tout à fait hors du commun, je ne sais pas pourquoi, et à qui j'a confié cela il y a un mois (alors que ça fait quelques années qu'on se connaît quand-même), parce qu'on s'était mises à parler du sujet et que donc je lui ai dit que je l'avais moi-même vécu ; si ce sujet n'était pas incidemment arrivé dans une de nos conversations je ne le lui aurais toujours pas dit, malgré ce lien étrange qui nous rassemble comme un état de fait naturel avec lequel on doit faire parce que c'est comme ça que sont les choses (c'est vraiment étonnant ça d'ailleurs, un jour il faudra que je raconte ça pour voir si d'autres ont vécu ce genre de chose aussi).


Je traîne ça comme un énorme boulet que je masque. Comme tant d'autres choses, finalement. J'avance masquée : aux autres, et à moi-même aussi finalement. J'ai tellement bien réussi à faire croire que j'étais comme ci ou comme ça qu'au final je me suis mise à y croire moi-même. Alors je pourrais que me dire que si j'y crois moi-même c'est que je suis comme ça, mais ce n'est pas si simple parce qu'alors pourquoi donc est-ce que je me sentirais constamment en décalage, dans le faux, dans l'illusion, en équilibre précaire, déplacée, coupée de moi-même ?


Je pourrais m'amuser à me faire (pour moi-même exclusivement) une liste en deux colonnes : ce que je renvoie de moi-même / ce que je voudrais être d'une part, ce que je pense que je suis d'autre part, juste question de voir ce qui y apparaît.


Et puis je pourrais m'amuser à donner libre cours à tout ce qui me vient à l'esprit, aussi... pour changer !



J'ai, j'ai bien le droit
J'ai bien le droit aussi
de faillir, défaillir
jusqu'à mesurer le prix

Mais qu'est ce qui m'arrive
je ris aux larmes
je larme aux ris
mais qu'est ce qui m'arrive
je dors au bord de mon lit

REFRAIN :
Oh oh oh comme je regrette
je ne suis pas ce que je suis
les murs ont des oreilles
les murs me parlent trop

Oh oh oh comme je déteste
je ne suis pas ce que je suis
la lune qui me surveille
la lune est dans mon dos

J'ai bien le droit
j'ai bien le droit aussi
de railler, dérailler
épuiser toutes mes envies

Mais qu'est ce qui m'arrive
j'oublie, je bois,
je bois l'oubli
mais qu'est ce qui m'arrive
je dors au bord de mon lit

REFRAIN

J'ai , j'ai bien le droit
j'ai bien le droit aussi
de conduire, d'éconduire
les hommes au bout de la nuit

REFRAIN

4 Commentaires :

Anonyme a dit...

Un sujet compliqué, la continuité entre ce qu’on a été a 20, et ce qu’on sera bientôt à 30. Surtout sans tomber sans psychologisme de comptoirs. Quelques reflexions que m’inspirent ton post. Peut que, parce que cette cassure a été douloureuse, as-tu en quelque sorte, « jeté le bébé avec l’eau du bain ». Certes, tu as viré a 180° en ce qui concerne les objectifs, mais ce que tu es, toi, du moins ce que j’en devine à travers ton blog, ton amour de la nature, ta capacité a s’emerveiller, ta capacité à te révolter devant l’injustice, à travailler dur, ta volonté de preserver des relations humaines avant tout (et finalement au premier chef, celle avec celui qui deviendra ton mari), ne crois-tu pas que tu peux y trouver des fondements dans ta vie « d’avant ». Par ce que les souvenirs font parfois mal, on a parfois tendance a oublier une période entiere pour diminuer la souffrance, mais ce faisant, on oublie aussi les témoignages de l’être en construction que nous étions (je n’ai sans doute pas connu de cassure comparable à tienne, mais je sais d’experience que c’est ce qu’on a parfois tendance a faire après une rupture amoureuse, on prend une gomme, et on efface une période, et tout ce que cette période contient).
Quand a cette liste de souhaits, ca dépend vraiment des individus. Ceux que je connais qui ont réalisé leur « projet de vie », il n’y avait pas vraiment de liste. Il y avait quand même un numéro 1. Ma sœur voulait des enfants le plutot possible. Elle a aujourd’hui 21 ans et une petite fille, et elle en veut un second le plus vite possible. Elle a fait des études qui lui plaisait, qu’elle a instantanément mises de côté quand elle a rencontré son mari et est tombé enceinte (tout ça en 6mois). Mon mari a toujours voulu être pilote, et c’est cet objectif là qu’il poursuivait sans relache, le jour les yeux tournés vers le ciel, la nuit en rêve, déjà dans le ciel. Cet objectif là seulement. Il ne se préoccupait pas de rencontrer l’âme sœur, de l’endroit ou il irait vivre (alors qu’il a été élévé près de la mer sans aller à l’école jusqu'à 10 ans. Il aurait donc été très très malheureux en ville. Mais il était près à payer ce prix). La chance a voulu que nous nous rencontrions, et l’ordre de ses priorités à changé. Mais le résultat était déjà là. Il avait réalisé son rêve.

Pour moi, pas de semblable but. Même pas de liste. J’aurais été bien incapable de faire une liste de ce que je voulais faire/être dans 10 ans. Je ne savais pas si je voulais me marier, avoir des enfants, je ne savais absolument pas quel métier m’attirait (alors que quand même, 8 heures de ta vie quotidienne, c’est un gros morceau), ni ou je voulais vivre (la Corse a l’année, ya pas que des avantages). Je n’étais pas « paumée », mais j’étais mal dans ma peau, boulimique, et mes souhaits n’étaient pas là. Tout au plus savais-je ce que je ne voulais pas. Quel garçon éconduire gentiment, parce que non, là c’est sur, ca n’est pas pour la vie. Je savais que je ne voulais pas finir ma vie à vendre des shampoings, et après deux années de prépa HEC et des concours réussis, j’ai refusé d’entrer à HEC. Je suis partie, j’ai fait autre chose. Mais par défaut, par hasard. Et finalement, mes pas m’ont mené à ce métier que j’adore, et qu’a l’aube de quitter, je sais que j’exerce avec passion.
A 20 ans, je n’aurais jamais pu prévoir que je serais là ou je suis à 28, et je suis incapable de prévoir là ou je serais dans 10 ans. Mais je sais qu’à 20 ans, même si ca peux sembler un peu mesquin par rapport à de grands objectifs genre « aimer », « fonder une famille », « sauver le monde ou au moins faire un peu d’humanitaire », mes objectifs, c’étaient « La mer, la musique, la foi », et vivre debout sans trop de compromissions. Et bon an, mal an, les 3 sont toujours là, même si j’ai eu envie de tout envoyer balader, même si aucun n’est directement relié à mon métier, mon lieu de vie, et de manière un peu tremblotante, je suis quand même debout.

Peut-être il qu’il y a une continuité à chercher ailleurs que dans cette liste d’objectifs pour toi.

Mimille a dit...

Je te remercie infiniment Mowgli pour ton commentaire. En fait, je ne sais pas quoi dire de plus sans risquer d'en oublier : merci.

Anonyme a dit...

Le truc, c'est qu'on ne se voit pas. Ou on aperçoit juste, de temps en temps, des bouts de soi (quand on a le temps de les scruter, ce qui n'est pas toujours le cas à 20 ans).
Pour se voir en entier, on a besoin de miroirs : les écrits, les souvenirs qui nous restent, les discussions avec les autres, le chemin qu'on a fait, les choix qu'on a préfèré, ceux qui nous ont coûté, les endroits où l'on s'est sentis libre...
Ce que tu dis à la fin de ton article me paraît très juste : noter ses pensées vagabondes, c'est écouter ses sensations, ses émotions, et sûrement la meilleure façon de s'apprendre...

(A 20 ans je ne voulais surtout pas travailler dans un bureau, alors que j'adore ça finalement ; je voulais travailler avec des enfants, mais je n'ai aucune patience avec les groupes ; je ne voulais plus étudier - ce n'était pour moi pas le moment - alors que je suis faite pour ça ; je me fichais de l'activité de l'entreprise pour laquelle je travaillerais alors qu'aujourd'hui pour moi c'est primordial... je n'ai pas tout noté alors il doit m'en manquer, zut ! ;) )

Mimille a dit...

Je vois que je ne suis pas la seule a avoir (radicalement?) changé entre 20 ans et aujourd'hui.

Ça m'a fait tout bizarre de me retrouver confrontée, d'un coup, à une image de moi-même qui était rpesque diamétralement opposée à celle que j'imagine avoir aujourd'hui. Je me doutais bien que j'avais changé, mais à ce point-là... Comme quoi, un rien d'expréience de la vie et tout peut basculer.

Et puis c'est vrai que cette petite bafouille que j'ai retrouvée n'était qu'un fragment de moi-même, et non pas une image générale. Ça en faisait partie, mais ça n'était pas exactement, complètement ça. Enfin je crois.