lundi 28 mai 2007

Pourtant que la montagne est belle

Après mes quelques lectures de ces derniers temps, empruntées à la bib' ou glanées sur Internet, j'ai envie de faire une petite série sur l'histoire des révoltes de 1851 en Provence contre le coup d'état de Louis-Napoléon Bonaparte. Je vais commencer aujourd'hui par rappeler les faits, et dans de prochains billets de parlerai d'une part des effets que ces événements ont eu sur la population locale, les effets que je peux en voir aujourd'hui, et puis d'autre part des résistances que cela a engendré, ou bien avec un peu de chance et de travail (d'information, de réflexion, de construction), que cela pourrait engendrer.


Je me rends compte que j'ignorais tout ça. D'abord parce qu'à l'école je n'aimais pas l'histoire, je trouvais ça nul et inintéressant (notamment parce que sortis de l'apprentissage par cœur des dates et des noms, on ne nous encourageait pas du tout à essayer de comprendre ce qui était en jeu et encore moins à le mettre en perspective avec le présent), et puis ensuite parce que de toute façon cette partie de l'histoire, plus locale, plus directe (et plus féroce aussi), est complètement passée sous silence, y compris sur les lieux même où cela est arrivé (et si l'on jette un oeil sur la Wik', on constate qu'il n'y est pas non plus fait mention de tout cela). Il y a quelques années j'avais acheté le numéro de Géo consacré à l'Occitanie, et dans un article sur l'histoire occitane j'avais lu un paragraphe sur cette période. Il y était question d'une Armée démocratique du Var, qui s'était insurgée, qui avait lutté, qui s'était levée spontanément pour résister. J'étais tellement fière ! Et tellement heureuse d'apprendre quelques éléments de l'histoire des lieux où je me balade, où je vis, où j'ai grandi, apprendre ce que les murs que je croise ont vu se dérouler, les histoires que les fontaines sussurent au milieu de places des villages, les cris que le peuple a pu pousser sous les grands chênes qui restent.


Et puis il y a eu l'incompréhension. Comment est-ce qu'un tel peuple a pu engendrer ce qu'il est aujourd'hui ? Je suis restée longtemps dans le questionnement, jusqu'à lire encore, et réflechir, et aboutir à une hypothèse : j'y reviendrai dans les prochains billets sur ce thème. Hypothèse explicative, et pistes pour répondre à l'autre grande question : et maintenant ? Mais pour l'heure, commencons par faire un petit rappel historique, en guise de mise en jambes.



L'histoire nationale


En 1848, la monarchie de Juillet a été renversée par le peuple parisien.


Horace Vernet, La Barricade de la rue Soufflot, Paris, Février 1848.


Elle est remplacée par la IIe République. Elle voit s'établir le suffrage universel masculin, l'abolition de l'escalvage dans les colonies, la procalmation du droit au travail. Elle voit aussi apparaître la lutte des classes lors des émeutes de juin 1848 faisant des milliers de morts parmi les ouvriers, puis l'élection de Louis-Napoléon Bonaparte en décembre 1848 (dont la candidature, selon Victor Hugo, a été "un immense quiproquo").


Louis-Napoléon Bonaparte.


La France politique était alors (grosso modo) divisée entre royalistes (dits conservateurs ou "blancs" : légitimistes et orléanistes) et républicains (dits démocrates socialistes ou "rouges"). Bonaparte s'attache les voix des premiers, alors politiquement paralysés, celles des nostalgiques de l'empire du fait de son ascendance, et celles des ouvriers en adoptant quelques mesures populistes dans son programme. La gauche, divisée en plusieurs candidats, payait les pots cassés de son attitude ambiguë lors des émeutes de juin. A noter toutefois que si Bonaparte l'emporte largement du point de vue national, il n'a pas conquis la majorité en Provence (qui fait alors exception).


Sous Bonaparte, chef du "parti de l'Ordre", et après des législatives remportées clairement par la droite et marquées par une abstention record de 40%, on voit passer la loi Falloux qui renforce les droits de l'Eglise sur l'enseignement secondaire et permet la création de 200 collèges privés catholiques, ainsi que la loi du 31 mai 1850 qui restreint drastiquement les règles d'inscription sur les listes électorales (on passe de 9,6 millions à 6,8 millions d'electeurs).


Puis arrive le mois de décembre 1851, où le mandat du président arrive à son terme, alors que la constitution lui interdit de se représenter juste à la suite son mandat en cours. C'est là que l'opération Rubicon se met en place : Bonaparte a préparé son coup d'état depuis le mois de septembre, et le met en action le 2 décembre, anniversaire du couronnement de Napoléon 1er. Il dissout l'Assemblée Nationale, violant la constitution, il abroge la loi du 31 mai 1850 espérant ainsi rallier les ouvriers à sa cause, et proclame l'état de siège. Dans la nuit précédente, les initiateurs possibles d'une réaction populaire de même que politique ont été séquestrés.



Les Républicains font appel au peuple :


Louis-Napoléon est un traître, il a violé la Constitution. Il s'est mis lui-même hors la loi. Les représentants rappellent au peuple les articles 68 et 110 de la Constitution ainsi conçus. Le peuple désormais est à jamais en possession du suffrage universel, le peuple qui n'a besoin d'aucun prince pour le lui rendre, saura châtier le rebelle. Vive la République ! Vive la Constitution ! Aux armes ! (Victor Hugo)

Ernest Pichio, Alphonse Baudin sur la barricade, 1857.


Mais dans la capitale, moteur des réactions de masse, les foules sont brisées par les événements de juin 48, et divisées par l'abrogation de la loi restreignant le suffrage universel et l'indemnité parlementaire jugée tout à fait exhorbitante. L'insurrection patine, et capote rapidement : dès le 5 décembre, l'ordre est rétabli à Paris.



L'histoire locale


En province, les nouvelles ne circulent pas rapidement et la population n'est mise au courant des événements qu'entre le 3 et le 5 décembre. L'insurrection populaire se fait à l'initiative des Montagnards, partisans de la "République démocratique et sociale", dans le nord du Massif Central, dans quelques petites villes le Sud-Ouest, et surtout en Provence : dans le Var, les Basses-Alpes (les actuelles Alpes de Haute Provence), le Vaucluse, dans la Drôme et en Ardèche.


Carte des élections législatives de 1849 et insurrections locales suite au coup d'état de 1851.


Les Montagnards avaient effectué depuis des années un travail de longue haleine pour informer le peuple de leurs propositions et rassembler l'opinion autour de leurs idées de réformes sociales, à travers la diffusion à grande échelle de la presse. Beaucoup savent à présent lire, et lire en français, et les journalistes se déplacent de lieu en lieu pour générer de grands débats populaires dans les auberges (lieux de rencontres, d'information et de débat). La voix du peuple à Marseille (rebaptisé plus tard Le peuple), Le démocrate du Var à Toulon, etc. sont autant de titres à la large diffusion à l'époque.


Le cercle Républicain de Besse sur Issole.


Parallèllement beaucoup de sociétés secrètes (chambrées, cercles et autres clubs, dont la Nouvelle Montagne) agissent (plus ou moins), en sous-marin puisque la liberté de réunion et d'association n'existait pas à l'époque. Elles n'avaient aucunement pour but de préparer un coup de force, mais étaient régies par une volonté d'information et de débat à large échelle pour tout ce qui concernait la chose publique.


Aux Mées.


A la nouvelle du coup d'état, les citoyens se massent devant les mairies, réclament la départ de Bonaparte et le rétablissement des autorités déchues, organisent rapidement des comités de résistance. Le peuple s'arme, avec ce qu'il trouve. Le 5 décembre, alors que la nouvelle s'est enfin répandue partout, dans les villes les plus grandes (Toulon, notamment) la réaction de l'armée est rapide et les mouvements sont vite étouffés : il faut dire que tous les militants "rouges" ou présumés tels étaient fichés sur une "Liste des démocrates exaltés", suivis, régulièrement inspectés, et ce depuis des années. Dans les campagnes, des colonnes se forment pour marcher sur les sous-préfectures, au départ de Vidauban à partir du Luc, de la Garde-Freinet, de Brignoles. Cuers, Besse, Saint Maximin, Saint Zacharie, Salernes, Barjols, Aups et les communes alentours se joignent aux républicains. Dans les Basses-Alpes, la préfecture de Forcalquier est tombée aux mains des insurgés alors qu'une colonne marche sur Sisteron. Dans le Vaucluse, une colonne se forme à Apt et se fait route vers Avignon. Hommes et femmes se joignent aux convois pour sauvegarder la Rébublique et la liberté, et tiennent les armées préfectorales en déroute.


A Sainte Croix du Verdon.


Puis à partir du 9 décembre c'est la débandade. Dans le Vaucluse, la colonne est brisée devant Cavaillon. Dans les Basses-Alpes, après une première victoire aux Mées, le courage des républicains s'effrite devant la nouvelle des échecs par ailleurs et le groupe se disperse. Dans le Var, la colonne dirigée par Duteil, victime d'une erreur de jugement, s'écroule à Aups devant les troupes. Peu à peu les places gagnées par les républicains sont récupérées : Sisteron, Digne, et finalement Barcelonette qui a tenu, seule et isolée, jusqu'au 14.


A Aups.


Dans sa Proclamation, le préfet Pastoureau félicite l’armée et les bons citoyens du Var : "Le parti de l’anarchie et des brigands" est écrasé, l’autre triomphe, "celui des lois, du travail, de l’ordre, de la justice, de la paix, celui du pays honnête". On chasse l’insurgé dans tout le département. Le dernier contingent d’insurgés arrive à Riez (Basses-Alpes) le 11 au matin, il continuera vers le Piémont. (René Merle)

Aux Mées.


Les insurgés, pris les armes à la main, ont été systématiquement fusillés. 27 000 arrestations eurent lieu dans toute la France ; 10 000 personnes furent déportées dans les bagnes de Cayenne et en Algérie, d'autres furent expulsées du territoire, certains furent guillotinés. Quelques-uns avaient eu le temps de s'enfuir.


A Vidauban.


Un an plus tard, le 2 décembre 1852, le "prince-président", après avoir été largement réélu malgré son coup d'état, ayant clairement manipulé les foules en divisant les troupes des protestataires potentiels et en adoptant régulièrement quelques mesures démagogiques (comme il l'avait fait pour le rétablissement du suffrage universel), proclame le Second Empire, et devient Napoléon III.


A Mane.



Documentation



A Correns.


7 Commentaires :

Anonyme a dit...

Passionnant. C'est vrai que personnellement aussi… cette partie de l'histoire m'avait un peu échappé.

Anonyme a dit...

Vrai, c'est superbe, très intéressant. Mon grand-père était de Cadenet. La Provence est un peu un de mes pays, le troisième, et j'y reste très attachée. Cela amplifie encore mon plaisir à te lire.
J'ai beaucoup aimé aussi le billet sur les petites choses que tu répares et entreprends dans la maison (enfin, petites, pas vraiment).
PS - Tu sais pourquoi Blogger refuse les URL qui ne se termminent pas de façon réglementaire (par exemple .free) ? (pas que chez toi)

Mimille a dit...

Merci beaucoup de vos commentaires, ça fait chaud au coeur. Ça me fait d'autant plus plaisir que c'est important pour moi, de faire connaître tout ça. Je vais commencer par travailler tout ça ici, et puis j'ai l'intention d'en faire quelque chose localement. Je ne sais pas exactement quoi ni comment encore, mais j'y réfléchis. Ça, notre histoire, et puis aussi le côté légendes et contes locaux, c'est important à mon sens.

Sinon Meerkat, non je n'ai aucune idée ! Mais ça existe, les URL en .free tout court ?

Anonyme a dit...

merci de nous avoir aidés à faire connaître cette page d'histoire et les valeurs qui ont animé les insurgés, valeurs toujours opérantes aujoud'hui
rené merle

Mimille a dit...

Un grand merci à vous avant tout pour tous les textes que vous avez écrit à ce propos ! Je n'en reviens pas que vous m'ayez laissé un commentaire, je suis extrêmement touchée et honorée !

Merci mille fois.

Anonyme a dit...

Mais non, c'est vraiment nous qui disons merci, et ce n'est pas un Nous de majesté, parce que à l'association 1851 dont j'ai été un co-fondateur, ce sont des dizaines de passionné/e/s qui ont fait pour leur localité ou leur région ce travail "citoyen" de mémoire (cf. le site 1851)
rené merle

Mimille a dit...

Du coup il va falloir que j'écrive les billets suivants de la série, dont je parle au début de celui-ci...