Ça aussi ça pourrait être le début d'une longue ligne de billets... Je fais suite ici au billet de Pistil que je lis ce matin, qui me travaille beaucoup (c'est le cas de le dire !) parce que ça fait un moment que j'ai envie de parler de ça, et que je ne sais pas par quel bout commencer. Là, j'ai la base de son billet, je vais m'en inspirer, ça me guidera (même si je devine d'avance que je vais partir dans une toute autre direction... en tout cas ça m'aura donné l'impulsion de départ).
Moi aussi mon avancée progressive, cahin-caha dans la SV m'a fait beaucoup réfléchir sur la notion de travail. Ou en tout cas les deux se sont développés conjointement. Je vois deux directions de réflexion à ce propos, directions qui à mon avis dans le fond ne s'opposent pas du tout, mais que j'ai pour l'instant un peu de mal à réunir clairement. Il y a d'une part une rélexion généraliste sur le travail conçu globalement, à l'échelle d'un groupe ; et puis une réflexion toute personnelle sur la façon dont moi j'ai envie de travailler, ce que ça représente pour moi, quel temps je veux y consacrer, ce que je veux faire, ce que je cherche à travers le travail, etc.
Je tente un premier débrousaillage ce matin, mais je sais déjà que j'y reviendrai, sous d'autres angles, parce que j'y pense souvent.
Sur le travail d'un point de vue général, un exemple de ce qui peut m'arriver c'est de passer pour une utopiste sans coeur quand je dis aux gens que non, je ne cautionne pas qu'on puisse distribuer des pubs dans des boites aux lettres, bosser au Mac Do ou dans une station-service pour se faire trois sous. Alors on me dit "Mais comment tu veux que ces gens-là puissent se payer leurs études si tu leur enlèves ce moyen ?", alors je réponds que la solution n'est certainement pas dans l'acceptation de cette situation, et que ça soulève un problème qui justement, puisqu'il peut actuellement être plus ou moins géré par des solutions minables telles que celles-ci, n'est pas discuté, et la situation perdure. Du coup, ces pauvres étudiants sont crevés et se trouvent dans une situation d'inégalité tout à fait inacceptable à mon sens, et en plus ils représentent une manne de choix, corvéable à merci, pour toutes ces entreprises qui (toujours à mon sens) sont hautement critiquables. Alors là on me demande ce que je voudrais à la place, et j'hésite entre dire que "je n'en sais rien mais autre chose" (question de ne pas "aggraver" mon cas), ou alors expliquer, un revenu d'études universel (un genre de Revenu Minimum d'Etudes) en plus des éventuelles bourses pour permettre à tout le mondre de se nourir et se loger le cas échéant, parce que maintenant que les pays occidentaux ont fait le choix de fonder leur nation sur un ensemble de connaissances alors il faut assurer à tous la possiblité de les recevoir, sans rendre toute une partie dépendante d'activités dont les bénéficiaires sont des grandes entreprises. En bref, faut savoir ce qu'on veut.
Sur le travail d'un point de vue personnel, depuis toute jeune j'ai toujours eu tendance à proclamer (non sans une certaine touche de fierté marginale par moments ;-)) que la vie ne se résume pas au travail, et que l'on ne vit pas pour travailler. Quand j'étais ado, un jour, on s'était demandé les uns les autres comment on se voyait dans 10 ans. La plupart commençaient leur réponse par "Je ferai tel emploi" et puis ensuite parlaient de leur maison, leur conjoint, leur éventuelle progéniture, etc. Moi, j'ai dit :
Je me vois jouer à cache-cache avec mes enfants, nus dans un champ de cannabis.
Si on passe outre la question de la nature du champ (ben oui, quand on est ado... on dit tout plein de bêtises - quoique ça avait un sens aussi mais bon), ce qui avait choqué mes amis (et vraiment choqué, par la suite ils n'arrêtaient pas de relancer ça pour me taquiner, comme si j'avais dit une connerie) c'est que je ne parlais pas de mon emploi, i.e. de comment j'allais gagner ma vie. Je ne connaissais pas alors la citation de Boris Vian,
Je ne veux pas gagner ma vie : je l'ai.
mais j'aurais voulu leur répondre quelque chose dans ce goût-là.
En fait, quand je donnais cette image, le fond de ma réponse à la question "Comment tu te vois dans 10 ans ?" était "Heureuse". J'avais donné cette image parce que c'était un stéréotype du bonheur à mon goût. Que le travail n'avait pas voix au chapitre dans cette question. Que le bonheur ça n'est pas une situation générale, c'est un instant où l'on est pleinement dans ce qu'on fait. Et je crois que c'est l'une des choses que mes copains n'avaient pas compris dans ma réponse : je me foutais de mon train-train quotidien, ce qui comptait c'était que je puisse vivre des petits instants de grand bonheur.
Il y a quelques temps j'ai reprensé à ce souvenir et j'ai observé ma vie (ça faisait 10 ans à l'époque, mais la situation est restée la même depuis) et j'ai constaté que je n'avais pas d'enfants avec qui jouer à cache-cache (où que ce soit). Ça m'a fait l'effet d'un électrochoc. Quand j'étais ado aussi, je clamais à qui veut l'entendre que je voulais avoir au moins un enfant avant 24 ans. J'en ai aujourd'hui 28 et toujours pas d'enfant, parce que jusqu'à présent... mon "travail" a primé.
Tout cela m'a fait beaucoup réfléchir à pourquoi est-ce qu'il y avait une telle différence entre ce que j'avais désiré et ce que je faisais à présent, qu'est-ce qui avait changé,... et surtout, est-ce que quelque chose avait changé depuis. Parce que si je réfléchis à comment je me vois dans dix ans, aujourd'hui, je m'imagine assez bien jouer à cache-cache avec mes enfants (mais plutôt dans une forêt ;-)). Pourtant, quand je me demande comment je me vois dans un an seulement, je m'imagine chercheur au CNRS ou Maître de Conférences. Donc, je vois mon boulot, point barre.
Où est la différence entre ce que je désire pour le long terme, et ce que je désire pour le futur immédiat ? Je crois que la réponse est dans le travail, justement. Entre mon adolescence où je me rebellais, comme tout le monde, à ma façon, que je refusais de penser aux aléas du quotidien, et mon arrivée dans l'âge adulte où j'ai mis en veilleuse tous ces rêves, j'ai appris que pour avoir des enfants, pour courir dans les champs etc., il faut avoir un quotidien par ailleurs. Et dans ce quotidien, il y a le travail. Et le travail, on a très vite fait (en tout cas dans ma situation) de le laisser prendre le pas sur le reste de la vie, de lui laisser prendre toute la place du quotidien, jusqu'à ce que plus rien ne reste, jusqu'à ce qu'on ne pense plus qu'à ça, qu'on ne s'organise plus qu'autour de ça.
J'ai lu dans le Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations de Raoul Vaneigem des mots qu'il mettait là-dessus, qui collaient parfaitement à ce que je ressentais. Quand on travaille trop, quand on laisse le travail prendre le pas sur le reste, alors il compense sur tous les plans et l'on en perd conscience de ce qui nous manque, on perd conscience que la vie ne se résume pas à ça, on perd conscience que l'on peut vivre autrement qu'en travaillant comme on le fait. Tout ce qu'on vit d'émotions est transféré sur le travail, et passé un certain stade on ne s'en rend plus compte, parce que c'est comme l'allégorie de la grenouille : c'est venu petit à petit, on n'a pas fait attention, on s'est laissé cuire.
Maintenant la question que je me pose, c'est comment faire pour sortir du chaudron. Peut-être que l'une des façons, en fait, est de ne pas me donner d'objectif, de ne pas me prendre la tête avec des images de moi-même, en tout cas de ne pas les laisser devenir un objectif. "Heureuse", finalement, je peux l'être dans 10 ans comme je peux tout aussi bien l'être mantenant, dans ma situation actuelle, même sans enfant pour l'instant. Parce que ce que je fais, je l'ai choisi, quand-même. Et que je peux changer ce que je veux dans mon quotidien, quand je veux. Et que si je veux travailler moins, je le peux. Et que si, finalement, je n'ai pas encore d'enfants, ça ne me rend pas nécessairement moins heureuse ; c'est juste que j'ai fait certains choix qui m'ont amenée là où je suis aujourd'hui. Et que cette image de moi que je donnais dans 10 ans quand j'étais au lycée, en fait ce n'était jamais qu'une image et non pas une vue de la réalité exacte. Et que finalement, dès à présent, je peux jouer à cache-cache avec mon mari dans les bois, on a même déjà fait des choses du genre (mais non, on n'était pas nus !!).
Épilogue : Est-ce que tout ça vient du fait que j'ai été élevée à la voix de Jean Ferrat ? (manque de pot, je ne la trouve pas sur radioblog, dommage ç'aurait été une bonne occasion de tester la méthode de mowgli)
Etat d'âme
L'aube se lève grise et sale
Sur la sinistre cour pavée
J'entends résonner sur les dalles
Les bidons tristes du laitier
C'est toujours quand cinq heures sonnent
Qu'on réveille les condamnés
Les feuilles des arbres frissonnent
Il va bien falloir y aller
Aïe aïe aïe
A l'heure où les croissants sont chauds
Je n'ai pas l'âme d'un bourreau
De travail
A l'idée de l'éxécuter
J'ai le moral en marmelade
Si le travail c'est la santé
Tous mes copains en sont malades
Faites-le mettre à la torture
Par ceux qui en font leur régal
Bien au chaud sous mes couvertures
Je ne le toucherai pas d'un poil
Aïe aïe aïe
A l'heure où l'on boit l'apéro
J'n'ai toujours pas l'âme d'un bourreau
De travail
Si j'dois l'abattre sans pitié
Avant d'abandonner mon lit
J'voudrais bien voir changer la vie
Dans la nouvelle société
J'voudrais voir les flics au boulot
Les tenants du grand capital
Les P.D.G. les généraux
Goûter aux cadences infernales
Aïe aïe aïe
Ce n'est sans doute pas de si tôt
Que j'aurai l'âme d'un bourreau
De travail
D'ailleurs, ce texte fait écho aussi à l'autre billet de Pistil d'hier soir...
Sur ce... je vais travailler !
4 Commentaires :
1) Tiens on a le meme age.
2) Tiens on travaille toutes deux dans l'éducation.
3) HA ben non moi suis qu'aide labo catégorie C en fac lolll
Et ça ne me rend pas moins heureuse, car le travail me permet surtout d'avoir l'argent pour veiller à mon quotidien et mon quotidien et mes amis priment sur le travail. Travail dans l'éducation tout de meme par choix puisque j'estime que quel que soit notre place au niveau enseignement, on apporte aussi aux étudiants rien que par notre comportement ou en leur donnant un salle de tp propre et bien rangé pour qu'ils puissent bien travailler.
Ça, je suis tout à fait d'accord avec toi. Le fait même d'avoir des contacts avec les élèves / étudiants, quel que puisse être ce contact, c'est capital pour eux parce que ça leur apprend plein de choses. Ça nous apprend aussi plein de choses, d'ailleurs.
Signé mirza, grande admiratrice du principe de l'université ;-)
Il est très bon ton billet.
On est exactement dans la même optique. Notre objectif de simplicité volontaire, c'est d'apprendre à vivre mieux avec moins (objectif classique) qui nous permettra de moins travailler.
Nous revendiquons notre droit à profiter de la vie.
Nous revendiquons notre droit à profiter de la vie.
Moi j'essaie même de profiter tout court, sans forcément le revendiquer ;-)
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