Il faut terminer la clôture du jardin, poser les piquets, mettre du grillage et monter les portes. Il faut creuser le talus par endroits et déplacer les voitures pour les ranger au bon endroit.
Il faut monter sur le toît, remplacer des tirefonds qui n'ont pas de joint, trouver des tuiles et les poser le long des terrasses, passer un enduit sur le murs des terrasses pour que ça devienne vraiment étanche.
Il faut réparer la 2e selle de cheval qu'on a reçue et qui est en mauvais état.
Il faut vider la pièce du fond où l'on a entreposé tous les cartons qui restent.
Il faut trouver d'où vient la fuite le long du mur, si c'est un écoulement du toît ou alors si ça vient du circuit d'eau. Il faut remplacer le placo qui s'est abîmé.
Et je ne me rends pas compte.
Ça faisait des mois que l'on vivait comme ça, on avançait petit à petit dans les choses à faire, ce n'était pas idéal mais on y allait doucement et on gardait du temps pour faire aussi d'autres choses, qui nous plaisaient, et ça ne posait aucun problème. Mais depuis hier ça pose un problème. Je ne sais pas pourquoi, moi : je ne me rends pas compte.
Moi ça fait des mois que je veux qu'il me retrouve la mèche de 6 de la perçeuse qu'il m'a interdit de chercher dans le cafoutche parce que je ne m'y retrouverais pas, pour pouvoir monter les rideaux aux fenêtres et mettre des porte-serviettes dans la salle de bains.
Ça fait des mois que j'attendais qu'il m'aide à monter le lit pliant à l'étage et que je faisais avec en attendant. Ce matin je devais l'aider à le porter dehors dans la boue gelée alors que je n'avais même pas encore bu mon café.
Mais je ne me rends pas compte. Je ne me rendais pas compte que d'un coup il était devenu urgent de le faire avant 8h du matin quitte à réveiller la voisine en tapant sur le toît.
A midi il a bu son café pendant que je finissais mon assiette et il est reparti couper du bois. Je m'étais bien rendue compte que lui demander qu'on boive le café ensemble, ç'aurait été trop demander. Alors je l'ai bu toute seule. (En pleurant, mais qu'importe)
Le voyant soupirer de fatigue en début de soirée, je lui ai proposé de faire une petite pause. Avec moi, sur le canapé. Peut-être l'un contre l'autre, peut-être à se faire un sourire, peut-être à parler de demain matin où l'on est censés monter à cheval pour la première fois et que c'est censé être un événement d'une grande joie, qu'on attend depuis si longtemps. Je pensais à une pause de 5 minutes, rien que tous les deux. Mais pensez donc : je ne me rends pas compte. Je ne me rends pas compte de tout ce qu'il y a à faire, je ne rends pas compte que c'est urgent, je ne me rends pas compte qu'en lui proposant une pause je le stresse encore plus. A présent je le sais : il me l'a dit. Amèrement.
Non. Moi je me rends compte qu'il me crie qu'il a tellement mal qu'il fuit dans les des urgences subites. Je me rends compte qu'il n'ose pas s'arrêter une petite seconde parce qu'il sait très bien que s'il s'arrête il se rendra immédiatement compte que c'est n'importe quoi. Qu'il a besoin de ne surtout pas relativiser parce que sinon c'est tout le reste, tout ce à quoi il s'obstine à ne laisser surtout pas la moindre place, qui va revenir l'assaillir d'un coup. Et je me rends compte que même lui suggérer qu'il y a peut-être un peu de ça c'est déjà beaucoup trop. Que lui demander pourquoi c'est si urgent est une insulte. Que lui faire remarquer que jusqu'à hier, tout ça était déjà à faire mais qu'on faisait les choses petit à petit et qu'on s'en sortait bien, sans stresser, ce n'est pas pensable. J'ai tenté ; à chaque fois j'en pleure de plus belle. Et c'est de plus en plus fréquent. Même quand je me contente de faire ce qu'il dit, de l'écouter, de l'aider, de lui demander ce qu'il veut faire, même comme ça je ne me rends pas compte. Même en le laissant faire, même en l'encourageant je ne me rends pas compte.
Un jour, dans un moment — un moment qui me semble terriblement lointain pour l'instant — je saurai (au moins à peu près) ce dont lui ne se rendait pas compte. Un jour il s'en rendra compte. Mais pour l'instant, même ne plus dormir, même être malade depuis des mois et refuser d'aller voir un médecin quel qu'il soit, même crier tout seul alors que je ne dis rien, même annoncer qu'il s'en va, rien ne le fait réfléchir. Dans un moment il me dira que j'aurais dû lui dire ; il aura oublié que je lui ai dit, je lui ai dit dès le début, tant que j'ai pu et puis que j'ai dû arrêter parce que c'était devenu plus dur que de me taire. Pour l'instant, je ne me rends pas compte. Et j'en pleure, s'il savait comme j'en pleure...
8 Commentaires :
Je passe juste, je ne sais pas trop quoi dire, sauf te proposer un thé, rester là à côté sans trop rien dire.
Quand on subit un deuil comme le vôtre, en couple, chacun est aussi renvoyé à ses propres deuils antérieurs. Peut-être ceux de ton mari sont-ils/ ont-ils été cruels et se trouvent-ils réactivés d'une façon dont, en effet "personne ne se rend compte". Les mots qu'il dit ne te sont pas destinés, je crois, même si les entendre ajoute à ton chagrin.
Vous allez y arriver, m'irza, tu vas voir, un jour après l'autre, doucement, vous allez sortir de tout ça.
Je t'embrasse.
Te dire qu'il faut du temps, qu'un homme se tait bien souvent dans ces moments là.
Je vous embrasse tendrement tous les deux.
C'est si douloureux, pour chacun d'entre vous, et pour tous les deux.
Je t'embrasse fort.
Amicalement
Lise
Heureusement que si. Que tu te rends compte. Et s'il préfère que tu le taises c'est qu'il le sait peut-être trop bien... chacun sa manière de gérer sa douleur, mais de là à en rajouter à la tienne, ce n'est pas tenable.
Petite pause dans ce programme bien chargé :)
Joyeux Noel !!!
Bises
Ma chère Mirza,
je préfère ne pas trop en dire pour ne pas risquer de te blesser... Ne pas marcher au même rythme ne veut pas dire cheminer sur deux routes différentes...
Je pense fort à toi et à cette date où l'absence des bonheurs commandés sont encore plus difficiles à supporter...
Je pense très fort à vous et je t'embrasse.
je te souhaite une année douce et calme, pleine de lumière,de chaleur et de chevaux, pour que vous puissiez ensemble panser vos blessures.
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