dimanche 18 février 2007

Peur et alternativité

Je suis en train de dévorer un site dont Mary a donné le lien, et je viens d'y lire (entre autres) la chose suivante :


Certains s’accommodent de leurs peurs, les débaptisent, les déguisent. La peur de voyager, de prendre le train, l’avion… le vélo se convertit en goût pour la marche. Celle de la lumière, pour se faire légère, aime arborer de belles lunettes. On inverse sa phobie en art de vivre et la panique hystérique des chats se transforme en passion pour la race canine.

Je n'avais jamais pensé à ça sous cette forme, mais je trouve que ça résonne d'une façon très juste à mes yeux, sous deux angles différents.


Le premier angle est un point de vue (tout à fait personnel et peut-être pas mal élitiste aussi, je ne sais pas) sur les gens qu'on croise dans les milieux SVistes, décroissants, écolos, bios, et autres alter-quelque chose. J'ai toujours trouvé, à la fréquentation des forums de discussion sur ces thématiques notamment (pour en avoir fait un usage assidu pendant un bout de temps), qu'une proportion non-négligable des gens qui adoptent ces idées d'une manière très profonde sont des gens qui en fait n'ont guère le choix. Typiquement, un gars qui annonce fièrement qu'il refuse le système et ne veut pas se baser sur les critères de réussite que le système a choisi à sa place... mais qui sait à peine lire, écrit difficilement, et est en total échec scolaire. Et souvent, à le lire, on décèle un énorme sentiment de culpabilité refoulée, un sacré complexe d'infériorité, une peur de ne pas réussir dans ses conditions, puisque jusqu'à présent on n'a jamais réussi dans ce système-là. Alors on crie qu'on crache sur le système, et on cherche des alternatives à cette façon de se placer dans un groupe. Ma foi pourquoi pas, mais je pense que dans le fond c'est un aveu d'échec que l'on refuse de se faire, et l'on ne peut pas se construire ailleurs sans commencer par accepter la façon dont on se plaçait dans ce qu'on décide d'abandonner.


Je sais bien qu'il y a des tas d'exceptions à cela, ce n'est pas une généralité, mais c'est une sensation que j'ai souvent eue. On se jette à corps perdu dans une quête donnée, une quête alternative, parce qu'on pense que quoi qu'il en soit on ne pourra pas réussir dans une quête plus "standard".


Le second angle est plus personnel (dans un sens "auto-analytique"). Là, je me demande si je ne me considère pas comme une intellectuelle simplement parce que j'ai peur de ne pas m'en sortir dans une autre activité. De ne pas m'en sortir, i.e. de ne pas me sentir heureuse, satisfaite, épanouie, capable, etc. Donc je me cantonne à un truc dans lequel je sais que je ne suis pas trop mauvaise, même si ça ne correspond pas à mon idéal personnel.


Et là, je me mets aussi à douter de la nature de mon idéal personnel... et je me dis que si ça se trouve je me suis fabriqué un tel idéal parce que justement, j'avais peur de ne pas réussir dans le côté intellectuel. C'est une autre possiblité. Ah, sacré doute !


Dans un cas comme dans l'autre, on est dans le peur d'affronter quelque chose et dans le choix de la fuite plutôt que dans l'acceptation de ce qui nous fait peur, dans le fait de regarder la situation et de voir que, quoi qu'il puisse arriver, on reste là, et on reste soi. Comme le dit si bien la litanie de la peur de Franck Herbert (Dune) :



Je ne connaîtrai pas la peur, car la peur tue l'esprit.
La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale.
J'affronterai ma peur.
Je lui permettrai de passer sur moi, au travers de moi.
Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon oeil intérieur sur mon chemin.
Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien.
Rien que moi.

4 Commentaires :

mowglinomade a dit...

Je vois que tu descends un peu plus chaque fois dans les tréfonds de ton âme pour t'y rencontrer.
Juste une petite reflexion: il faut se garder d'un effet de mode, qui consiste à dévaloriser les métiers dits 'intellectuels' pour revaloriser les métiers manuels, le faire soi même (quelque part, c'est un juste retour de balancier comparé à ce qu'on a observé il y a quelques années), particulièrement dans les milieux SVistes. Il faut trouver sa voie loin des modes...

Et puis, il faut aussi se demander ce qu'on aime faire, quitte à sortir des sentiers battus si on passe plutot ou intello ou manuel, mais je crois qu'il faut se poser 'a part' la question du métier (ou alors remettre en question franchement la notion de travail cf ton post précédent): c'est assez flou, mais pour te donner une idée, je me sens 'complète' chez moi devant un piano, et enrichie à la fin d'un concert sous les applaudissement, mais si cela avait été mon metier (je n'aurais jamais pu mais admettons que j'en ai eu envie), je pense que j'aurais été malheureuse, que j'aurais "gaché" ce bonheur.
Je ne sais pas trop si tu vois ou je veux en venir,ca n'est déja pas clarissime chez moi.

Mimille a dit...

Si si, je crois que je vois. En tout cas ça résonne chez moi.

Mon idéal ça serait d'être (enseignant-)chercheur à mi-temps, i.e. passer la moitié de ma journée à faire de l'intello et l'autre du manuel, jardinage, occupations de famille, enfin n'importe quoi mais manuel. Je crois que je n'ai jamais pu me décider !

Mais tu as raison : je me méfie des mouvements de mode. Simplement, je me demande si ma propension à l'intellectualité vient plusse des voeux de mes parents pour moi, ou bien plusse de ma propre volonté. Ça vient forcément un peu des deux, mais j'essaie de peser le poids de chacun pour savoir quelle est la portée personnellement volontaire de mon activité. A mon sens c'est très important, vu la vie que nous fait mener nos choix professionels (ça n'est sans doute pas toi qui vas me contredire), donc je veux être sûre (autant que possible au moins) de ce que je fais, de pourquoi je le fais.

Anonyme a dit...

Ton message me rappelle quelque chose que disent les bouddhistes. Pour eux le moi (l'égo) se constituent par deux manifestations complémentaires : l'aversion et l'attachement. Ces deux sentiments, qui sont comme les deux faces de la même médaille (voila pourquoi on passe si facilement de l'un à l'autre !) sont toujours éphémères, passagers... il ne faut pas leur donner plus de réalité qu'ils n'en ont. Ils sont comme le moi, de simples reflets à la surface de l'eau... alors que ce qui compte c'est la force du courant !

J'aime beaucoup ton blog, Mirza, je reviendrai lire la suite un autre jour (là, il est tard, je vais me coucher !)

Mimille a dit...

Ah Mona, ton commentaire résonne très bien avec ce qui me trotte dans la tête ! Merci beaucoup ! :-)

Et... bienvenue ici !