mercredi 14 mars 2007

Dysrythmie

J'ai pensé à quelque chose ce matin. Depuis le mois de septembre je suis une enseignante nomade, devant faire 700 km pour aller sur mon lieu de travail. Et c'est nul, éprouvant, épuisant bien sûr de faire tous ces kilomètres. Mais ce matin, j'ai réalisé que ce n'est pas tout.


Cet été, juste avant donc, je rédigeais ma thèse. Puisque c'était en juillet-août je n'avais pas d'obligation de présence à la fac, et j'avais pris un ryhtme on-ne-peut-plus régulier : lever 7h-7h30 ; café ; jogging ; café ; boulot jusqu'à 13h30 ; déjeuner dehors avec mon mari et très souvent son collègue luthier ; café ; boulot jusqu'à 18h ; pause jardinage d'une demi-heure ; boulot juqu'à 21h ; dîner ; boulot jusqu'à sommeil. Je faisais ça absolument tous les jours (quand j'y repense, quand-même...). C'était pas toujours facile mais j'avais pris le coup, et puis c'était pour la bonne cause et j'étais tellement contente d'avancer que ça excusait la monotonie.


Et même avant cette période j'avais des semaines assez simplement rythmées. Du lundi au vendredi au labo de 9h à 18h-18h30, le week-end repos à la maison. Quand j'avais envie de rompre la répétition je passais une journée à travailler à la maison.


Et de ça, de cette vie que je menais finalement depuis quatre ans, je suis passée directement non pas à un autre rythme, mais à la conjonction de plusieurs rythmes qui selon ma perception personnelle sont finalement incompatibles. Je passe deux grosses demi-journées dans le train, entre lesquelles je suis soit dans un apparte quasiment vide à Bordeaux où je me sens un peu comme une passagère clandestine, soit à la maison à devoir travailler plus ou moins intensément suivant le nombre de dates limites de remises de dossiers de candidature (qui ont la bonne idée de tomber toutes à peu près en même temps à chaque fois : qualif' et candidature CNRS en décembre-janvier, dossier MCF et auditions CNRS à préparer en mars).


Quand je suis à Bordeaux je suis dans mon lieu de travail, qui se ne se résume pas seulement à la fac mais à toute la Gironde, finalement, et même au train Corail qui m'y emmène et m'en ramène. Si bien que j'ai l'impression de bosser en continu, 24h/24, du dimanche midi au mardi soir. C'est franchement épuisant. Et puis comme j'y suis sans mari, sans musique, sans radio, sans bibliothèque, sans mes collègues habituels, sans connaissance des règles tacites de l'endroit, sans mes endroits habituels aussi, sans mon climat,... et que même les heures de lever et de coucher du soleil changent considérablement, à cause de tout ça je suis continuellement sur le qui-vive. Finalement, je me fatigue sans doute moins pendant que je donne mes cours que pendant tout le temps qu'il y a entre les cours, où je passe mon temps à me demander ce que je vais bien pouvoir faire, est-ce que je vais encore aller voir mes amis ou est-ce que je vais les laisser tranquilles, est-ce que je vais travailler toute seule dans mon bureau de la fac, ou bien dans le labo dont je fais partie mais dont je n'ai pas le passe pour entrer, ou dans l'apparte mais sans le web... ce n'est vraiment pas une situation qui me convient, je ne sais pas m'adapter à ça.


Quand je suis à la maison, d'abord il me faut une bonne demi-journée pour me rendre compte que je suis rentrée. Une fois que j'ai repris contact avec le fait que je suis chez moi, il faut que je me mette à travailler. Mais comme je n'ai plus le rythme régulier que j'avais avant, j'ai un mal fou à m'y mettre. Et le temps passe. Et je n'ai pas mes collègues avec qui parler et refaire le monde. Quand mon mari part au travail, je passe toutes mes journées toute seule à la maison, avec l'ordi, le chien le chat, le jardin et l'appareil photo. Je n'ai pas de voiture et le village est à une demi-heure de marche : je me réensauvage. Et puis quelques jours sont déjà passés, il faut que je reparte à Bordeaux, et je me rends compte que je n'ai même pas défait mon sac de la dernière fois.


Cette situation est presque finie puisqu'il ne reste déjà (...enfin !!) que quelques semaines de cours. Mais je me rends compte qu'il n'y a pas que le trajet qui m'épuise dans cette situation, il y a aussi tout le ressenti que j'y mets, et puis le fait que je n'arrive pas à me dire que cette succession de quotidiens tellement différents et incompatibles, c'est ça mon quotidien normal pour l'instant.


Ce n'est pas grave. C'est juste que j'ai essayé, je l'ai fait, et que maintenant je sais très clairement que je ne veux plus jamais le faire. Certaines choses sont possibles, d'autres non : et ça, pour moi, ça sera toujours non à l'avenir.


4 Commentaires :

Anonyme a dit...

En effet... les distances sont cruelles. Je te souhaite bon courage pour les semaines qu'il te reste à parcourir - mais j'imagine qu'une décision bien sentie, et la perspective de fin du tunnel, t'y aideront.
Bises

Mimille a dit...

C'est vrai. Et puis c'est exactement ça, quelques semaines à parcourir. J'en ai marre, mais effectivement je crois que finalement j'ai fait le plus gros, ce qui reste va passer très vite et sera plus varié. Je déplore juste que j'ai du mal à m'y consacrer aussi entièrement que je le voudrais, et puis je me mets à me poser de fausses questions sur ma motivation à candidater alors que ce n'est pas ça le problème, c'est simplement que je suis tellement azimutée que j'ai du mal à me retrouver.

Mais c'est bientôt fini, ouf.

Anonyme a dit...

J'en parlais justement hier avec un thésarde qui donne des cours à la fac où je travaille.

Je lui disais qu'elle avait (donc que tu as et que tous les thésards ont) beaucoup de courage, car jamais je ne pourrais avoir un train de vie pareil.

Je comprends que cela soit épuisant, et je comprends aussi que nombre d'enseignant chercheur soit irritable, lunatique et blasé, tellement ils sont enfermés dans ce quotidien, et ne sont pas capable d'en sortir (ni de se rendre compte que ce rythme est épuisant) car ils ne connaissent pas autre chose.

Je crois c'est bon que tu t'en rendes compte. Car meme si tu veux poursuivre dans cette voie, tu sauras capable de voir le vie que tu veux avoir sans te laisser happer par le quotidien.

Courage à toi, mais tu en as déjà beaucoup d'etre arrivé là ou tu en es!

Mimille a dit...

Ce qui est terrible, c'est qu'une fois qu'on a fini la thèse (en tout cas c'est mon cas) on trouve que finalement, c'était pas si dur que ça.

En fait c'est faux.

Evidemment qu'il y a plein de choses au moins aussi difficiles, il y en a d'autres qui le sont plus, et au final ça dépend de chacun, et les thésards, au moins, font en général une activité qu'ils ont choisie et peuvent également choisir leur degré d'implication dans leur travail.

Je crois que c'est le seul métier pour lequel on ne peut pas demander de rapprochement de conjoint. Si on est embauché dans une fac donnée, on ne peut pas regagner notre région d'origine de cette façon parce que les recrutements des facs sont faits de manière autonome. Et donc c'est à notre famille entière de nous suivre, et non pas à nous tout seul de tenter de revenir là où et notre famille.

Bah...