La façon dont les événements se succèdent est parfois bien drôle.
Je reprends le travail demain. Il va falloir que je reprenne l'habitude de me forcer à me lever tôt, si possible à la même heure chaque jour, de me préparer, de prendre la voiture et de parcourir la longue route qui me mène à mon labo (en roulant doucement parce que ça gèle bien) (et je ne sais même pas encore précisément par où je vais passer), d'arriver, de passer mon badge dans le lecteur pour ouvrir la porte, de m'installer à mon bureau, de lancer mon ordinateur et de bosser, bosser, bosser. Bosser le plus possible pendant que je suis là-bas parce qu'ici, j'aurai d'autres choses à faire. Je ne sais encore pas du tout comment est-ce que je vais m'organiser ici avec la reprise du travail, comment je vais faire pour réduire mes activités, ce que je vais décider de ne plus faire pour garder suffisamment de temps pour le reste. Ensuite le soir, alors qu'il fera déjà nuit, je quitterai mon bureau, remonterai dans ma voiture et ferai mon long trajet retour (toujours doucement), jusqu'au lendemain où je ferai la même chose.
À la maison, il faudra que je m'organise pour faire un peu de ménage régulièrement question de ne pas me retrouver surchargée tout d'un coup. Il faudra sans doute que je le fasse le soir, parce que le matin ça risque d'être trop compliqué pour moi... Un petit coup de balai par ci, un peu de vaisselle par là, et je garderai les activités plus pontuelles pour le week-end (comme de faire les vitres par exemple... que je n'ai toujours pas faites depuis qu'on a emménagé et qui sont franchement sales, il faut le reconnaître). Le problème c'est que le soir je risque d'arriver complètement crevée à la maison, et d'avoir envie d'autre chose que de passer un coup de balai. Mais bon, d'un autre côté c'est tout de même bien agréable que ça ne soit pas tout le temps le chantier total, qu'on arrive à trouver facilement les choses et que l'on puisse laisser flotter son regard dans le salon sans qu'il y ait mille trucs qui trainent partout.
Je en sais pas du tout comment je vais faire pour continuer à m'occuper des chevaux. Là j'ai pris l'habitude de leur donner leur repas du soir, mais ça se passe juste avant le coucher du soleil c'est-à-dire vers 17h. À partir de demain, à 17h, je serai encore au boulot donc je ne pourrai plus le faire. Alors je pourrais changer mes habitudes pour leur donner plutôt leur ration du matin. Oui mais, le problème c'est que si je fais ça, ça veut dire qu'il faudra que je m'habille 2 fois le matin (une fois pour aller aux chevaux, l'autre pour m'habiller "en propre" pour le labo : je m'imagine difficilement arriver au travail pleine de boue et de foin). Ça veut dire aussi prendre un bon bout de temps pour le faire, parce que le matin c'est plus long, en ce moment parce que c'est l'hiver on leur donne de la farine (i.e. des grains concassés mouillés à l'eau qu'on leur sert dans des seaux, c'est plus compliqué que le foin). Et puis si je pars tôt le matin pour arriver pas trop tard au boulot (question de repartir pas trop tard non plus), il faudra que je le fasse de nuit... donc en plus, je ne les verrai pas beaucoup ! Et puis j'ai peur que ça me démotive très vite et que je ne tienne pas le coup.
Ça, c'est un vrai problème. Je ne sais vraiment pas du tout comment je vais faire, alors que je quitterai la ferme de nuit et rentrerai de nuit également. Je ne sais pas du tout comment je vais pouvoir faire pour m'occuper encore des chevaux malgré tout. Alors certes, je n'irai pas au labo tous les jours. Je prévois d'y aller 3 jours par semaine, les jours où mon mari travaille. Mais je me connais et je connais trop bien mon travail aussi, et je sais pertinement que concrètement, très vite j'aurai des petites obligations tous les jours de la semaine, et qu'il me sera vraiment très difficile soit d'accepter de ne pas être présente au travail autant que je le devrais (et donc de culpabiliser parce que tout de même, c'est mon boulot, et c'est à plein temps — même si je n'ai pas réellement d'obligation de présence pendant mes heures de travail), soit d'accepter de ne plus m'occuper quotidiennement des chevaux. Dans les deux cas je vais culpabiliser. Je sais que je vais avoir l'impression de ne pas en faire assez, quelle que soit la solution que j'adopterai : que ce soit en privilégiant l'un des deux, ou en tentant d'en faire autant que possible des deux côtés à la fois (au détriment de mon ménage cité plus haut, notamment ;-)). Je sais déjà qu'il faudra que je lutte contre cette culpabilité mal placée puisque de toute façon je ferai ce que je pourrai, et que soit je donnerai mon plein temps à l'un en abandonnant l'autre, soit je ménagerai la chèvre et le chou et ne serai donc entièrement dévouée à aucun des deux. Mais je n'ai pas envie de choisir. Il y a des gens qui s'en sortent très bien avec un travail du type du mien et des chevaux, mais ils n'ont pas autant de kilomètres à faire matin et soir. Et en outre ils sont titulaires de leur poste, ils n'ont pas à fair epreuve d'une bonne volonté à toute épreuve dans leur travail !
Et puis paradoxalement, c'est là que l'enchaîenement des choses se fait joueur, l'activité "chevaux" devient de plus en plus potentiellement prenante (ça fait un peu abstrait tout ça, mais en fait ça l'est beaucoup moins qu'il n'y parait, sans que j'ose pour autant le formuler différemment pour l'instant — ensuite on verra). Sans vouloir encore ni faire des plans sur la comète ni même dévoiler clairement ce qui se trame, je dirai que l'éventualité de faire plus de place aux chevaux à la ferme se dessine d'une manière de plus en plus concrètement envisageable, et que plusieurs événements qui sont arrivés ces dernières semaines (en se précipitant particulièrement ces derniers jours) font qu'il y aurait peut-être moyen de faire quelque chose de vraiment intéressant selon mon point de vue et mes envies en la matière. Vraiment, c'est drôle de voir comment, alors que je suis à la veille de mon retour au travail intellectuel que j'avais fait jusque là, s'ouvrent du côté manuel, du côté près de la terre, du côté simpliste volontaire et écologiste, du côté humain proche, local, en interdépendance et en échange ouvert, des perspectives qui vont de plus en plus dans un sens qui me plaît vraiment beaucoup. Est-ce qu'il y aurait vraiment de quoi en faire une activité procurant revenu ? Si oui, quand et pour combien de personnes ? Quels seraient les investissements nécessaires en temps et en argent ? Que ferions-nous très précisément (il y a plusieurs options possibles) ? Et puis, si ça se faisait, est-ce que ça me plairait de faire ça vraiment quotidiennement en tant qu'activité princpale ?
Je n'ai pas de réponse à ces questions pour le moment. Le fait est qu'on est en train de traverser l'un des moments les plus durs de l'hiver où il fait un froid de canard et où les journées sont hyper courtes et malgré tout j'ai un mal fou à rester enfermée. Je me sens tellement bien dehors. Je me sens tellement plus proche de moi, tellement moins en question, les choses sont tellement plus évidentes. En même temps, je me dis que ça doit aussi être en bonne partie dû au fait que je reprends le travail demain et que je n'ai pas envie. — Enfin bon, dit comme ça c'est un cercle vicieux, il faut que je tente d'être plus précise pour l'exprimer, de manière à parvenir à le regarder avec autant d'objectivité que possible : j'ai peur de reprendre le travail parce que je sais que je vais tout de suite me retrouver dans l'urgence, l'urgence des résultats, l'urgence des publications, l'urgence des candidatures, et que j'ai une trouille bleur d'y aller encore pour me retrouver le bec dans l'eau. Et que si jamais ma seule perspective d'avenir professionnel est un poste dans une université du bout du monde dans une région inconnue et sans amis, au sein d'une équipe que je ne connais pas ou si peu, je vais à nouveau me retrouver devant un doute affreux.
Et voilà, du coup le fait de parler de ça m'y fait penser : ça y est, le concours CNRS a ouvert. Et la tendance se confirme, ça se profile plutôt moyennement : 2 postes de CR2 en section 34 (c'est-à-dire ma section de spécialité) dont un sur une thématique à laquelle je pense ne pas coller du tout, et 3 en 44 (tiens, la numérotation a changé, jusqu'à l'an dernier c'était la 45), dont 2 sur une thématique dont je ne comprends même pas la signification de l'intitulé et le 3e sur une thématique "musique" (donc pas pour moi). Au final donc, ça fait pour moi un seul et unique poste envisageable, celui qui n'est pas profilé en 34. Hum, même dans mes persepctives les plus sombres je ne pensais pas que ça serait noir à ce point, là. Encore peut-être un événement qui ferai pencher la balance dans un certain sens... Il reste aussi les faleuses "chaires CNRS" qui vont ouvrir dans les universités, j'avais lu 150 postes (pour l'ensemble des disciplines !!!), puis 115, et là ce matin je viens de voir qu'ils en annoncent 90 (ce qui signifie que s'il y en a 1 dans mes cordes ça sera déjà Byzance). Pour l'instant c'est la seule information que l'on trouve à leur propos, elles ne sont pas encore publiées.
Bon. Je ne sais pas encore quoi penser de tout ça précisément. J'ai dit que je faisais une 3e année de candidature, j'ai obtenu un prolongement de mon contrat de travail pour quelques mois, je suis à la veille de la reprise et il faut bien que je me jette à l'eau. Mais vu d'ici elle a l'air bien froide et fort peu engageante, c'est le moins que l'on puisse dire. Par ailleurs, c'est peut-être la toute première fois de ma vie que j'ai une ouverture en or pour me recycler dans un truc qui me plairait, même si c'est encore très loin d'être certain. Et sans doute que si je ne plonge dans aucun des deux je risque de me retrouver au final en perdante des deux côtés. Ça serait vraiment trop con. Et si je me gourre dans mon choix hein, est-ce que ça serait pas tout aussi con ?
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A part ça, les images de ce billet n'ont rien à voir avec la choucroute. Ce sont des photos de Jean-Loup Sieff, photographe que j'adore et auquel j'ai pensé juste avant de commencer la rédaction de ce billet, alors je n'ai pu résister à l'envie de partager quelques-unes de ses photos même si ça n'avait aucun rapport. J'adore particulièrement le portrait de Bernadette Laffont en 1959, je le trouve captivant à couper le souffle, mais il y en a tellement d'autres !