jeudi 26 juillet 2007

Douze fois par an

Quand ça vient, on ne s'en rend pas compte tout de suite. On s'imagine que c'est parce qu'on avait pris une mauvaise position, alors on bouge un peu, on se lève, on s'étire. Et là on réalise que ça reste. Ça empire. Ça monte, d'un coup. Ça monte en l'espace de quelques minutes. Le ventre, puis les hanches, puis le dos, toute la ceinture. Là, on sait ce que c'est. On se dit "Non... déjà ?" On va aux toilettes pour vérifier : le sang le confirme. On sent un nouveau palier de douleur qui vient, on se dit qu'avec un peu de chance ça en restera là, mais comme on se connaît on file prendre un cachet d'un de ces médocs sans ordonnance et que l'on sait infiniment mauvais pour le corps. Mais il n'y a que ça qui fonctionne. On cherche sous le lavabo, dan les poches des sacs, dans la trousse de toilette, sur les recoins des meubles de la chambre, partout où l'on a pu laisser traîner une plaquette un jour où l'on s'est dit que comme ça on la retrouverait quand on en aurait besoin. On trouve, enfin, et on avale, malheureusement. Dans une heure environ ça ira un peu mieux. Maintenant, il faut attendre.


On fait quelques pas, les mains à la taille, comme pour embrasser la douleur, pour la calmer. Mais ça monte, toujours. On s'asseoit sur le canapé, on s'allonge, les jambes pliées ou tendues, ça dépend. Ça fait mal. On change de position. Ça fait encore plus mal. On se remet dans la première. C'est pire. On sait alors que rien ne va pouvoir empêcher la douleur de monter. Et ça monte, ça monte. Ça progresse en bas dans les cuisses, en haut dans le buste, dans tout le dos. On se dit qu'on devrait marcher pour apaiser, mais plus rien n'y fait déjà. On se rallonge. On fait des exercices de respiration, c'est extrêment dur, tout est coincé à l'intérieur, ça tire horriblement quand on inspire, ça frappe quand on expire, mais on se dit qu'au final ça devrait soulager un peu, un peu. Quelques minutes comme ça, la douleur descend d'un cran. Juste le temps de s'en rendre compte, et déjà une nouvelle vague arrive. On la sent qui monte, qui saisit tout le corps petit à petit, on se dit que ça y est on est au plus fort mais non ça continue, et on est submergée par un profond vertige intérieur, on se sent sucomber, on se se sent partir, disparaître, ne laisser là à notre place que cette douleur comme une trace de notre passage sur le canapé. On expire, et ça repart. Quelques secondes. On réalise que l'on est toujours là, qu'on le savait, que c'est toujours comme ça, que ça va finir par passer, qu'il va y avoir d'autres vagues mais qu'elles ne seront pas pires que celle-ci et qu'elles ne dureront pas et finiront par s'estomper. A peine le temps penser ça que le pic revient. On s'accroche, on tient le coup, forte de ce que l'on vient de se dire, on sait que ça va repartir aussi vite que c'est revenu, et on s'entend dire "Hé ben, ça faisait longtemps que j'en avais pas eu des comme ça". Parler, un peu, quand on y arrive, ça fait du bien. Dire la douleur c'est comme en laisser sortir une partie. Peu importe qu'on nous entende ou pas.


Ça redescend. On continue de parler. On parle pour ne trop rien dire, pour mettre des mots dans l'urgence là-dessus mais on peine à articuler, on est abasourdie. On dit qu'on le sait, que c'est tout le temps comme ça. On dit que c'est désespérant de ne toujours pas savoir si c'est irrémédiable ou non, de n'arriver à trouver que des "informations" contradictoires, qui en réalité ne sont que des avis personnels sur la question, mais jamais de tests, jamais d'expériences, jamais de vérités sur ce type de douleurs. On dit que oui oui, on a pris quelque chose, et qu'on attend que ça fasse effet... et ça reprend. On continue de parler, on suit notre idée, peu importe ce qu'on a à dire, on s'y attache comme à un lien à la réalité, on parle de la douleur régulière, on parle du fait que c'est de l'endurance, on parle d'accouchement, on parle de l'inégalité des femmes quant à leurs douleurs, de l'impossibilité de faire imaginer à un homme ce que peut être une douleur mensuelle inévitable, inhérente à notre nature, ce que ça peut faire de vivre avec ça.


Le pic suivant est toujours là, aussi intense mais plus profond, plus loin au-dedans, il est progressivement étouffé, recouvert par les paroles. Quand il se termine on tente même de se redresser un peu. On s'asseoit plus ou moins, on place sa main sur son ventre : c'est douloureux. On sait que ça n'est pas encore fini, mais on sait qu'on tient le bon bout. Que l'on a déjà vaincu la douleur, comme on la vainc à chaque fois. Tous les mois. On sait que l'on va se trainer comme une vieille loque pendant la prochaine heure, on sait que tout notre corps est concentré sur notre douleur, mais on sait que maintenant on a pris le dessus, qu'on l'a intégrée, qu'elle fait partie de nous mais qu'elle ne prend plus le pas sur tout le reste. On souffrira, mais consciemment, raisonnablement.


Parfois ça arrive au boulot. On ne peut pas parler, et l'on met plus de temps à la faire passer dans le domaine du supportable. On tente de marcher, de s'asseoir, de bouger comme si de rien n'était, de cacher l'expression de douleur qui nous tord le visage et l'on s'efforce surtout de ne pas croiser le regard de quelqu'un le temps que l'on ait dompté notre petit monstre intérieur. Une fois une collègue m'a vue et m'a répondu "Pffff, tu verras ce que c'est que la douleur quand quand tu accoucheras, les règles c'est une partie de plaisir à côté."


Parfois ça arrive dans la voiture. Là, c'est le plus difficile parce que les mouvements du véhicule entrent en résonnance avec la douleur et l'amplifient inexorablement. Et l'on sait que rien de servirait de s'arrêter puisque le trajet resterait à faire.


Une fois ça m'est arrivé dans un restaurant. on venait d'arriver, on avait fait de la route et on avait prévu de déjeuner puis de passer l'après-midi dans ce charmant endroit qu'on ne connaissait pas mais ça avait été tellement fulgurant qu'après trois aller-retours successifs aux toilettes pour vomir et après une vaine tentative de manger un bout tout de même de ce qu'on avait commandé, on avait dû marcher péniblement jusqu'à la voiture, et puis rentrer.


C'était le tout début de ma période de règles douloureuses. Je ne savais pas jusqu'à quel point ça pouvait aller et n'avais rien prévu, et ne savais pas quoi faire. Je m'étais laissée dépasser par la douleur. A présent je sais mieux faire. Je sais le prévoir, je sais approximativement quand ça va arriver. Je sais aussi, pour avoir testé des tas et des tas de choses, que quasiment rien n'y fait. Je n'ai trouvé ni thisane (pourtant si réputées), ni homéopathie. Le paracétamol, même codéiné, me fait bien rigoler et le Spasfon est à peine mieux, non, il n'y a que deux choses qui fonctionnent : l'aspirine (pourtant pas recommandée dans ce cas) et l'ibuprofène. Autant dire, de la merde. Et tous les mois j'en prends, le coeur alourdi par la peine de m'empoisonner, ne pouvant guère faire autrement, tellement la douleur est vive.



Douze fois par an

Douze fois par an
régulièrement
elle se tord de douleur
se mord les doigts dans son lit
étouffant ses cris
elle a mal

Ce mal vif et lourd
la tient nuit et jour
c'est ça être une femme
un être de chair et de sang
c'est beau et pourtant
ça fait mal

Que faut-il donc faire
pour que de ses fers
de ce joug qui d'elle
se joue elle se délivre
seule dans son givre
elle a froid

Ses larmes amères
gouttes d'eau de mer
glissent et coulent le long de son cou
douleur abhorrée
quand vas-tu filer
elle a mal

Son ventre est un feu
un volcan fiévreux
qui crie à sa place
les mots les angoisses
que ses lèvres taisent
alors dans sa braise
elle a mal

Douze fois par an
régulièrement
elle se tord de douleur
se mord les doigts dans son lit
étouffant ses cris
elle a mal

9 Commentaires :

Anonyme a dit...

J'ai horriblement souffert des années et des années... et la seule solution que j'ai trouvée c'est de prendre la pilule en continue pendant 9 semaines, comme ça, au lieu de 12 fois par an, c'est seulement 4 fois par an que je souffre comme ça.

Bon courage!

So-Ann a dit...

Eh ben dis donc! Je ne pensais pas que certaines nanas souffraient comme ça! Du coup je n'ai rien à te recommander, je bois juste beaucoup plus que d'habitude (de l'eau, il s'entend:-) quand je les ai, et quand elles sont douloureuses, je me mets au lit car en général ça va de paire avec le mal de tête!...

Anonyme a dit...

Plus (beaucoup) de douleurs depuis la pilule.
Mes pires souvenirs, c'est au lycée, où j'étais tellement complexée que je n'osais pas dire à l'infirmière ce que c'était.
Une seule chose qui marche : l'ibuprofène. Il y a bien longtemps que j'ai arrêté le reste. Et faire refroidir une tisane bouillante sur le ventre (bref réchauffer le ventre).
Ca passe.

Serenissime a dit...

Entre la grossesse et l'allaitement, ça fera deux ans bientôt que je n'ai pas eu de règles. Je ne suis pas pressée de les retrouver...

Mimille a dit...

Merci les filles :-)

Dr CaSo > J'ai pris la pilule pendant des années, et comme du coup je n'avais plus de règles (*), je n'avais pas de douleurs non plus. C'est revenu petit à petit quand j'ai arrêté. Mais je ne veux plus prendre la pilule, parce que bidouille beaucoup trop les flux hormonaux (entre autres).

(*) Pour info éventuelle pour les filles qui ne le sauraient pas, pilule = pas d'ovulation = pas de règles, les pertes que l'on a entre deux plaquettes n'en sont pas.

So-Ann > Oui, apparemment l'intensité de la douleur varie beaucoup d'une femme à l'autre, et puis ce n'est pas toujours aussi fort, ça dépend des périodes.

Moi aussi je bois beaucoup pendant ces moments-là, je me suis souvent demandé pourquoi donc mais je le ressens comme un besoin corporel. Mais j'ai de la chance dans mon malheur : pas de mal de tête de mon côté ;-)

Isolde > Oui moi aussi il n'y a que l'Ibuprofène qui marche réellement (et l'aspirine aussi, mais j'évite, évidemment). D'ailleurs j'avais regardé sur le site de Martin Winkler, qui parle pas mal des menstruations, et qui dit exactement la même chose, que ce sont les deux trucs qui font réellement de l'effet quand on a des douleurs inenses.

Réchauffer le ventre, c'est une bonne idée. Encore faut-il que j'arrive à poser quelque chose dessus ;-)

Apprentie > Veinarde, va !! :-)

Anonyme a dit...

Ben, Mirzouille, et les Bains Dérivatifs? Tu n'as pas encore essayé? C'est presque miracle!

Mimille a dit...

Non, pas encore essayé :-(
Toujours ma fichue difficulté à faire ce que je voudrais faire... mais ça viendra.
J'avoue, aussi, que j'ai un peu peur d'y perdre du poids, vu ce que j'ai lu à ce propos dans le sujet qui en traite sur OPLF...

En tout cas je suis ravie de te voir ici ma belle CiXi !

Anonyme a dit...

La bouillotte, c'est assez efficace et si on ne peut pas la poser sur le ventre, on la met contre le dos. Courage !

Mimille a dit...

Oxygène > C'est vrai que je n'ai jamais essayé ça. Je tenterai la prochaine fois ! Pour l'heure, ouf, c'est fini :-)