mardi 20 mars 2007

L'attachement aux lieux

J'avais commencé un commentaire au billet de Mary mais ça devient tellement long que je préfère en faire un billet.


Pensez-vous que ce soit possible de détacher son monde intérieur des paysages, des sons, des odeurs et des atmosphères qui l'ont façonné? (Koldo)

D'expérience personnelle... je dirais que non.


J'ai passé mes 18 premières années dans une maison à la campagne. Ce n'était pas comme dans la situation de Mary puisque elle avait été construite par mes parents, quand ils sont arrivés dans la région. Mais toute mon enfance ils m'ont élevée en m'expliquant que plus tard, cette maison ça serait la mienne. Quand j'étais toute gamine ça signifiait très clairement pour moi que jamais je ne la quitterais (même pas pour aller faire des études ou quoi ou qu'est-ce).


Donc, mon monde intérieur a été complètement façonné par cette idée, par cette intime et fondatrice certitude que quoi qu'il puisse jamais arriver d'autre, quelle que soit ma vie, quelle que soit la famille que je me construirais, quelles que soient mes activités, quels que soient mes choix divers et l'histoire que je me ferais... j'aurais toujours, absolument toujours ce repère qui serait cette maison. Une annexe de moi-même en quelque sorte.


Mais mes parents étaient de piètres gestionnaires et ont dû finir par vendre la maison quand j'avais 17 ans. Ils ont racheté une maison de lotissement en crépi rose avec ce qui restait une fois remboursées les dettes, et moi je suis partie à Aix, et puis mon père est mort, la forme de la famille a changé, cette maison sans âme (i.e., sans attachement personnel) a été troquée contre une autre toute pareille... et mon héritage de pierres a disparu, totalement, avec mes racines profondes. Je considérais pourtant que c'était le seul qui avait la moindre valeur, et à vrai dire je n'imaginais même pas qu'il puisse y en avoir d'autre.


C'est un peu comme les gens qui se font amputer d'un pied et qui continuent à avoir ce pied qui les gratte : "ma" maison n'est plus là, et pourtant j'ai toujours cette certitude qui revient par vagues, par moments. Elle est devenue complètement saugrenue mais elle existe toujours, et elle creuse mon être en me rappelant à chaque fois qu'elle n'existe plus.


Sans doute que l'on peut finir par se détacher de tout ça, finalement, mais à mon avis quand on l'a vécu (ça ne doit pas être le cas de tout le monde parce que ça dépend j'imagine autant des personnes que des situations), pour s'en détacher il faut trouver autre chose à quoi se rattacher pour remplacer.


Concrètement, dans ma vision des choses, ça voudrait dire trouver une autre maison qui prendrait cette place devenue inoccupée de "maison de famille", et qui demande à être comblée parce qu'elle a été façonnée avec force et évidence dans mon enfance. Et le plus drôle, c'est que quand j'y pense, je me surprends souvent à l'imaginer exactement au même endroit que ma maison de jeunesse... d'ailleurs je ne sais pas ce qu'a ce village mais je ne suis pas la seule qui n'arrive pas complètement à s'en défaire : finalement, je connais assez peu des jeunes du village (de mon âge) ainsi que de leurs grands frères et soeurs qui ne sont pas passés par un retour dans ce village une fois adulte. Comme un lien invisible et tenace, réel et presque palpable.


12 Commentaires :

Anonyme a dit...

Merci Mirza,

Je comprends cet attachement, le mien y ressemble grandement.

Oui, je pense qui ce que si on ne peut pas à voir l'héritage familial, c'est à nous de construire notre propre héritage (avec du neuf, ou du vieux, selon ses gouts et ses attachements)

Moi non plus à l'heure actuelle, je ne me vois pas ailleurs et habitant en ville, en immeuble, j'ai bien peur que mes prochaines vacances d'été soient assez moroses.

Mais que chaque choses ont leur raison. De nombreux liens ont été brisé avec ma famille qui finalement a passé son temps à détruire tout ce qu'une famille est censé construire.

Ce mas reste mon unique racine (étant fachée et meme reniée par mes parents)... Peut etre que cette rupture totale, meme si je la crains, est utile et nécessaire pour que je puisse construire une nouvelle génération plus stable avec un esprit différent.

Qui sait... Chaque chose ont leur raison. Meme si sur l'instant on peut avoir mal, je crois qu'il y a des moments ou il faut observer les choses se dérouler car cela peut provoquer un bien dans le futur....

L'avenir nous le dira.

Merci pour ton article

Bizz

Anonyme a dit...

"pour s'en détacher il faut trouver autre chose à quoi se rattacher pour remplacer"
Quand je disais "détacher" dans mon commentaire sur le blog de Mary, je voulais dire dissocier physiquement. Mon impression de base était que si une partie de ce qui a façonné mon monde intérieur disparaît physiquement, c'est une partie de monde monde intérieur qui risque de disparaître. Mais en fait je me rends compte qu'il y a plein de choses qui aujourd'hui n'existent plus et qui continuent à vivre en moi, indépendamment de l'endroit où je me trouve (et même qui vivent en moi de plus en plus, plus ça va et plus il y a d'images très détaillées, d'odeurs, de sensations que j'ai connues il y a très longtemps et dont je n'avais pas vraiment de souvenir conscient, qui me reviennent sans crier gare).
D'où mon impression que la source est à l'intérieur de nous.
C'est d'ailleurs le sens que je vois au texte d'Artze, c'est pourquoi je l'ai mis.

Mimille a dit...

Je crois que j'expérience (par exemple) de Mary et la mienne montrent que les racines (qui sont au moins une partie du monde intérieur) ne sont pas directement liées à l'existence des lieux, des choses, des instants qui en ont été à l'origine.

En même temps, c'est drôle mais je crois que petit à petit, quand j'ai perdu tout lien avec cette maison de mon enfance, je me suis mise à élargir mes racines en quelque sorte : ce n'est plus cette maison puisque ça ne peut plus l'être, alors c'est le village, alors c'est la vallée, alors c'est le département, la région, le pays. Toutes ces choses-là ne disparaissent pas. C'est rassurant. Un peu comme une relativisation dont je ne sais pas si elle est nécessaire (pour se protéger de perdre ces liens) ou alors naturelle (parce qu'on grandit, ou quelque chose comme ça).

Et si la forme (le référent) peut changer, c'est sans doute effectivement que la source, c'est nous-mêmes. Donc Mary, ne t'inqiuète pas. Même si tu perds cette maison, ça signera sans doute la fin de quelque chose, mais pas celle de tes racines, qui resteront là et reprendront vie sous une autre forme, différente mais identique à la fois.

Anonyme a dit...

"Et si la forme (le référent) peut changer, c'est sans doute effectivement que la source, c'est nous-mêmes."
À la limite, de mon point de vue il n'y a plus besoin de forme pour que le monde intérieur vive, il s'autonomise en quelque-sorte. Et en un sens c'est même l'absence ou la non visibilité du référent (caché par la brume, comme dit le poète) qui permet de se rendre compte que le monde intérieur vit par lui-même. Ce constat a un peu modifié ma vision des choses depuis lundi, je ne ressens plus aussi fortement le besoin de proximité physique avec des lieux ayant contribué à façonner mon monde intérieur, plutôt une simple aspiration à vivre dans un cadre agréable avec suffisamment de soleil et suffisamment de pluie (faut bien jardiner quand même ;-)).

Mimille a dit...

Mais si la brume cache quelque chose, c'est qu'il y a bien quelque chose à cacher, non ?

Anonyme a dit...

Peut-être, peut-être que non, on en sait rien, vu qu'on voit pas à travers ;-)
Et comme ça nous fait justement une occasion de voir les paysages à l'intérieur de soi, et de voir qu'ils vivent par eux-mêmes (si on les laisse faire), du coup ça a moins d'importance. En tout cas c'est comme ça que je le vois (et maintenant que je le vois comme ça, c'est comme ça que je comprends le texte d'Artze), et du coup je me sens un peu plus libre.

Anonyme a dit...

comment vous rejoindre dans ces constats d'une enfance enfouie? n'est-ce pas cela "grandir" que se d�raciner de nos certitudes , que de couper ce cordon qui nous relie si souvent � ces sacr�s souvenirs d'enfance, qui vous arrivent par force et qu'il n'est pas necessaire d'oublier puisqu'ils font partie de nous-m�me ?... mais c'est � ce prix , au prix de ces petits ( ou grands) d�tachements que nous impose la vie, que l'on devient capable d'affronter ce que la vie d'aujourd'hui nous propose de vivre maintenant. On a la force alors de devenir davantage soi-m�me et de donner un peu mieux sa mesure chaque jour; en se d�passant sans cesse parce que justement on a accept� de d�passer ce qui nous �tait donn� dans un premier temps, comme de b�quilles necessaires pour apprendre � marcher tout seul,ce que la vie ( ou la mort ) a repris, afin de pouvoir maintenant vraiment marcher seuls ,face aux nouvelles contraintes de la vie, face aux nouveaux choix de vie qui s'imposent; Alors ce qui devient merveilleux alors , ce qu'on vit maintenant, ce qu'on construit peu � peu , pierre apr�s pierre, c'est ce qu'on veut vraiment. c'est notre nouvelle maison , ( notre nouvelle maison de famille) ; m�me si on met du temps � la voir sortir de terre , elle arrive parce qu'on la veut vraiment ; on l'aura construite nous-m�me. Avec ou sans aide; Et cela c'est exaltant. Il faut se dire alors que chaque petit instant de la vie de tous les jours , qu'il soit p�nible ou qu'il soit facile, agr�able, nous am�ne � ce qu'on veut construire dans sa vie, ce qu'on veut vraiment, l� on marche droit parce qu'on ne le doit qu'� ses propres forces, qu'� ses propres efforts, qu'� ses propres choix;. L� alors on devient capable de reconna�tre que ce qui nous a �t� donn� autrefois nous a tout de m�me construits, nous a aid�s � devenirs ce que nous sommes; Mais encore, cela c'est un peu avec le temps que l'on s'en aper�oit .Alors patience, pour vous �a vient... bon courage

Mimille a dit...

Je ne considère pas les souvenirs d'enfance et les racines comme étant des béquilles, mais comme la glaise dans laquelle on est façonnés.

Et je ne crois pas que la vie puisse nous imposer quoi que ce soit : la vie, c'est nous. C'est nous qui choisissons, ou qui subissons les choix des autres, mais la vie en soi n'a pas de volonté propre et n'impose rien.

Après, chacun peut donner l'importance qu'il souhaite à ses racines, les laisser prendre une place primordiale ou bien s'en détacher volontairement. Ça dépend des personnalités et de qu'elles signifient pour chacun. Dans mon cas c'était un attachement fort, et que je concevais comme évident et même presque naturel. Je l'ai perdu et ça m'a appris plein de choses sur moi-même, j'en découvre encore aujourd'hui d'ailleurs. Mais je garde l'attachement à ces pierres de mon enfance, même si les pierres elles-mêmes, ne me sont plus accessibles.

Quant au fait de se construire sa propre maison de famille, je considère que c'est ce qui reste à faire quand on n'en a pas déjà une ; c'est donc une solution de remplacement quand on n'a pas le choix. Je compte bien le faire pour ma famille, mais dans l'absolu j'aurais préféré moi-même n'être qu'une génération parmi d'autres qui se transmettent un petit bout de monde à protéger, avec toutes les histoires qui vont avec.

Anonyme a dit...

j'y arrive enfin, j'y ai pass� toute la matin�e...

� Mirza:
on ne peut transmettre aux autres que ce qu'on est vraiment. ce qu'on a , ce qu'on a eu, ce qu'on aura, ce n'est vraiment pas l'essentiel. Avec un peu d'exp�rience je me rends compte que je suis "devenue" toutes les exp�riences ant�rieures v�cues. chacune m'a fa�onn�e � sa mani�re et tout est devenu moi-m�me, tout m'a aid� � devenir ce que je suis aujourd'hui.; c'est pourquoi j'en reviens aux souvenirs d'enfance, qui m'ont "form�e"
comme un potier met en forme un objet avec la glaise initiale;. ( mirza tu as eu une belle image); Ils me permettent donc aujourd'hui de vivre assez sereinement, car j'essaie de n'en retirer que le positif, et Dieu sait qu'il y en a. Tout depend de la fa�on dont on voit les choses,
Perdre une maison d'enfance qui representait la valeur s�re, c'est l'unique moyen d'en d�sirer une autre, qui elle, sera celle qu'on attend vraiment, ( et �a viendra, il faut y croire). l'h�ritage on l'a dans nos g�nes cela c'est sur... Il ne faut rien attendre d'autre , ( si autre chose, maison , etc) vient par surcroit, merci mais c'est tout; on en a aucun merite). par contre perp�tuer en soi le souvenir vivant et vivifiant des �tres chers que nous ont quitte ou qui sont loin de nous en ce moment pr�cis, les remercier pour ce qu'ls �taient pour eux et pour nous, c'est cela le seul veritable heritage: savoir de qui l'on vient . bon courage, la route de la vie est longue mais elle est si belle car si plein d'exp�riences et de rencontres c'est l� l'essentiel.(j'attends les nouvelles foudres de mirza quand elle aura un moment...

Mimille a dit...

Mais les racines, l'attachement à un lieu, ce n'est pas quelque chose que l'on attend, mais quelque chose que l'on a.

Ce n'est pas tant une question d'héritage ni de mérite qu'une question de référent.

Quant à savoir de qui l'on vient... c'est nettement plus facile, plus évident et moins douloureux de savoir d'où l'on vient. Evidemment que les gens façonnent aussi notre monde intérieur, mais la différence c'est qu'eux le font volontairement, contrairement aux lieux, ce qui implique tout un imbroglio de choses faites consciemment ou non au sein desquelles ce n'est pas toujours facile de se retrouver soi-même.

Anonyme a dit...

oui certes.
je n'avais pas pense que dans la mouvance des evenements, voulus ou non voulus, que nous avons vecu, cela avait eu autant d'importance pour toi, et t'avais touch�e � ce point, puisque tu semblais avoir "oubli� momentanement du moins beaucoup de choses concernant ton enfance. il est important qu'on reparle de cela... bon courage pour la suite, l'enjeu est important pour toi. je pense � toi

Anonyme a dit...

alors, raconte,
comment �a s'est pass�,
ce qui est arriv�
pendant qu'on t'attendait ,l�....