mercredi 28 février 2007

Mon marché du marché

Ça fait toujours du bien d'aller faire un tour chez Jean Sur. Ça faisait quelques temps que je n'y étais pas passée, juste ce qu'il faut pour qu'un nouveau marché, 29e du nom, soit publié : chouette. Morceaux choisis et premières réactions.


Mais le monde est devenu un atelier, une cuisine. Les élites, ces intendants de la nécessité, cherchent à conjurer leur frustration en en infectant le peuple. Tout pour qu’il ne monte pas sur le pont, tout pour qu’il ne regarde pas la mer. Tous à la manœuvre culinaire, matelots, commandant, passagers, toubib, aumônier. Tous aux épluchures de la vie, à l’organisation des poubelles, à la gestion des déchets. Participation et importance. Désolé, j’ai un rendez-vous.

Ne pas sortir de la caverne, évidemment. Signer des pétitions tant que le stylo, le clavier fonctionnent. S'insurger de détails. Se passionner subitement pour une cause donnée. Ou alors, même, faire une thèse chevaliers-pêcheurs en l'an mil au lac de Paladru. Je suis toujours passée pour une énergumène, je ne compte plus les fois où l'on m'a dit que "c'est tout un programme", mon travail. En comparaison aux ceusses qui prennent un petit bout de lorgnette et s'y collent comme si ça allait fonctionner à la manière d'une fourmilière. Et pourtant ce n'est pas plus compliqué de sortir sur le pont et de regarder un bon coup, que de s'occuper qui des épluchures de patates, qui de fermer les sacs poubelle, qui de nettoyer le plan de travail. Participer c'est bien ; faire sa part tel le colibri de Pierre Rahbi c'est bien ; encore faut-il avoir la moindre image de l'ensemble dans lequel on prend part. Sortir, ouvrir les yeux, regarder, observer, croire ce que l'on voit. Ne pas se borner à ce que l'on voudrait voir.


Quoi qu'on fasse, on fait sa part.


Tragédies. Jane Birkin en Electre et les écologistes en Cassandre. Je dois être égoïste et imprévoyant, tout ce remue-nuages me laisse sceptique. Rien n’interdit, bien sûr, de prévoir les dangers, ni de les éviter. Mais le projet de sauver la planète me fait rire. Quelque chose cloche. Ou plutôt tombe trop bien. Déclarer la guerre au climat, passer l’univers à l’aspirateur ! Quel fantastique alibi, quand nous ne savons plus quoi faire de nous ! Il sort d’une pièce de Ionesco, ce couple dont le tri sélectif est devenu la passion dévorante : non content de classer les ordures en méditant sur les cas incertains, il choisit ses achats en fonction de leur conditionnement. L’univers, notre petite cuisine confort : plus déprimant que la pollution ! Et il a bonne mine, mon tri sélectif, quand deux cents tonnes de saloperies descendent donner la colique aux poissons ! Votre gentillesse arrêtera ça ? Non, et vous le savez. À tous vos arguments de moralité, les pollueurs majeurs répondront par un argument de nécessité qui, dans la logique actuelle, est parfaitement cohérent : il faut bien. C’est ce il faut bien qui est à considérer. Il porte en lui le diagnostic et la thérapie. Il donne la dimension du problème. Pas de solution partielle possible à la crise de l’Occident. Nous sommes embarqués dans cette horreur. Alors ? Reprendre les choses à zéro. Ni réforme ni révolution, ni morale ni éthique : des bobards, des placebos. Descendre plus profond. L’aventure. Laquelle ? Si je le savais… Et en attendant ? Supporter. Se persuader de l’horreur, ça peut aider à chercher des issues. Quoi d’autre ? Il ne s’agit pas de « changer les choses » mais d’aller plus profond en nous. Les fausses solutions nous le font oublier, l’affrontement de la réalité nous le rappelle. De ce mouvement peut venir une vraie confiance, même relative, même avec des angles morts. Ma toute petite grand-mère paternelle, venue des Ardennes, ne s’était jamais habituée à la circulation parisienne. Alors, avant de traverser la rue, elle se penchait ostensiblement vers la pointe de ses souliers. Nous la grondions. « Ils verront bien que je ne les vois pas », répondait-elle.

Quoi que l'on fasse, on fait sa part.


Sans doute même que se changer soi pour changer le monde n'est pas une solution. Ou plutôt, c'est une cause perdue, parce que c'est une fin, justement. Peut-être que se changer soi pour se changer soi, ou alors se rapprocher de soi pour être soi tout court serait un bon début, et par conséquent une bonne fin aussi, parce qu'immédiatement accessible, parce que là, parce que constant même si variable, même si changeant.


Etre soi pour être (soi).


(...) la société étant ce qu’elle est, souhaitez-vous à vos amis et vous souhaitez-vous à vous-même une promotion professionnelle ? Ma réponse est celle de 2005. Non. L’être se raréfie au fur et à mesure qu’on monte. Comme l’air. C’est par ce qu’il a de pauvre que l’homme de la modernité peut encore s’échapper. À condition, bien sûr, qu’il ne s’agisse pas d’une pauvreté imposée, mais acceptée, désirée. Par elle-même, si elle n’est pas vice, la pauvreté n’est pas non plus vertu.

Etre soi pour être (soi).


La simplicité volontaire (ou quel que soit le nom qu'on lui donne - ou qu'on ne lui donne pas) n'est ni un chemin d'éloignement, ni de renoncement, d'abandon, d'appauvrissement. C'est un chemin de vie, d'observation, de réflexion ; sur soi, sur son propre chemin, et sur le monde dans lequel on chemine. On sort de la cuisine et on va regarder la mer ; de là, on sait où l'on est, même si l'on n'a pas de vue générale. On peut alors vivre en pleine conscience.


On peut alors retourner dans la cuisine, soit pour y reprendre la place que l'on avait laissée, soit pour dire aux autres de sortir ; on peut même faire les deux, dans les proportions qu'on souhaite, qu'on estime soutenables. On peut rester sur le pont à regarder, plus ou moins longtemps. On peut se faire happer par le paysage, on peut sauter par-dessus bord, on peut avoir un irrépressible élan de poésie ou de ressentiment. On peut parler avec les quelques autres qui sont là, parler de ce qu'on voit, de ce qu'on en pense, de ce qu'on voudrait faire. On peut faire ce qu'on veut. Mais il faut avant tout commencer par reconnaître, accepter que l'on est partis d'une cuisine, et que cette cuisine est un artefact.


4 Commentaires :

Anonyme a dit...

J'aimerais bien laisser un commentaire, au moins pour faire signe de continuer, que c'est super intéressant... Mais ton article me laisse sans voix (voie). Rien à dire de plus... Si peut etre... Merci

Mimille a dit...

Rhôôoo ben c'est moi qui sais plus quoi dire alors... ben si : merci à toi aussi. (décidément c'est la journée des remerciements !)

Anonyme a dit...

Cassandre...
C'est ce que je dis tout le temps à ma famille goguenarde "Appelez-moi Cassandre"...
Merci pour ce billet si juste.

Mimille a dit...

De rien de rien... et merci à toi aussi Caco.